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L’Empire almohade, d’al-Rašīd à al-Wāṯiq, s’inscrit indubitablement dans le prolongement de la période antérieure avec la récupération des titres, honneurs et cadres mis en place sous les premiers califes. Les quelques actes rédigés au nom d’al-Ma’mūn, dont on a vu qu’en 1229 il renie le dogme almohade334 ou au nom d’Ibn Hūd al-Mutawakkil335, qui proclame le rattachement de sa province à l’Empire abbasside de Bagdad, vont fournir un intéressant contre-point pour mettre en valeur la spécificité des Almohades par rapport à leurs voisins ou ennemis.

Au moment de la rédaction des actes que nous présentons aujourd’hui, l’Empire est sur le déclin, il est en train de se décomposer. Ce n’est probablement pas une coïncidence si le seul recueil d’actes de nominations conservé, celui qui est dû à Yaḥyá al-Ḫaḏūǧ, remonte à la période de démembrement de l’Empire et non à celle de sa grandeur politique. Les nominations de fonctionnaires évoquent des personnages, souvent anonymes, portant des titres dont les historiens se sont évertués à définir les contours. Jusqu’à présent, c’est essentiellement à partir des chroniques qu’on a cherché à comprendre la nature de ces titres, et les fonctions qu’ils recouvrent.

334Taqādīm n° 4 et 49 à 51.

Cependant si les auteurs du monde musulman médiéval prenaient souvent soin de décrire et d’expliquer l’apparition de nouvelles catégories, de nouvelles fonctions ou de nouveaux titres, en revanche ils omettaient la plupart du temps d’en tracer l’évolution ou la disparition dans un processus mémoriel d’accumulation infinie.

Les taqādīm donnent un éclairage complémentaire sur ces titres portés par de hauts personnages de l’État almohade, ainsi que sur certaines composantes de la population de l’Empire. Ils permettent aussi d’étudier le fonctionnement de celui-ci : réalité et nature du pouvoir, centres décisionnels et relais provinciaux, fonctions administratives, fiscales, militaires ou juridico-religieuses. Enfin, par leur nature même et par leur caractère répétitif, ils fournissent un lexique de la langue du pouvoir au Maghreb à l’époque almohade.

A. Les différents intervenants

On peut distinguer plusieurs types de mentions concernant les habitants de l’Empire. En premier lieu apparaissent certains titre individuels, ayant un sens spécifique à l’époque almohade : šayḫ-s, ṭalaba (« Doctes »), ḥāfiẓ (« Gardien »). Ces occurrences sont peu nombreuses et concernent une quinzaine de documents sur 77 (≃20 %). En revanche, parce qu’ils sont adressés à la population d’une région dans son ensemble et qu’ils sont destinés vraisemblablement à être lus dans la Grande mosquée, presque tous les actes évoquent les sujets (raʿiyya), et leurs composantes sociales et politiques : « élites » (ḫāṣṣa, kubarā’, aʿyān) et « peuple » (ǧumhūr plus souvent que ʿāmma). Occasionnellement des structures politiques temporaires sont mentionnées, telles les ambassades porteuses de lettres, ou les délégations (wafd, pl. wufūd), représentations officielles de la population d’une ville ou d’une région. Enfin quelques actes concernent les relations entre le souverain et les tribus arabes et confirment que celles-ci forment des entités distinctes du reste de la population des villes et des provinces de l’Empire, tant pour ce qui est de l’administration, que pour le comportement, les logiques de pouvoir et l’autonomie.

1-LES GRANDS « CORPS » DE L’EMPIRE

Dans la première partie, nous avons présenté ces grands « corps » de l’État almohade tels que les historiens modernes les ont décrits à partir des informations glanées dans les sources narratives, principalement les Aḫbār al-Mahdī rédigés par

un auteur berbère contemporain des débuts du mouvement almohade, al-Bayḏaq336, le Mann bi-l-imāma (« Don de l’imāmat ») d’Ibn Ṣāḥib al-Ṣalā, un fonctionnaire

andalusī du maḫzan almohade sous les règnes de ʿAbd al-Mu’min, Yūsuf Ier et al-Manṣūr, donc à la fin du XIIe siècle337, et le Bayān al-muġrib d’Ibn ʿIḏārī, la chronique la plus complète sur l’histoire du Maghreb et d’al-Andalus jusqu’à la fin de l’époque almohade338. Achevé en 1312, cet ouvrage semble avoir fait l’objet d’une « désalmohadisation » pour reprendre le terme d’Émile Fricaud339. L’inconvénient de n’avoir recours qu’à des sources narratives est la dépendance à l’égard du point de vue qui sous-tend invariablement ce type d’ouvrages : tous les auteurs de l’époque sont tournés vers le prince, ils sont attentifs aux moindres événements qui le concernent et peu leur importent les délégués ou la périphérie du pouvoir sauf quand ils entrent en contact avec le souverain, dans sa « sphère », en perturbant son autorité ou en sollicitant son aide. Pour le XIIIe siècle qui nous concerne, non seulement les deux premiers ouvrages ne nous apportent rien, mais en plus leur utilisation peut altérer, voire déformer notre vision du personnel administratif, par l’application artificielle de la réalité qu’ils décrivent sur la période postérieure.

On ne peut guère espérer que quelques occurrences dans les taqādīm

modifient profondément notre connaissance des composantes du pouvoir almohade au XIIIe siècle, d’autant que les sources utilisées émanent des services centraux du pouvoir almohade ; cependant, en soi, la mention postérieure de cette titulature dans des documents non narratifs, d’une nature foncièrement différente de celle des chroniques, est intéressante parce qu’elle peut confirmer, dans des actes de la pratique gouvernementale, ce qui sans cela pourrait n’être qu’une construction essentiellement discursive. En outre, devant le caractère souvent imprécis du vocabulaire et des titres à l’époque médiévale, question sur laquelle nous reviendrons abondamment, ces documents constituent un apport précieux pour préciser ponctuellement le sens des termes.

336 DIHA.

337 IBN ṢAḤIB AL-ṢALA, al-mann bi-l-Imāma, trad. esp. A. HUICI MIRANDA.

338 IBN ʿIḎARI, al-Bayān, t. 5, trad. esp. A. HUICI MIRANDA.

a. Les šayḫ-s et les sayyid-s

Le premier terme sur lequel il convient de s’arrêter, car c’est celui qui apparaît le plus souvent, est le titre de šayḫ. Nous avons présenté la spécificité almohade de cette appellation qui désigne les membres éminents des tribus fondatrices du mouvement almohade, peut-être les membres du Conseil des Dix et de l’ahl al-ǧamāʿā, après la conquête de Marrakech. Ces dignitaires, qui avaient surtout une fonction consultative (šūra), reçurent de ʿAbd al-Mu’min des gouvernorats ou des directions militaires jusqu’en 1157 ; à cette date, le calife almohade désigne un de ses fils comme héritier présomptif en imposant aux dirigeants almohades de lui prêter la

bayʿa, et nomme ses autres fils comme gouverneurs de province avec le surnom de

sayyid (pl. sādat). La plupart des šayḫ-s qui constituaient alors un rouage très important de l’administration centrale et provinciale de l’Empire en formation passent au second plan et doivent se contenter du rôle de conseiller des gouverneurs-sayyid -s. Certains d’entre eux conservent encore de grands pouvoirs à l’ombre du souverain, comme Abū Ḥafṣ ʿUmar al-Hintātī et ses descendants, fondateurs de la dynastie ḥafṣide d’Ifrīqiya.

Il convient de noter que la dignité de šayḫ n’apparaît dans aucun acte de nomination de juge. Il semble évident, vu l’histoire du titre, que celui-ci ne désigne pas un faqīh (« docteur de la Loi »), mais un cadre non religieux de l’Empire. Ainsi seule la première partie du recueil de Yaḥyá est concernée. Le terme apparaît explicitement dans le corps de huit taqādīm (n° 4, 7, 16, 17, 30, 36 et 43) et dans le titre, ajouté par l’auteur du recueil, de deux actes supplémentaires (n° 38 et 39 : fī taqdīm šayḫ qabīla

et taqdīm šayḫ āḫar). Il ne désigne pas toujours la personne nommée, mais parfois, au pluriel (ašyāḫ), les destinataires, comme dans l’acte n° 30 rédigé au nom d’Ibn Hūd. Dans ce cas, il ne vise pas la catégorie des šayḫ-s, dignitaires représentants les tribus fondatrices du mouvement almohade, que combat Ibn Hūd al-Mutawakkil (1228-1238), mais les « Anciens », les personnalités respectées de la ville d’Algésiras. En revanche, dans l’acte n° 17, si les ašyāḫ de Siǧilmāssa apparaissent aussi parmi les destinataires, on a confirmation dans le reste du document que le ʿāmil nommé est bien un šayḫ puisqu’il est dit que « Lui et ses aïeux font partie des premiers šayḫ-s de ce pouvoir éminent » (wa huwa al-sābiqu bi-ḏāti-hi wa salafi-hi fī ašyāḫi haḏa l-amri).

Ce document, un des rares complets, concerne donc un šayḫ et s’adresse en même temps au groupe des šayḫ-s almohades présents à Siǧilmāssa.

En outre, à partir de la précision, présente dans le taqdīm n° 43, que le šayḫ est « célèbre et influent dans le parti (ḥizb) de l’Unitarisme (tawḥīd) », on peut déduire que les n° 3, 9, 19, 20, 21, 24 et 29, qui évoquent l’appartenance de la personne nommée au « parti » (ḥizb ou ṭā’ifa) de l’Unitarisme (tawḥīd) et sa qualité au sein de celui-ci, concernent aussi très certainement des šayḫ-s, l’appartenance au « parti du tawḥīd » constituant sans trop de doute une périphrase pour désigner un šayḫ. Il n’est pas impossible évidemment que d’autres personnalités nommées soient aussi des šayḫ -s, même s’ils ne sont pas désignés explicitement comme tel-s, en particulier le « commandant de la flotte » (qā’id al-usṭūl) du taqdīm n° 2. En effet les chroniques dépouillées par ʿIzz al-Dīn Mūsá mentionnent deux šayḫ-s comme chefs de la flotte entre 1214 et 1269, mais aucun sayyid340. Ainsi, sur 48 nominations de gouverneur ou chefs militaires, dont 46 sont almohades, 16 concernent à coup sûr des šayḫ-s, soit plus de 30 % du total. Cette proportion est notablement inférieure à celle que propose ʿIzz al-Dīn Mūsá pour la période.

En effet cet auteur distingue trois étapes dans les proportions respectives de

šayḫ-s et de sayyid-s parmi les gouverneurs341 :

— Avant la proclamation du califat héréditaire par ʿAbd al-Mu’min (1157), les gouverneurs étaient recrutés parmi les šayḫ-s et les chroniques ne mentionnent qu’un seul fils de ʿAbd al-Mu’min à avoir cette fonction. Au cours de cette première période, ʿAbd al-Mu’min n’avait pas encore bien établi son pouvoir et il avait besoin du soutien des tribus almohades, qui étaient le nerf du mouvement almohade. Il utilisa la fonction gouvernorale pour se rallier les élites locales, les sābiqūn, c’est-à-dire les premiers à se rallier aux Almohades, en particulier en al-Andalus. Mais lorsque les tribus berbères se révoltèrent contre ʿAbd al-Mu’min après la prise de Marrakech, en 1148, les élites provinciales andalusī-s en profitèrent pour s’émanciper. Aussi, lorsqu’il parvint à rétablir son autorité dans la péninsule Ibérique, ʿAbd al-Mu’min ne maintint qu’Abū Bakr Muḥammad b. Sīdrāy Ibn Wazīr comme gouverneur car celui-ci seul lui était resté fidèle. Ce notable de Beja fut nommé pour diriger Silves et sa région où il resta en

340 Voir infra, Tableau 27 : Origine des chefs de la flotte almohade (d’après ʿI. al-D. MUSA, al-Muwaḥḥidūn fī l-Ġarb al-islāmī, p. 269), p. 188.

poste jusqu’en 552/1157, date à laquelle la province du Ġarb fut rattachée à celle de Séville.342 Abū Yaʿqūb Yūsuf (1163-1184) s’inscrit dans la continuité de la politique d’intégration de son père. En 1172, à la mort d’Ibn Mardanīš, lorsque le Šarq al-Andalus entre dans le giron almohade, le souverain nomme un des Banū Mardanīš comme gouverneur de Valence.

— Avec la proclamation du caractère héréditaire du pouvoir califal, ʿAbd al-Mu’min disposa d’un pouvoir quasi absolu. Pour former les cadres du nouvel Empire, il fonda une institution où, aux côtés de ses fils, étaient accueillis les plus prometteurs de ses sujets, les « Gardiens » (ḥāfiẓ, pl. ḥuffāẓ), parmi lesquels de nombreux fils de šayḫ-s. En 551/1156, le calife « accepta la suggestion qu’on lui fit » de nommer tous ses fils comme gouverneurs, redoublant ainsi le pouvoir central califal de son autorité paternelle. Ses successeurs imitent sa politique, ce que permet une descendance nombreuse, puisque les trois premiers califes eurent au moins quinze fils chacun. Durant cette deuxième période, 75 % des gouverneurs sont des sayyid-s.

— À partir du règne d’al-Mustanṣir (1213-1224), la situation change profondément. Les califes dépendent alors de leur entourage et sont contraints de se concilier les dirigeants des tribus almohades, tout-puissants à la cour. Pourtant, malgré l’influence des šayḫ-s et la faiblesse du califat, la proportion de sayyid-s nommés gouverneurs durant cette période reste importante, parce qu’ils incarnent le califat almohade et que les sujets considèrent comme une marque de respect d’avoir à leur tête, non un anonyme, mais un membre de la famille mu’minide. D’après ʿIzz al-Dīn Mūsá, s’appuyant sur les sources narratives, les gouverneurs auraient alors été recrutés à part à peu près égale parmi les šayḫ-s et les sayyid-s343. Cette fois les sayyid-s ne sont plus les fils du calife régnant, trop jeune, mais ses frères et ses oncles.

Califes Sayyid Šayḫ Dirigeants

« locaux »

ʿAbd al-Mu’min av. 1157 1 9 3 ʿAbd al-Mu’min ap. 1157 9 3

Abū Yaʿqūb Yūsuf (1163-1184) 17 3 3 Abū Yūsuf Yaʿqūb al-Manṣūr (1184-1199) 13 2 2 Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Nāṣir (1199-1213) 14 6

342 IBN AL-ABBAR, Ḥullat al-Siyarā’, t. 2, p. 271.

Abū Yaʿqūb Yūsuf al-Mustanṣir (1213-1224) 7 5 ʿAbd al-Wāḥid al-Maḫlūʿ (1224) 8 1 Abū Muḥammad ʿAbd Allāh al-ʿĀdil

(621/1224-624/1227)

4 4 Abū Zakariyya Yaḥyā al-Muʿtaṣim (1227-1229) 1 Abū al-ʿAlá al-Ma’mūn (1227-1232) 6 1

ʿAbd al-Wāḥid al-Rašīd (1232-1242) 3 4 1 Abū l-Ḥasan ʿAlī al-Muʿtaḍid bi-Llāh al-Saʿīd

(1242-1248)

3 2 ʿUmar al-Murtaḍá (1248-1266) 1 5 Abū Dabbūs al-Wāṯiq (1266-1269) 1 2

Total 87 48 9

Tableau 25 : Corps d’origine des gouverneurs provinciaux (extrait de MUSA, al-Muwaḥḥidūn fī l-Ġarb al-islāmī, 1991, p. 181)

Les données fournies par les taqādīm ne coïncident que très partiellement avec celles que ʿIzz al-Dīn Mūsá a extraites des chroniques. L’absence totale de sayyid

nommé dans les actes y est remarquable. Le seul qui soit mentionné est le sayyid

« prince parfait (al-ṭāhir) Ibrāhīm », près du calife régnant al-Murtaḍá dans le taqdīm

n° 6, le texte maintenant la confusion entre le surnom (« Ṭāhir ») du sayyid et la qualité que ce terme désigne (« pur, parfait »). Il n’est pas nommé gouverneur, mais apparaît dans le préambule comme bénéficiaire de la tarḍiya, après l’imām al-qā’im bi-amri Llāhi, en fait le Mahdī, dont l’impeccabilité (iṣma) n’est pas mentionnée, et les califes orthodoxes (al-ḫulafā’ al-rāšidīn), c’est-à-dire les califes orthodoxes almohades344, comme dans les documents de chancellerie du début du XIIIe siècle. En effet les phrases qui suivent, évoquant les conquêtes de l’Orient et de l’Occident en même temps que les ennemis de la foi, la défense des frontières et, surtout, les « adorateurs de la croix » font référence aux califes almohades, de même que l’intégration du père du souverain dans la tarḍiya, dans la plus pure tradition de la chancellerie almohade de l’Empire triomphant.

Quoi qu’il en soit, cette mention est la seule, et aucun autre sayyid n’apparaît dans le recueil. Or les sayyid-s, dont le titre était porté indifféremment par tous les descendants de ʿAbd al-Mu’min, quelle que soit leur génération, sont censés

344 ʿAbd al-Mu’min (1130-1163), Abū Yaʿqūb Yūsuf (1163-1184), Abū Yūsuf Yaʿqūb al-Manṣūr (1184-1199), al-Nāṣir (1199-1213).

représenter encore, d’après ʿIzz al-Dīn Mūsá, la moitié des gouverneurs environ. Aussi, à moins que les normes de chancellerie aient imposé de ne pas préciser l’appartenance de la personne nommée à la descendance de ʿAbd al-Mu’min, ce qui serait assez surprenant, vu que le choix d’un sayyid pour diriger une province était considéré comme un honneur, on peut émettre l’hypothèse qu’à l’exception de ceux qui promeuvent des personnalités locales (n° 6 et 12), tous les actes de nomination de « gouverneurs » présents dans le manuscrit concernent des šayḫ-s345. Les taqādīm

exceptionnels de nomination de sayyid-s ont été écartés, à moins qu’ils n’aient pas existé sous cette forme et que les modalités de désignation des sayyid-s comme gouverneurs aient été différentes. En outre ʿIzz al-Dīn Mūsá ne mentionne qu’un seul dirigeant local pour la période qui nous intéresse (sous le règne d’al-Rašīd), or on dispose d’au moins deux occurrences dans le recueil de Yaḥyá (n° 6 et 12), auxquelles on peut ajouter les šayḫ-s des Arabes (n° 38, 39 et 41) qu’on peut considérer comme des « dirigeants locaux ». Ainsi sur moins d’une cinquantaine de personnes nommées, cinq font partie des élites ralliées, extérieures aux tribus fondatrices de l’Empire almohade, ce qui représente plus de 10 % du total, surtout si on ajoute la délégation de pouvoir (n° 1). Les documents rendent compte dans leur forme même de cette différence, puisqu’ils ne comportent pas la formule conclusive habituelle fa-iḏā wāfā-kum… (« Lorsqu’il arrivera auprès de vous… »), étant donné que la ou les personnes investies sont déjà sur place.

b. Les doctrinaires du régime (ṭalaba-s) et les « Gardiens » (ḥāfiẓ-s)

De ces deux catégories dont l’origine remonte au règne de ʿAbd al-Mu’min et à la période d’établissement du système dynastique impérial, on ne voit apparaître que trois mentions dans l’ensemble du manuscrit. Et encore faut-il noter que l’unique référence concernant un ṭalaba (n° 13) apparaît non dans le corps du taqdīm, mais dans le titre ajouté par l’auteur du recueil (le copiste, Yaḥyá ?) : wa fī taqdīmi aḥadi l-ṭalabati (« pour la nomination d’un ṭalaba »). On se rappelle que ʿAbd al-Mu’min avait repris la pratique d’Ibn Tūmart d’envoyer des prédicateurs-missionnaires promouvoir

345 Cela ne contredit que modérément l’affirmation de ʿIzz al-Dīn Mūsá selon laquelle : « Lorsqu’al-Ma’mūn abandonna les symboles du mahdisme, l’existence du corps cessa » dans la mesure où la restauration du dogme almohade sous le calife al-Rašīḍ, fils d’al-Ma’mūn, conduisit à la restauration des anciens titres et privilèges (ʿI. al-D. MUSA, al-Muwaḥḥidūn fī l-Ġarb al-islāmī, p. 146).

la Cause (daʿwa) de l’Unitarisme (tawḥīd) auprès des tribus pour propager le dogme almohade, en faisant du groupe informel de disciples missionnaires du Mahdī un corps institutionnel d’inspecteurs-doctrinaires. Cette fonction pourrait avoir perduré au

XIIIe siècle comme semble le confirmer le taqdīm n° 13 qui est le seul à indiquer les fonctions « didactiques » de la personne nommée : wa yuʿlimu mā fāwaḍnā-hu bi-hi min al-wiṣāyā al-latī waṣṣá Allāhu taʿālá bi-hā ʿibāda-hu fī qawli-hi… (« et il enseignera les recommandations dont nous l’avons entretenu, celles que Dieu Très-Haut a adressées à ses sujets dans Sa parole… »). En outre la personne nommée était d’un très grand prestige, puisqu’elle est qualifiée de « plus illustre des grands notables almohades » (al-muqaddam fi l-ǧalla min kubarā’i-hā) et il se pourrait qu’elle ait été liée à la famille régnante par le sang ou par des liens matrimoniaux, comme l’indique peut-être l’expression wa huwa min-nā al-qarību l-qarābati. D’ailleurs ce taqdīm est l’un des rares à utiliser la racine NWB, sur laquelle nous reviendrons, sous la forme

manābu-hu. Il convient de rappeler que la niyāba (« délégation ») était le mode de gouvernement des Almoravides, abandonné par les Almohades au profit de la centralisation califale346. On ne s’étonnera pas à l’inverse de voir réemployés cette racine et ce concept dans les actes émis au nom d’Ibn Hūd al-Mutawakkil347.

En ce qui concerne les ḥāfiẓ-s, on en trouve deux mentions dans des contextes différents. Dans le taqdīm n° 1, le souverain accorde une délégation du pouvoir de nomination à un responsable d’al-Andalus : il convient que celui-ci ne nomme que des personnes de confiance et les trois « emplois » cités, sur le même plan, sont ceux de « Gardien » (ḥāfiẓ), de percepteur (ʿāmil) et de juge (qāḍī) : wa staʿmilū fi-hā man tarawna istiʿmāla-hu wa tarḍawna istiqlāla-hu min ḥāfiẓin wa qāḍin wa ʿāmilin (« Nommez aux fonctions de Gardien, de juge ou de percepteur, ceux que vous jugez [aptes] et dont vous appréciez le sens des responsabilités »). Dans le taqdīm n° 10, il est vraisemblable que « votre ḥāfiẓ » désigne Fulān, la personne nommée, mais il n’est pas exclu non plus qu’il s’agisse de quelqu’un d’autre, et que toutes deux puissent appartenir à la catégorie générale des wulāti-kum (« vos gouverneurs »), mentionnée à la fin de l’acte. Ainsi, de ces deux occurrences, il appert que le terme de ḥāfiẓ désigne

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