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II. FORMATION DE DOMAINES “RAFT-LIKE” DANS DES LUVS MARQUEES

II.1 Introduction

L’intérêt actuel porté sur les microdomaines membranaires ou radeaux lipidiques est la conséquence de leur rôle fonctionnel putatif dans des processus tels que la transduction du signal (Simons and Toomre, 2000), l’adressage de protéines et lipides (Simons and van Meer, 1988), le transport de Chol (Simons and Ikonen, 2000) et l’endocytose (Sharma et al., 2002). Une approche biochimique des radeaux lipidiques a émergé lorsque des membranes résistantes aux détergents (DRMs) ont été isolées à partir de lysats cellulaires, après traitement par des détergents à certaines températures et rapports détergent/masse cellulaire (Schuck et al., 2003).

La tentative de corréler les informations acquises d’études sur les DRMs aux propriétés des radeaux dans les membranes cellulaires vivantes a conduit à des investigations sur des membranes modèles, présentant une coexistence de phase lo/ld dans des conditions physiologiques (Dietrich et al., 2001a). Des diagrammes de phase de mélanges lipidiques « pro-raft » ont été construits pour établir la composition et les limites de phase des domaines lo dans des monocouches ainsi que dans des systèmes de vésicules membranaires tels que les MLVs, LUVs, GUVs (de Almeida et al., 2003; Veatch and Keller, 2002). Ces systèmes ont été utilisés dans le but de caractériser la taille des domaines lo dans le cas particulier des mélanges lipidiques ternaires composés de PC/SM/Chol, par des méthodes de transfert d’énergie de fluorescence résolue dans le temps (de Almeida et al., 2005).

Dans ce travail, nous nous sommes intéressés à la mise au point d’une méthodologie permettant une estimation quantitative de la fraction membranaire en phase lo dans les membranes hétérogènes de type LUVs. La membrane modèle LUV examinée est constituée de PC/SM/Chol 2:1:X (avec une valeur de X allant jusqu’à 45 mol%) et obtenue après extrusion à travers des filtres de polycarbonate de 100 nm. Les propriétés de « self quenching » - que nous désignerons ici par les termes auto-extinction - dépendantes de la

concentration du C12NBD-PC, phospholipide marqué, ont été mises à profit pour révéler la coexistence de phase lo/ld et estimer les fractions de surface membranaire en phase liquide désordonnée et liquide ordonnée, Φd et Φo respectivement (avec la condition Φd + Φo = 1).

Les analogues lipidiques de NBD (nitrobenzoxadiazole), NBD-PE (marqué au niveau de la tête polaire) et NBD-PC (liaison possible au NBD au niveau de différentes positions sur les chaînes) ont été utilisés dans de nombreuses études impliquant les membranes biologiques et modèles (Chattopadhyay, 1990). L’intensité de fluorescence du NBD est modulée par deux phénomènes :

- l’effet de l’environnement sur la fluorescence du NBD, autrement dit la composition et la structure de la membrane (tout particulièrement l’état de la phase) (Brennan et al., 1990; Chattopadhyay and London, 1988; Mazeres et al., 1996),

- l’auto-extinction de fluorescence du NBD de façon dépendante de sa concentration dans les membranes lipidiques (Brown et al., 1994).

Mazeres et collaborateurs (Mazeres et al., 1996) ont montré que la réponse de fluorescence du groupe NBD était fortement dépendante de la structure chimique et de l’état physique des phospholipides en présence, ainsi que de la structure chimique de la sonde lipidique elle-même. Parmi les différents paramètres de fluorescence étudiés (les déplacements de Stokes, les rendements quantiques...), ce sont les rendements quantiques qui se sont montrés de loin les plus sensibles à ces facteurs structuraux et environnementaux, tandis que les déplacements de Stokes n’étaient pratiquement pas affectés. Ainsi toujours dans cette étude, les auteurs ont observé que selon la sonde phospholipidique et les phospholipides en présence, l’émission de fluorescence du groupe NBD variait jusqu’à un facteur 5. De plus, comme cela l’avait été initialement proposé par Hoekstra (Hoekstra, 1982), l’auto-extinction a été reconnue comme un mécanisme dominant dans le changement du rendement quantique de fluorescence du NBD dans les membranes lipidiques.

Une autre caractéristique importante des analogues lipidiques NBD est leur distribution inégale entre les différentes phases lipidiques coexistant dans une membrane lipidique. La plupart des études utilisant des analogues lipidiques marqués avec du NBD ont été réalisées avec le NBD-PE, marqué au niveau de la tête polaire, ou avec des analogues marqués au niveau des chaînes d’acide gras (Mesquita et al., 2000). Les analogues NBD-PCs marqués au niveau des chaînes semblent perturber la structure de la bicouche plus fortement

est lié aux chaînes, l’emplacement du NBD dans la membrane doit imposer des contraintes stériques et polaires dans la région hydrophobe de la bicouche lipidique selon la position du NBD et la longueur des chaînes hydrocarbonées de PC. Il a été également suggéré que le NBD lié à l’extrémité d’une chaîne acyle a tendance à s’approcher de l’interface lipide-eau, induisant une torsion de la chaîne hydrocarbonée (Chattopadhyay, 1990; Chattopadhyay and London, 1988; Huster et al., 2001). Ce qui en résulte est une exclusion presque totale de l’analogue lipidique (cas du C12NBD-PC) des phases liquides ordonnées, et une accumulation préférentielle du lipide marqué dans les phases désordonnées (Mesquita et al., 2000). Ceci a été exploité pour la visualisation directe de la ségrégation lipidique en domaines riches en Chol, dans des monocouches contenant des phases liquides ordonnées excluant la sonde fluorescente (Worthman et al., 1997).

La coexistence de domaines en phase lo/ld dans des bicouches de GUVs et des monocouches, de composition lipidique variable, a été observée directement par microscopie de fluorescence en utilisant différents analogues lipidiques fluorescents (Dietrich et al., 2001a; Veatch and Keller, 2002). De façon générale, les molécules fluorescentes amphiphiles montrent une préférence pour l’une des deux phases, probablement à cause de la perturbation structurale qu’elles induisent, comme c’est le cas lors de la perturbation stérique résultant de la présence d’un fluorophore encombrant, du mésappariement hydrophobe de chaînes hydrocarbonées différentes, etc. Il apparaît que la phase ld accommode plus efficacement les analogues lipidiques fluorescents. Veatch et Keller (Veatch and Keller, 2002) ont par exemple

observé la coexistence de domaines en phase lo et ld dans des GUVs composées de

PC/SM/Chol dans des proportions différentes, en utilisant la Texas Red di(16:0)PE comme marqueur se distribuant dans la phase pauvre en Chol. Par ailleurs, des études de notre équipe sur des mélanges de composition semblable ont utilisé le C12NBD-PC, qui révèle les

domaines en phase lo comme des tâches sombres baignant dans une membrane de GUV

brillante en microscopie de fluorescence (Staneva et al., 2004; Staneva et al., 2005). Ainsi les observations en microscopie de fluorescence (possibles sur les GUVs mais pas sur les LUVs) ont mis en évidence une distribution largement préférentielle de la sonde dans les domaines en phase ld de la membrane.

Les résultats obtenus avec les GUVs mettent en exergue la capacité de la sonde C12NBD-PC seule à mettre en évidence la coexistence de phase lo/ld dans une membrane hétérogène. Il nous est permis de penser qu’il en va de même pour l’examen avec le C12NBD-PC de l’hétérogénéité des membranes de type LUVs. Jusqu’ici les études en

fluorescence de la microhétérogénéité membranaire lo/ld des MLVs ou LUVs ont toujours impliqué deux sondes lipidiques différentes. Ces méthodes étaient basées sur l’extinction de fluorescence au niveau de MLVs, du DPH par la 12SLPC par exemple (Ahmed et al., 1997; Xu et al., 2001), ou le transfert d’énergie de fluorescence (FRET), entre la NBD-PE et la Rhod-PE par exemple, dans les LUVs (de Almeida et al., 2005; Loura et al., 2001). Cependant, cette approche apparaît complexe en raison de la distribution différente des sondes lipidiques entre les phases lipidiques, d’où l’intérêt de l’utilisation d’une seule molécule fluorescente rapportant la coexistence de phase.

Dans ce travail, nous avons examiné la coexistence de phase lo/ld dans les membranes de type LUVs en utilisant la propriété d’auto-extinction de fluorescence dépendante de la concentration du C12NBD-PC seul. Nous avons observé une diminution de l’intensité de fluorescence dépendante de la température, que nous avons interprété comme la conséquence de la formation et de la croissance en taille des domaines en phase lo présents au niveau de la membrane des LUVs. Cette explication se justifie par l’effet de la présence de domaines en phase lo dans la membrane lipidique, qui se concrétise par la diminution effective de l’espace membranaire disponible pour les espèces de C12NBD-PC lesquelles s’accumulent préférentiellement dans la phase ld. La concentration locale en fluorophore dans la phase ld

augmente et le rendement quantique diminue. Nous avons utilisé cet effet pour estimer la fraction de la membrane de LUV occupée par les phases lo et ld en fonction de la température et du ratio molaire de Chol X compris entre 0 et 45 mol%, pour des compositions de LUV étant PC/SM/Chol 2:1:X.