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L’origine des mouvements religieux se perd toujours dans les brumes du mythe et l’ensemble des caractères apparus progressivement au cours du temps sont le plus souvent rapportés rétrospectivement à un héros fondateur. La réforme almohade n’échappe pas à la règle. Bien que les sources ne manquent pas sur la lente ascension des tribus berbères maṣmūdiennes de l’Atlas, sur leur combat durant plus de deux décennies contre le pouvoir almoravide, sur la mort des derniers souverains de la dynastie des Lamṭūna-Banū Turgūt et sur la conquête progressive de la totalité du Maghreb et d’al-Andalus, les récits sur Ibn Tūmart78, le fondateur, comportent bien trop d’incertitudes et de contradictions pour que l’historien actuel puisse déterminer avec certitude la part de vérité qu’ils contiennent. La nature hagiographique, bien plus que biographique, de ces textes et leur insertion dans le cadre littéraire de la chronique, et plus largement de l’adab, contribuent légitimement à faire douter l’historien de la réalité historique des éléments rapportés. Les sources les plus anciennes, plus proches des événements relatés, pâtissent de leur aspect partisan et les sources plus récentes, qu’elles soient locales ou lointaines, se font, le plus souvent, l’écho d’une version officielle, reconstruite à l’aune de la destinée historique des constructions politiques mises en place. Infime différence, et néanmoins essentielle au regard de l’histoire, que celle qui distingue la révolte d’Ibn Tūmart de celle, par exemple, d’un Māssī (ou al-Massātī79) en 1148 : le premier a vaincu, le second a été défait. Les disciples du premier ont fondé un Empire, ceux du second ont péri sous les armes des précédents.

A. « La tribu prophétique » ou la réforme religieuse

Le résumé que nous allons donc présenter de la vie d’Ibn Tūmart est moins à prendre pour argent comptant que comme partie intégrante de l’idéologie impériale

78 Ce nom, très répandu chez les Maṣmūda sous la forme Tūmart ou Tūnart, signifie « joie ». L’auteur anonyme du Kitāb al-ansāb rapporte qu’à la naissance d’Ibn Tūmart, sa mère aurait dit en berbère « Ā tūmert-īnū īssak ā-yīwī », c'est-à-dire « Ma joie est avec toi mon fils », et aussi « yak tūmert », c’est-à-dire « il deviendra joie ». Toutes les notes concernant l’anthroponymie, le sens et l’orthographe des noms berbères sont dues à Mehdi Ghouirgate (CNRS) qui a accepté de participer, à partir de novembre 2011, au projet ERC StG 263361 « Imperial Government and Authority in Medieval Western Islam » que je dirige. Qu’il soit remercié ici pour son apport. Dorénavant ses interventions seront suivies de ses initiales entre parenthèses (MG).

79 C’est-à-dire « originaire de Māssa », ou dans le cas présent « relié » à cette bourgade du Sūs où un réformateur s’est révolté au milieu du XIIe siècle. Ce toponyme est un nom d'action dérivé de la racine berbère MS qui évoque les eaux vives. On la retrouve dans les noms de Tlemcen (Tili msān) ou de Siǧilmāsa (Sig il-mās). Les auteurs arabes médiévaux ont hésité pour construire la nisba liée à ce nom entre la forme berbère Massāt, et la forme arabisée Māssa (MG).

almohade telle qu’elle a été élaborée progressivement au XIIe et au XIIIe siècle, sans que cela exclue pourtant la possibilité de l’existence historique de certains éléments concrets. En tout état de cause, notre propos n’est pas de connaître et de présenter la vie authentique du Mahdī Ibn Tūmart, ce qui a été tenté de nombreuses fois déjà80, mais de bien décrire le cadre du récit fondateur dans lequel les savants et les souverains almohades ont organisé leur système de gouvernement et d’administration des sujets.

1.IBN TUMART

De manière assez naturelle, la date de naissance d’Ibn Tūmart se perd entre les dents d’une fourchette d’un lustre ; selon les sources, elle serait comprise entre 469/1076 et 474/1082. Issu de la tribu berbère des Harġa, qui appartiennent au groupe des Maṣmūda, Ibn Tūmart aurait étudié à Cordoue, auprès d’un maître ẓāhirite, puis en Orient, auprès d’al-Ġazālī, rencontrant en chemin, à Alexandrie, al-Ṭurṭušī. Bref il aurait puisé le savoir aux plus célèbres sources de l’époque, parfois à l’encontre de la chronologie. En général les historiens acceptent l’idée du voyage, mais contestent la rencontre avec le célèbre savant oriental, auteur de la Revivification des sciences de la religion, car le penseur mystique, à cette époque, aurait séjourné au Ḫurasān. Devant l’impossibilité de trancher, nous rattacherons ces deux épisodes, comme les suivants, au domaine du possible, sans nous inquiéter de leur authenticité, de leur plausibilité ou, au contraire, de leur caractère improbable, parce que, du point de vue narratif, ces éléments biographiques, reproduits avec quelques variantes par la plupart des chroniqueurs, relèvent de la matrice du mouvement almohade81.

De retour d’Orient, vers 509/1116-1117, Ibn Tūmart se serait posé en censeur « sunnite »82 des mœurs, incarnant de manière virulente le puritanisme à composante ascétique qui avait la faveur des habitants des régions rurales du Maghreb. Dès 513/1120, il aurait reproché aux Almoravides leur corruption, leur hérésie et leur

80 AL-NAǦǦAR, al-Mahdī Ibn Tūmart, R. BASSET, « Ibn Toumert, chef d’État » ou R. BOUROUIBA, Ibn Tūmart.

81 Pour une discussion du caractère plausible ou non de ces rencontres, à partir de la présentation de l’ensemble des sources qui les évoquent, on se reportera à l’ouvrage d’AL-NAǦǦAR, al-Mahdī Ibn Tūmart, pp. 24-30.

82 J’insiste sur le caractère « sunnite » du premier message d’Ibn Tūmart en référence aux travaux récents de Maribel Fierro, avec qui j’avais parlé de la question. La chercheuse espagnole a développé récemment l’idée d’une « sunnisation » de l’idéologie almohade. Ce concept que j’avais cru pouvoir confirmer en étudiant la relique du muṣḥaf ʿuṯmānien, postule la centralité de la théosophie chiite au cœur du mouvement almohade.

anthropomorphisme. Le point de départ du mouvement ne réside donc pas dans une aspiration d’origine généalogique ʿalide ou dans une conception chiite de l’imāmat, mais dans la réforme des mœurs et des pratiques juridiques, ainsi que dans la contestation de la pratique almoravide du pouvoir, au nom d’une vision austère et rigoriste des normes sociales d’une part, de l’autorité légitime de l’autre. Devant les troubles provoqués par Ibn Tūmart, l’émir régnant, ʿAlī b. Yūsuf b. Tašfīn (500/1106-537/1143), réputé pour sa piété, et ses fuqahā’ auraient émis le souhait de débattre de sa doctrine avec le trublion. Celui-ci, avisé du danger qu’il encourrait à accepter cette rencontre, se serait réfugié à Igīlīz83, son hameau natal, près de Tārūdānt : c’est « sa première hégire ». Là, devant ses partisans, il se serait proclamé, et aurait été reconnu,

imām et mahdī, manifestant ainsi des aspirations tant politiques que spirituelles et religieuses et organisant tout à la fois ses troupes, la conquête du pouvoir almoravide et le système idéologique du tawḥīd (« unitarisme »).

Dans un second temps, vers 517/1124, Ibn Tūmart se serait réfugié dans le Sud marocain, à Tinmāl84, qui allait devenir le berceau et la première capitale du mouvement almohade, ainsi que la dernière demeure du fondateur et des dirigeants de l’Empire auquel il allait donner vie : c’est la « seconde hégire ». À partir de cette date, 517/1124, Ibn Tūmart a tous les attributs du Mahdī : « guidé/guidant » et « infaillible », il devient le théoricien dans le domaine religieux du pouvoir qu’il met en place dans la sphère politique. La ʿiṣma dont son imāmat était qualifié signifiait que sa personne était pure de tout vice, erreur, corruption, innovation, mensonge ou ignorance. Cela avait une conséquence majeure : l’autorité absolue qu’il avait sur tous ses contemporains, autorité que ne limitaient que le Livre de Dieu et la Tradition de Son envoyé, Livre et Tradition dont il était le seul et unique interprète. Car dans l’approche mahdienne, le juge suprême almohade n’était pas choisi par les hommes, mais désigné par Dieu. Ibn Tūmart était « vicaire de Dieu » sur terre (ḫalīfat Allāh) comme David85.

83 Ce toponyme signifie « éperon rocheux » (MG).

84 Les auteurs arabes du Moyen Âge hésitent entre les graphies suivantes : Tīnmal, Tinmāl et Tīnmallal. Il semble bien que le terme originel est Tinmal, formé à partir de la racine ML et signifiant « éclatant ou rouge », probablement en raison de la couleur de la terre. Les auteurs almohades auraient fait évoluer ce nom vers Tinmallal, pour le rattacher à la racine MLL et lui donner le sens de « celle des blancs, ou des purs », en référence aux qualités du peuple élu almohade (MG).

Le premier élément indubitable dans cette succession d’épisodes à la chronologie confuse et aux enchaînements souvent mal connus86, c’est l’usage de la langue berbère par le mahdī Ibn Tūmart lorsqu’il s’adressait aux Berbères. Les auteurs almohades n’ont jamais cherché à gommer cette spécificité, alors qu’ils ne se sont pas privés de tenter de discréditer les Almoravides pour leur soi-disant analphabétisme et leur méconnaissance de la langue arabe87. Les deux écrits attribués à Ibn Tūmart, et probablement de confection définitive plus tardive, la ʿaqīda (le « Credo ») et la

muršida (le « guide spirituel ») ne furent traduits en arabe que sous le règne d’Abū Yūsuf Yaʿqūb (1184-1199), près d’un demi-siècle après la mort de leur auteur présumé. Il est vraisemblable que le processus de traduction a été plus qu’un simple transfert d’une langue à l’autre, une véritable création participant à la canonisation des origines et du fondateur du mouvement88.

Ibn Tūmart est donc aussi un médiateur de la religion arabo-musulmane en milieu non arabe (al-ʿaǧam), un vecteur de l’islamisation du Maghreb médiéval. Le succès de cette prédication en berbère a été attribué par certains historiens à l’opposition de caractère tribal au pouvoir central almoravide. L’opposition à la doctrine malékite et aux fuqahā’ andalusī-s et maghrébins de cette école juridique, piliers du régime almoravide, aurait été en définitive une réaction face à l’arabisation qui, avec toute sa complexité, se serait imposée depuis les milieux étatiques.

Cette hypothèse qui attribue aux éléments ethniques une influence significative sur l’évolution des rapports de force au Maghreb évacue la question nettement plus légitime à mes yeux de l’islamisation et de l’arabisation des Berbères. C’est par vagues successives de réformes, souvent en opposition dogmatique les unes aux autres, que la religion musulmane et la langue arabe opèrent une pénétration par phases, non sans lien avec les flux migratoires dominants qui se caractérisent à l’époque, indépendamment des flux inverses du pèlerinage ou des voyages savants, par des apports démographiques renouvelés en provenance du Proche-Orient méditerranéen. Au demeurant nous aurons l’occasion de revenir sur la place occupée par ces tribus

86 ʿIzz al-Dīn Mūsá s’interroge par exemple sur la chronologie de l’organisation partisane du mouvement à ses origines : la bayʿa des fidèles est-elle passée avant ou après la mise en place du groupe des Ahl al-ǧamāʿa, des Dix, des Cinquante, des Soixante-dix ? Quel est l’ordre respectif de création de ces différentes instances ? (ʿI. al-D. MUSA, « Al-tanẓīmāt al-ḥizbiyya », pp. 53-79).

87 N. BARBOUR, « La guerra psicológica ».

arabes dans la structure administrative de l’Empire et sur leur participation à la mise en place de l’idéologie impériale almohade.

2.LES ELEMENTS DU DOGME ALMOHADE

L’élaboration du dogme almohade se produit dans un contexte d’effervescence religieuse extrêmement favorable89. Parmi les nombreux groupes qui se rebellent contre l’ordre almoravide, le mouvement almohade est celui qui eut l’influence la plus durable, malgré les péripéties que constituent le reniement du dogme de l’impeccabilité par al-Ma’mūn en 1229, l’émancipation subséquente de l’Ifrīqiya ḥafṣide

et l’effondrement final de l’Empire mu’minide en 1269. L’ample élaboration doctrinale de cette réforme s’impose à tout le Maghreb, de la Tripolitaine aux rivages de l’Atlantique, et à al-Andalus, en s’appuyant sur la force militaire des tribus berbères Maṣmūda, les Hintāta90 à leur tête.

Ibn Tūmart a donné naissance, au cœur de l’orthodoxie sunnite, à une doctrine qui puisait à presque tous les courants théologiques qui avaient vu le jour depuis les origines de l’islam. En ce sens, l’« almohadisme » est la tentative la plus élaborée pour unifier les croyances musulmanes divergentes et en réaliser une synthèse dogmatique et théologique. Les spécialistes qui se sont penchés sur le dogme almohade y ont tour à tour relevé les apports

ḫāriǧites-ibāḍites : la justification de la violence, la revendication du magistère suprême au sein de populations non arabes91, le statut accordé à Abū Bakr et à ʿUmar92 dans la ʿaqīda et l’« excommunication » (takfīr) prononcée à l’encontre de ceux qui refusent de se rallier au mouvement ;

muʿtazilites : lecture allégorique des versets du Coran, usage du

kalām (« théologie spéculative »), adoption de l’appellation d’ahl al-tawḥīd

89 Contexte que décrit parfaitement l’ouvrage de H. FERHAT, Le maghreb au XIIe siècle- XIVe siècle.

90 Il s’agit de la plus puissante confédération Maṣmūda, située sur les deux versants du Haut-Atlas occidental, entre l'Oued Ġaiġā’iya et l'Oued Nfīs, jusqu’au nord et à l’est de Taroudant. La forme berbère de cet ethnonyme est Yntān au pluriel et Intī au singulier. Une des portes de l’enceinte de Marrakech, Bāb Yntān, indiquait, comme cela était usuel, la direction du territoire de cette confédération (MG).

91 Au prix du rattachement des deux premiers souverains au lignage idrīside, ce qui permettait une filiation plus directe que les traditions attribuant aux Berbères une origine ḥimyarite (voir G. CAMPS, « L’origine des Berbères », Les Berbères et Des rives de la Méditerranée).

92 D. Urvoy a défendu la thèse d’une coïncidence entre les thèses almohades et bon nombre de positions défendues par les Ḫāriǧites auparavant. C’est cette dernière influence qui donnerait, selon lui, son unité profonde à la synthèse puissante que représente le dogme almohade (D. URVOY, « Les divergences théologiques »). Voir aussi A. BEN HAMADI, « Y a-t-il une influence ḫāriǧite ».

(« gens de l’Unitarisme ») et obligation de « prescrire le bien et de prohiber le mal » (al-amr bi-l-maʿrūf wa l-nahyi ʿan al-munkar)93 ;

— philosophiques : participation de grands maîtres à penser au gouvernement almohade et tentatives de conciliation entre Raison et Révélation94 ;

— malékites : malgré le combat contre les ulamā’ maghrébins et

andalusī-s, avec la reconnaissance de l’importance du Muwaṭṭā’ de Mālik b. Anas95 ;

ḥanbalites : dans le domaine juridique, refus du raisonnement par analogie (qiyās), de l’appréciation individuelle (iǧtiḥād) et de tout autre fondement que le Coran et la Tradition (sunna) ;

ašʿarites : reconnaissance de l’absolue toute-puissance de Dieu, refus du libre-arbitre et usage du kalām ;

ḥazmiens : principe de l’impossibilité d’appliquer le général au particulier et renvoi au texte coranique pour la question des attributs, en décalage sur ce point aussi bien avec les muʿtazilites qu’avec les ašʿarites96 ;

ṣūfī-s : approche mystique de Dieu, importance de la prière et des pratiques ascétiques97 ;

— et évidemment chiites, pour la ʿiṣma (« impeccabilité »), le « don de l’imāmat » et la mise en place, réelle ou fictive, de généalogies ʿalides

pour Ibn Tūmart et pour son successeur ʿAbd al-Mu’min98.

93 Ils se démarquent des Muʿtazilites par le refus du libre-arbitre que ceux-ci reconnaissent aux hommes aux dépens de l’omnipotence divine et ne se prononcent pas sur la doctrine du Coran créé ou incréé (Voir Ma J. VIGUERA, « al-Andalus en época almohade », p. 12 : « Escritos doctrinales y propagandísticos », et D. URVOY, Pensers, p. 93).

94 Voir J. LANGHADE et D. MALLET, « Droit et philosophie au XIIe siècle » ; W. M. WATT, « Philosophy and Social Structure ».

95 Très habilement, le dogme almohade, tout en condamnant la pratique juridique malékite, conserve la base même du droit connu et appliqué grâce à l’affirmation que les Traditions les plus fiables sont celles qui sont les plus proches du Prophète, c’est-à-dire celles de l’école de Médine, contenues dans le

Muwaṭṭā’ du savant médinois.

96 ʿI. al-D. MUSA, « Al-tanẓīmāt al-ḥizbiyya », p. 66.

97 A. BEL, « Le Sûfisme » ; A. FAURE, « Le Tasawuf ».

98 Les écrits d’Ibn Tūmart se démarquent du chiisme en établissant une lignée particulière d’imām-s, ni septimaine, ni duo-décimaine : Adam, Noé, Abraham, David, Jésus, Muḥammad, Abū Bakr, ʿUmar. Les troisième et quatrième califes de l’islam sunnite, ʿUṯmān et ʿAlī, ne sont pas explicitement mentionnés, mais, de manière générale, les successeurs du Prophète pendant les trente ans qui suivent sa mort se rattachent à la lignée des imām-s, après quoi celle-ci s’interrompt.

Par sa nature même, cette synthèse est en pleine contradiction avec le monolithisme malékite almoravide et constitue une tentative d’alternative au système juridique malékite dominant. Rejetant la pluralité des écoles juridiques et prônant l’unicité du message et de son interprétation, le dogme almohade se trouve en totale opposition avec la doctrine officielle des Almoravides, avec le malékisme et avec la masse des commentaires et interprétations accumulée par les juristes dans leurs traités de furūʿ (« applications juridiques »)99. Les attaques sont donc violentes contre le pouvoir des Almoravides100. Présentés comme hérétiques, ceux-ci sont accusés d’être anthropomorphistes, en raison de leur interprétation routinière du Coran et du

ḥadīṯ, et de s’être ainsi éloignés du dogme essentiel de l’islam qui est l’unicité divine, accusation traditionnelle des šafiʿites à l’encontre des ḥanbalites.

L’unité de Dieu devient l’axe central de la propagande almohade jusqu’à leur donner leur nom, les muwaḥḥidūn (« Unitariens »). La radicalité de la contestation du pouvoir almoravide par les Almohades leur permet de prêcher le ǧihād contre les Almoravides101. Cette fois, à la différence de ce qui s’était produit à la fin du XIe siècle, les Almohades n’éprouvent pas le besoin de faire justifier ce ǧihād par des savants, comme les Almoravides l’avaient fait à l’encontre des princes des taifas, accusés de prélever des impôts non coraniques sur leur population et d’avoir trahi la cause musulmane en s’alliant avec les royaumes chrétiens du nord de la péninsule Ibérique. Pour les Almohades, le ǧihād s’impose de lui-même, il est une exigence découlant directement de la Révélation. Cette radicalité, dans la lignée du kharéjisme, rejetait les musulmans non almohades dans le camp de l’impiété (kufr).

En outre la notion de « Mahdī » révèle la dimension eschatologique de la prédication d’Ibn Tūmart. Elle donne un caractère d’urgence à la réforme des mœurs et à la conquête du pouvoir. Les deux types, Mahdī et imām, se complètent l’un l’autre pour donner à l’autorité d’Ibn Tūmart son caractère absolu et obligatoire102. Après tant de siècles chargés d’opprobre et d’injustice, l’imām-Mahdī renoue avec la grande lignée des imām-s interrompue peu après la mort du Prophète Muḥammad. Suivant la

99 J.-C. GARCIN (dir.), États, sociétés et cultures, pp. 209.

100 DIHA, p. 11.

101 R. BASSET, « Ibn Toumert, chef d’État », pp. 438-439.

102 Il n’est pas évident, comme le rappelle Maribel Fierro, qu’Ibn Tūmart ait été considéré comme « Mahdī » de son vivant et il est vraisemblable que cette qualité lui a été attribuée sous le règne de son successeur, le calife ʿAbd al-Mu’min (M. FIERRO, « Le mahdi Ibn Tûmart et al-Andalus »).

trace de ses devanciers, il guide ses contribules et coreligionnaires vers le Salut, en combattant l’erreur, en rétablissant la vérité, le droit et la justice, et en organisant la nouvelle Communauté. Tout en s’insérant dans la tradition prophétique, il se présente seulement comme le seul dépositaire et l’unique interprète, infaillible, de la Loi telle qu’elle a été délivrée par Dieu aux hommes, à travers la Révélation muḥammadienne

B. « Le Parti du tawḥīd » ou la révolution almohade

Réfugié à Tinmāl avec ses fidèles à partir de 1124, Ibn Tūmart met en place les bases de son mouvement. Là encore, les récits censés rapporter les événements de

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