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Origine de l’interventionnisme et caractéristiques spécifiques au secteur agricole

Chapitre 2. Spécificités du système de gouvernance des exploitations laitières et adaptation du cadre

2. Origine de l’interventionnisme et caractéristiques spécifiques au secteur agricole

L’agriculture est un secteur économique où l’intervention étatique est présente en permanence depuis plus d’un demi-siècle dans la majorité des pays industrialisés. Nous nous intéressons au contexte initial ayant amené les gouvernements à intervenir en agriculture en Amérique du Nord et en Europe. La compréhension des raisons qui poussent les pouvoirs publics à « gouverner », du moins en partie, l’agriculture et l’approche historique de cette régulation permettent de caractériser ce secteur économique au XXIème siècle et par conséquent de différencier les exploitations agricoles des autres TPE en général.

2.1. Histoire de l’interventionnisme en agriculture

Au début du XXème siècle, le secteur nord-américain de la production agricole se transforme, les exploitations passant de la ferme traditionnelle destinée aux besoins alimentaires du foyer, à la ferme commerciale fournissant des denrées à la population urbaine. Cette transformation s’accentue avec les besoins alimentaires des pays européens au cours des deux Guerres Mondiales. Pour réussir à nourrir les deux continents, les exploitations agricoles des États- Unis et du Canada ont augmenté leur capacité de production et leur efficacité technique, notamment grâce à une utilisation accrue d’intrants et d’importants investissements. Ceux-ci ont généré une seconde transition, celle de l’augmentation du capital et de la diminution de la main-d’œuvre dans les exploitations. Lorsque la paix est revenue, la demande en produits alimentaires a diminué et les agriculteurs n’ont pas été en mesure de réduire leur offre : la nouvelle structuration de la production ne permettait pas le retour à l’état initial. Les producteurs ont dû maintenir leur niveau de production et de revenu pour rembourser les emprunts contractés durant la guerre et destinés à financer la transformation de l’outil de production. Cela a eu comme résultat un surplus de denrées qui a généré une baisse des prix et des revenus agricoles, devenus nettement inférieurs à ceux des foyers non agricoles. Cette situation de crise rurale caractérisée par la disparité des revenus des foyers agricoles et non-

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agricoles (Offutt 2000) a été dénommée Farm Problem20 qui a alors justifié les premières aides gouvernementales dans l’agriculture nord-américaine, dont l’objectif visait à stabiliser le secteur qui affrontait des difficultés ingérables par les producteurs.

En Europe, l’agriculture de l’après Seconde Guerre Mondiale se caractérisait par un manque de productivité lié à des structures et des techniques de production peu modernes. La Communauté Économique Européenne (CEE) créée en 1957 par le traité de Rome21 vise la création d’une union douanière permettant la libre circulation des biens et services, personnes et capitaux, ainsi que la mise en place de politiques communes aux États membres, telles que la Politique Agricole Commune (PAC). À son origine, les objectifs de la PAC étaient l’accroissement de la productivité et des revenus, la stabilisation des marchés et l’approvisionnement des consommateurs européens à des prix raisonnables. Pour atteindre ces buts, divers outils ont été mis en place, tels qu’une protection des frontières, des prix garantis aux producteurs et un financement national et européen de l’agriculture.

Bien que le contexte et les objectifs des premières politiques agricoles aient été différents entre l’Amérique du Nord et l’Europe, une caractéristique commune les unit : leur permanence jusqu’à aujourd’hui. Celle-ci s’explique par la structure économique particulière de ce secteur qui fait d’ailleurs partie de la définition du « Farm Problem ».

2.2. Caractéristiques économiques et financières du secteur agricole

Les particularités du secteur agricole qui incitent encore aujourd’hui les gouvernements à y intervenir différencient les TPE agricoles des autres TPE. Gouin (2004) présente une analyse de ces caractéristiques, que nous exposons dans cette section. Cet auteur mentionne que la spécificité du secteur provient de la combinaison de ces caractéristiques dans un même secteur économique et non de leur présence individuelle.

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La définition du Farm Problem est : « low and unstable incomes, generated by the particular economic structure of agricultural economy », soit la présence de revenus faibles et instables générés par la structure économique particulière de l’agriculture.

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Dans un premier temps, la demande des produits agricoles est définie comme étant

inélastique22, ce qui signifie que la demande alimentaire agrégée ainsi que la demande

individuelle pour la majorité des produits agricoles sont peu sensibles aux variations des prix ou des revenus de la population. Par conséquent, une petite augmentation de l’offre mondiale implique une diminution du prix mondial de plus grande amplitude. Toutefois, puisqu’au niveau de l’exploitation, la quantité vendue par un producteur n’influence pas le prix mondial les producteurs, lorsqu’ils n’ont pas de restriction sur les quantités à produire, tentent de maximiser leur production pour maximiser leur revenu. S’ils ressentaient l’inélasticité de la demande au niveau de l’exploitation, ils tenteraient plutôt d’équilibrer l’offre et la demande. Puisque chaque producteur tente ainsi de maximiser sa production, l’offre mondiale est fréquemment excédentaire, ce qui est la principale cause de la diminution des prix mondiaux. Ce phénomène incite les pouvoirs publics à soutenir les prix aux producteurs ou encore à leur imposer des quotas de production.

Les filières agricoles se caractérisent également par une forte concentration des acheteurs (transformateurs et distributeurs) qui commercent avec un nombre élevé de producteurs. Ce déséquilibre crée un rapport de force inégal, aggravé par le manque de concurrence entre les transformateurs sur un territoire géographique donné. La présence de ces intermédiaires est pourtant nécessaire à la survie de nombreuses filières dont les produits (lait, viandes, céréales) nécessitent en général d’être transformés avant d’être consommés. Dans la plupart des cas, ces intermédiaires ne sont pas affectés négativement par les variations du prix de marché, répercutant plutôt leurs impacts sur les consommateurs ou les producteurs. En règle générale, les producteurs agricoles sont les grands perdants de cette concentration du fait du faible nombre de distributeurs, qui cherchent à se différencier les uns des autres en diminuant le prix aux consommateurs. En réaction à cette situation, nous voyons aujourd’hui réapparaître des circuits de commercialisation qualifiés de circuits courts visant à éliminer au maximum les distributeurs et transformateurs. Dans ces deux types de circuits (conventionnel ou court), le rôle des clients (transformateurs, distributeurs ou consommateurs) nous apparaît déterminant dans le fonctionnement de l’entreprise en raison de la quasi absence de clients de substitution et des difficultés liées au changement de canal de commercialisation.

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Le concept d’élasticité représente la variation de la demande pour un produit, suite à une variation de 1 % du prix du produit (élasticité-prix), du prix d’un autre produit (élasticité-croisée) ou encore du revenu de la population (élasticité-revenu).

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Une autre particularité du secteur agricole concerne les variations cycliques de l’offre des

produits liées à des cycles de production longs qui se répercutent sur le fonctionnement des

exploitations agricoles. Le producteur décide de son volume de production en fonction des conditions du marché à un temps t, conditions qui peuvent être différentes de celles qui les régiront lorsque les produits seront offerts. Ce décalage a un impact sur la trésorerie et la comptabilité des exploitations. Une offre souvent saisonnière et des prix pouvant varier au cours des cycles de production obligent alors les agriculteurs à gérer des périodes à faible ou forte trésorerie. Les exploitants peuvent difficilement stocker une partie de leur production, ce qui permettrait de réguler leur offre individuelle lorsque les prix sont faibles. Les pouvoirs publics interviennent alors en instaurant des systèmes de stockage publics ou encore en subventionnant le stockage privé afin de pallier la difficulté de faire coïncider l’offre et la demande à un temps t.

Une autre caractéristique économique importante de ce secteur est la forte compétitivité

entre les exploitations agricoles et entre les pays producteurs, notamment du fait, dans ce

dernier cas, des conditions climatiques ou des coûts de main-d’œuvre différenciés. C’est pourquoi plusieurs états ont instauré des systèmes de protection des importations ou des programmes de subventions des exportations.

Les caractéristiques financières des exploitations agricoles influencent également leur gouvernance (Barry et Robison 2001). Malgré la petite taille de celles-ci, ce secteur se caractérise par une forte intensité capitalistique avec une proportion élevée d’actifs de

long terme à faible liquidité fortement consommateurs de financement à long terme. De

plus, la plupart de ces actifs (terre, matériel, équipement, bâtiments et main-d’œuvre) sont spécifiques et donc difficilement transférables techniquement et géographiquement pour un usage alternatif. Le fait que les producteurs agricoles, tout comme les propriétaires/dirigeants des TPE soient réticents à l’ouverture du capital à des investisseurs externes au cercle familial ainsi que le manque d’institutions spécialisées dans la transmission du capital externe aux exploitations agricoles (McMahon et al. 1993) imposent des financements reposant majoritairement sur les fonds propres des propriétaires et l’emprunt auprès des banques. Cette caractéristique marque le rôle prépondérant de la famille et des associés ainsi que des banques dans la gouvernance des exploitations agricoles. En détenant le capital, ils sont en effet les acteurs-clé de la croissance et de l’innovation au sein de ces TPE agricoles.

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Plusieurs autres caractéristiques non négligeables sont également à prendre en compte, notamment la soumission de la production agricole aux variations météorologiques, biologiques, politiques et sociales. Le dirigeant d’exploitation agricole doit ainsi prendre des décisions stratégiques en jonglant avec toutes ces spécificités, qui se rajoutent à celles liées à la petite taille des exploitations. En outre, chaque production a également ses spécificités, notamment le lait, objet de cette étude, qui est un produit (Chatellier 2008b) :

- périssable à court terme, ce qui impose des infrastructures spécifiques et des contrats commerciaux entre producteurs et transformateurs d’une zone géographique restreinte. Cette caractéristique entraîne une interdépendance d’autant plus forte pour les producteurs qu’ils ne sont en mesure ni de stoker ni de transformer une grande quantité de leur lait ;

- composé essentiellement d’eau, ce qui génère des coûts de transport élevés qui limitent, en plus de son caractère périssable, les échanges sur de longues distances ; il doit nécessairement subir une transformation pour être exportable ;

- sujet à de fortes variations de prix mondial, à une demande peu élastique et à une offre à court terme rigide, liée au cycle de production.

Ces contraintes inhérentes au produit rendent les TPE laitières moins flexibles que les TPE des autres secteurs économiques et amplifient les problèmes liés à leur financement. Nous verrons au cours de la prochaine section que l’intervention des pouvoirs publics a dans la plupart des cas l’objectif de contrecarrer les problèmes liés à l’inélasticité de la demande, les variations cycliques de l’offre et la forte compétitivité entre producteurs afin d’amoindrir l’impact de ces problèmes sur la performance des exploitations.

3. Comparaison des systèmes de gouvernance des TPE laitières françaises