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I. 2 …Aux membranes modèles

I.2.2 La séparation de phase dans les bicouches lipidiques

I.2.2.4 Origine de la séparation de phase

Supposons une membrane lipidique composée de deux lipides A et B. Le lipide A possède une température de transition de phase (TA) inférieure à celle du lipide B (TB). Si on considère un mélange lipidique de proportion 1:1 une phase liquide Lα et une phase gel Lβ

coexistent entre les températures de fusion des deux lipides (entre TA etTB). La phase liquide est enrichie en lipide dont la température de fusion est la plus basse (A), alors que la phase gel est enrichie en lipide dont la TM est la plus élevée (B). Comme la glace dans l’eau liquide, les domaines gel flotteront dans l’environnement fluide. Il s’agit sans doute là du mode le plus simple de formation de domaines dans les membranes lipidiques. La miscibilité lipidique complète est atteinte au-dessus de la température de fusion du lipide B.

I.2.2.4.1 Influence des chaînes d’acides gras sur la séparation de phase

Une séparation de phase significative peut se produire même en présence de petites variations dans la structure lipidique. Un mélange de PCs avec différentes longueurs de chaînes en est un exemple classique. Le comportement non idéal de ce type de mélange est provoqué par le mésappariement hydrophobe des chaînes acyles puisque les têtes polaires sont identiques. Les auteurs (Knoll et al., 1991; Silvius et al., 1996) ont étudié les diagrammes de phase d’un même phospholipide en faisant varier systématiquement la longueur des

chaînes d’acides gras. La séparation de phase latérale est apparue quand les chaînes acyles différaient de quatre groupes CH2 ou plus.

Figure I-20. Diagrammes de phase de DLPC/DPPC (a) et DMPC/DSPC (b). Il existe une

différence de quatre groupes CH2 entre chaque type lipidique dans chacun des mélanges. Une coexistence entre les phases liquide (L) et solide (S) apparaît dans les deux diagrammes. D’après (Knoll et al., 1991; Silvius et al., 1996).

Le diagramme de phase de la figure I-20 (a) montre le cas d’un mélange DLPC/DPPC (Dilauroylphosphatidylcholine (C12)/ Dipalmitoylphosphatidylcholine (C16)). Il existe une immiscibilité dans la phase solide qui mène à une séparation solide/solide de 0 à 60 mol% DPPC, et dans laquelle deux phases solides caractéristiques de chacun des deux phospholipides coexistent (séparation de phase gel (S1) et (S2)). Au-dessus de 60 mol% DPPC, la bicouche adopte préférentiellement la phase solide caractéristique du DPPC et la bicouche devient uniforme en structure. Des phases liquide et solide coexistent entre les températures de transition de phase des deux phospholipides et une miscibilité complète apparaît à l’état liquide. La figure I-20 (b) indique un comportement similaire pour des

homologues lipidiques de DLPC et DPPC de deux unités CH2 supplémentaires: DMPC

(Dimyristoylphosphatidylcholine (C14)) et DSPC (Distéroylphosphatidylcholine (C18)). Le diagramme montre cependant qu’à basse température une miscibilité des deux lipides existe jusqu’à 35 mol% de DSPC en phase gel (S1).

Lorsque ce sont les longueurs des chaînes d’un même lipide qui sont inégales, la formation de la bicouche doit impliquer l’interdigitation des chaînes pour mieux remplir l’espace, ce qui peut donner lieu à des phases différentes. Mason a réalisé une étude sur un mélange lipidique, consistant en un phospholipide symétrique (DSPC) et un phospholipide de

tête polaire identique, mais asymétrique c’est-à-dire dont les longueurs de chaînes sont différentes (C18-C10-PC) (Figure I-21) (Mason, 1988). L’une des deux chaînes perturbe la bicouche lipidique en raison de sa longueur plus courte de huit unités CH2, et mène à un comportement de phase particulier : trois immiscibilités différentes sont observées à l’état solide (S1, S2, S3). Dans l’état solide S1, pour de faibles proportions du lipide asymétrique, une bicouche lipidique « normale » se forme, sans interdigitation ni compensation des défauts causés par le lipide asymétrique. En revanche, pour des concentrations supérieures à 50 mol% C18-C10-PC, deux phases apparaissent et coexistent : une phase S2 où la bicouche lipidique est partiellement interdigitée, laissant des « trous » pour la DSPC symétrique, et la phase S3, consistant seulement en des C18-C10-PC dont les chaînes sont interdigitées.

Figure I-21. Miscibilité du DSPC avec un phospholipide hautement asymétrique (C18-C10 -PC). En fonction de la quantité du lipide asymétrique, trois différents types de phases solides sont observées. D’après (Mason, 1988).

En résumé, la longueur et le niveau d’ordre des chaînes acyles des différents lipides constitutifs d’une membrane vont influer sur la partition latérale de ces lipides. Si la différence de taille des chaînes acyles de deux lipides en présence est très importante, il peut survenir un mésappariement hydrophobe entraînant une séparation de phase de façon à diminuer au maximum le niveau d’énergie du système : les lipides présentant des longueurs de chaînes compatibles se distribueront préférentiellement entre eux.

I.2.2.4.2 Influence de la tête polaire sur la séparation de phase

Les exemples les plus communs de formation de domaines impliquent des situations dans lesquelles les deux lipides diffèrent sensiblement. Ceci peut résulter : i) de différents types de têtes polaires, ii) de lipides dont la différence de température de transition de phase est très grande, iii) de mélanges de lipides avec du Chol.

1. Mélanges de glycérophospholipides

Silvius (Silvius, 1986) a publié des études de phase dans lesquelles les miscibilités de lipides de longueur de chaînes acyles identique mais de têtes polaires différentes ont été analysées. Des paires de lipides (chargé/neutre ou neutre/neutre) ont été comparées les unes

aux autres (PS, phosphatidylsérine ; PE, phosphatidyléthanolamine ; PA, acide

phosphatidique ; PC, phosphatidylcholine). La plupart des systèmes ont montré une immiscibilité solide/solide, et une miscibilité complète à l’état liquide. De plus une large région de coexistence de phase entre les phases liquides et solides a été mise en évidence, en raison de températures de transition de phase fortement différentes. Les auteurs en ont conclu que les différences chimiques entre les têtes polaires n’étaient pas assez significatives pour induire le phénomène de séparation de phase dans ces mélanges lipidiques lorsqu’ils sont à l’état fluide.

2. Mélanges de glycérophospholipides/sphingolipides

Les sphingolipides et les phospholipides (tels que DMPC ou DPPC) montrent une séparation de phase aussi bien à l’état solide qu’à l’état liquide. Ils partagent de plus une coexistence de phases entre les deux températures de fusion des lipides (Gardam and Silvius, 1989; Holopainen et al., 2001; Koynova and Caffrey, 1995). Les sphingolipides et les phospholipides possèdent des structures très différentes si on considère leurs têtes polaires et leurs chaînes hydrophobes, il en résulte une température de transition de phase plus élevée pour les sphingolipides (Boggs, 1987). Ceci explique les effets importants de séparation de phase latérale observés dans ce type de mélange binaire. Les sphingolipides montrent une cohésion latérale très forte à température physiologique. Comme nous l’avons vu dans la première partie de l’introduction, le regroupement préférentiel des sphingolipides entre eux est la conséquence de divers effets :

• La présence d’un groupement hydroxyle et d’un groupe amide dans le squelette

que donneurs et accepteurs de liaisons hydrogène, les phospholipides ne pouvant être qu’accepteurs.

• L’établissement de liaisons hydrogène entre les têtes saccharidiques des

glycosphingolipides.

• La différence en longueur et en degré de saturation des sphingolipides

comparativement à celles des phospholipides dictant des interactions hydrophobes et de van der Waals plus fortes.

Au sein d’une membrane lipidique, les propriétés des sphingolipides vont donc les conduire à ségréger et à former des domaines enrichis en sphingolipides.

I.2.2.4.3 Cholestérol : action sur les glycérophospholipides et les sphingolipides

1. Glycérophospholipides/Cholestérol

Pour comprendre le mode d’action du Chol, référons-nous au diagramme de phase de la figure I-22 qui indique le comportement phasique d’une bicouche composée d’un mélange de DPPC-Chol.

Jusqu’à une concentration de 10 mol% Chol et pour une température allant jusqu’à 42°C, température de transition de phase de la DPPC, une phase solide ordonnée unique persiste. Au-delà de 10 mol% Chol, une nouvelle phase fluide apparaît : la phase lo (phase liquide ordonnée). Jusqu’à 30 mol% Chol, la phase lo coexiste en équilibre avec la phase solide SO pour des températures inférieures à 42°C, et avec la phase ld (phase liquide désordonnée) pour des températures supérieures à 42°C. La phase lo seule persiste à des niveaux de Chol plus élevés, et on observe la disparition de la transition de phase du DPPC. Il n’y a donc plus de différence entre l’état liquide et l’état cristallin de la DPPC dans un mélange contenant plus de 30 mol% Chol. La phase lo sera définie plus en détails dans la sous-partie I.2.2.5 qui suit.

Figure I-22. Influence du Chol sur la structure de la bicouche lipidique composée d’un

mélange DPPC-Chol. Une nouvelle phase apparaît pour des quantités de Chol supérieures à 10 mol% : la phase lo. La transition de phase disparaît pour des niveaux supérieurs à 30 mol% Chol, pour laisser place uniquement à la phase lo. D’après (Sankaram and Thompson, 1991).

Les interactions des glycérophospholipides avec le Chol diminuent dans l’ordre suivant : PC> PS> PE. Elles sont favorisées lorsque les chaînes aliphatiques sont pleinement saturées (Silvius, 2003).

2. Sphingolipides/Cholestérol

Les bases de l’interaction du Chol avec les sphingolipides et les phospholipides ont déjà été abordées précédemment. Brièvement, cette interaction repose sur la capacité des chaînes acyles lipidiques à s’apparier avec le squelette rigide hydrophobe du Chol. Les interactions hydrophobes et de van der Waals sont les meilleures lorsque les chaînes hydrophobes sont longues et dépourvues d’insaturation, ce qui favorise largement les sphingolipides. Ceux-ci ont de plus la particularité d’établir des liaisons hydrogène avec le groupement hydroxyle du Chol. Cependant, les phospholipides sont en mesure eux aussi de s’associer de façon étroite avec le Chol, en particulier lorsqu’ils sont saturés, et comme l’indique le diagramme de la figure I-22, ces relations conduisent sous certaines conditions à l’établissement d’une séparation de phase et à l’émergence d’une nouvelle phase lipidique fluide ordonnée dite lo.

Dans une membrane composée de phospholipides ou de sphingolipides, le Chol aura pour effet d’augmenter la rigidité membranaire tout en maintenant une mobilité latérale élevée. L’addition de Chol mène également à un important effet de condensation de la membrane, ainsi, ajouté à une bicouche de DPPC, le Chol réduit l’aire membranaire du DPPC

membranaire. La mobilité latérale est cependant favorisée en raison des dimensions plus petites de la molécule de Chol par rapport à celles du DPPC.