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1-1. Au départ, des actes de charité et de foi

À l’origine, la solidarité est très fortement liée à la violence et à la maladie d’une part, mais

aussi et surtout à la religion de l’autre. Selon P. Ryfman, « elle s’alimente à de profondes

références, religieuses comme philosophiques, qui la caractérisent ». Chez les juifs, il y a la

Tsedaka (une obligation d’assistance à l’orphelin, à la veuve et au pauvre). Le christianisme

avait développé une intense activité d’assistance, avec beaucoup d’importance à la valeur de

la Caritas, l’amour du prochain. Chez les musulmans, existent « la Zâkat (l’aumône), sorte

d’impôt obligatoire, et la Sadaqua (l’aumône spontanée), également recommandée »

(Ryfman, 2004 : 9). L’aumône est l’un des cinq piliers fondamentaux de l’Islam et tout

musulman qui a les moyens matériels et financiers nécessaires doit s’en acquitter. Dans le

bouddhisme, on considère l’aspiration au désintéressement comme un devoir. Deux autres

facteurs contribuent grandement au développement des actions humanitaires et de solidarité.

Le premier c’est « l’émergence à partir du XVII

ème

siècle d’un droit international qui s’efforce

de promouvoir une réglementation des conflits armés inter étatiques » (Brauman, 2000 : 26),

avec notamment le juriste néerlandais Grotius. Ce grand humaniste fonde le droit international

public avec son traité De jure belli ac Pacis (le droit de la guerre et de la paix, 1625). Le

second facteur est l’effervescence intellectuelle des Lumières qui mirent en avant, pour la

première fois, la référence à « l’humanité » ou à la « vertu d’humanité » (Ryfman, 2004 : 9).

Si l’assistance humanitaire ou la solidarité a existé dans différentes civilisations, sa projection

internationale, dans sa conception comme dans sa mise en œuvre est, selon Ryfman, une

« invention » de l’Europe ». Brauman abonde dans le même sens, « car si toutes les sociétés

ont su démontrer leurs capacités de compassion, seule l’Europe a choisi de donner à ces

attitudes, comme à d’autres formes d’action collective, un contenu et une vocation

universels » (Brauman, 2000 : 14). On notera d’ailleurs, en 1812, l’organisation d’un convoi

maritime chargé d’apporter de l’aide humanitaire aux habitants de Caracas, au Venezuela,

victimes à la fois de la guerre et de tremblement de terre. Cette expédition « constitue

probablement la première opération de secours humanitaire de l’histoire » et « l’initiative

privée est à son origine et y trouve une première projection internationale » (Ryfman, 2004 :

10). L’expansion de l’Europe vers les autres continents, les grandes explorations, les missions

d’évangélisation, et, plus tard, la colonisation, ont contribué à l’internationalisation de l’action

humanitaire. Ce sont donc des actes de charité bénévolement mis en pratique par de simples

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gens guidés par leur foi religieuse ou leur humanisme qui ont conduit au système de solidarité

internationale tel qu’il existe aujourd’hui. La forme actuelle du système commence à se

constituer au XIX

ème

. C’est vers 1850 qu’apparaît le terme humanitaire, quatre siècles après

l’invention du mot humanité pour désigner l’ensemble des hommes. Une apparition que

Michel Bélanger fixe, lui, beaucoup plus tôt, car il considère que « le terme d’humanitaire

n’est apparu » que vers 1830. De célèbres écrivains français comme Chateaubriand,

Lamartine, Voltaire, mais aussi Bartolomé de Las Casas, s’en servent pour livrer « chacun à

sa façon de véritables témoignages humanitaires, premières rencontres entre un idéal de

compassion ou de solidarité et le devoir d’informer » (Backmann, 1996 : 73-74). Même si,

selon Brauman, le terme humanitaire fut « brocardé » par d’autres écrivains, en l’occurrence

Balzac et Flaubert. Cela renvoie encore aux liens étroits qui ont existé dès l’origine entre

l’humanitaire et l’écrit, c'est-à-dire les textes destinés à informer l’opinion.

Le dévouement des hommes a donc constitué la première richesse de l’action humanitaire.

Des hommes qui se décident à consacrer de leur temps ou de leur bien au service des autres,

sans aucune rétribution. C’est l’esprit même des actes de solidarité et de charité. Un esprit

développé par des hommes et des femmes qui se sont investis dans cette activité et dont les

profils ont évolué avec les transformations du secteur. Contrairement au bénévole d’antan,

recruté pour sa simple disponibilité, le volontaire ou le salarié est avant tout quelqu’un qui est

choisi pour ses qualités humaines et des compétences professionnelles avérées. En plus d’un

siècle, l’on est ainsi passé progressivement du bénévolat à celui de volontariat humanitaire qui

suppose une évolution des méthodes et des façons de faire. La professionnalisation dans les

associations a conduit les organisations humanitaires, à l’instar des autres associations, à

privilégier la compétence au dévouement, en vue d’un meilleur fonctionnement et d’une

obtention rapide de résultats.

1-2. L'ère de l'humanitaire moderne : évolution du contexte juridique

et ingérence humanitaire

Avant Henri Dunant et la création de la Croix-Rouge, une dame du nom de Florence

Nightingale se distingue lors de la guerre de Crimée (1854-1855). Avec un groupe

d’infirmières et sous l’égide du gouvernement britannique, elle met en place un service

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d’assistance offrant nourritures et soins nécessaires aux soldats blessés. « Le service de

secours de Nightingale ne s’adressait cependant qu’à un seul côté du front : seuls leurs

compatriotes furent secourus par les infirmières » (Schroeder, Varga, Van Dok, 2005 : 18).

Quelques années après, on assiste à la création de la Croix-Rouge à l’initiative d’Henri

Dunant, de retour de Solferino

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où il fut témoin en juin 1859 d’un carnage. Cet industriel

suisse réunit en février 1863 un Comité international de secours aux militaires blessés dont

l’objectif est de secourir les blessés de toutes les parties en guerre. La naissance officielle sera

consacrée par un congrès international réuni quelques mois plus tard, en octobre. « Ce fut une

étape révolutionnaire vers un humanitarisme qui ne faisait plus de différence entre amis et

ennemis » (Schroeder, Varga, Van Dok, 2005 : 18). Le Comité international de secours aux

militaires blessés prend le nom de Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 1875.

On verra ainsi la Croix-Rouge sur le terrain agir en faveur de tous, lors des grands conflits qui

ont secoué l’Europe et le reste du monde.

La structuration de l’action humanitaire internationale se déroule après la Seconde Guerre

mondiale. L’organisation des Nations-Unies voit le jour en 1945 et ses agences humanitaires

sont créées ainsi que de nombreuses ONG humanitaires en Europe. On assiste en outre à la

prolifération des organisations humanitaires anglo-saxonnes. Au nombre de ces organisations,

on peut citer Catholic Relief Service créée en 1943 et qui coordonne l’action des paroisses

catholiques, Church World Services, Joint Distribution Committee, Cooperative for American

Remittancies in Europe (CARE). Certaines de ces organisations continuent encore leurs

activités de façon plus diversifiée et à plus grande échelle. Elles sont devenues des

associations de dimension internationale.

La deuxième phase de l'humanitaire

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moderne commence au Biafra, à la fin des années 1960

dans le contexte de la décolonisation. Les médecins français qui agissent décident de rompre

la tradition solidement ancrée de la neutralité et du silence. Ils ont en mémoire le silence

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Le 24 juin 1859, à Solferino, les armées française et piémontaise remportent une importante victoire militaire, qui met fin à la guerre menée contre l’Autriche pour l’indépendance de la Lombardie, préliminaire à la création d’une Italie unifiée. La bataille marque l’opinion publique internationale : Solferino laisse le souvenir de combattants des deux camps laissés sans soins sur le champ de bataille. Le Suisse Henri Dunant propose alors la création d’une organisation permanente chargée de porter secours aux blessés de guerre, la Croix-Rouge. (Source : LANEYRIE- DAGEN Nadeije, 1997, Les Grandes batailles, éd. Larousse sur www.histoiredumonde.net)

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coupable de la Croix-Rouge face à Auschwitz et au nazisme. Ils dénoncent ce qu'ils croient

être un génocide. L'analyse historique a posteriori montre qu'il s'agissait d'une guerre totale

mais pas d'un génocide. En mettant l'individu « victimisé » au centre du débat, l'humanitaire

s'éloigne progressivement du militantisme politique. « Cette prise de parole était salutaire en

elle-même mais mal fondée en l'occurrence puisqu'en dénonçant un génocide, les médecins

devenaient, malgré eux, les relais d'une propagande, d'un marketing politique de la Sécession

biafraise ». On voit dans cette guerre se constituer tous les ingrédients qui subsistent dans les

conflits internationaux où s'impliquent les puissances étrangères et européennes en

particulier :

- le mélange du militaire et de l'humanitaire,

- la rhétorique « victimaire » comme substitut à l'explication politique du conflit,

- des prises de parole considérées plus efficaces des humanitaires qui, sur le terrain,

semblaient détenir une vérité humaine et politique unique.

Suite au Biafra, les French doctors

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fondent un nouveau mouvement en créant Médecins

Sans Frontières en 1971. Le projet de ce mouvement est de rendre l'aide humanitaire

indépendante des États en s'appuyant sur l'opinion publique prise à témoin ; d'où l'importance

accordée à la médiatisation de ses interventions. « Contrairement aux actions discrètes de la

Croix-Rouge, le « sans-frontiérisme » fait du témoignage son second cheval de bataille. Le

témoignage et la dénonciation deviennent un devoir moral au même titre que les soins directs

aux populations »

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. L'humanitaire s'installe alors durablement dans le tiers-monde et s'inscrit

dans une perspective Nord-Sud qui continue de s’affirmer aujourd’hui avec plus d’intensité.

Deux phénomènes majeurs marquent les années cinquante et soixante : la guerre froide qui

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En 1968 débute la guerre du Biafra. C'est l'une des premières guerres largement relayées par la télévision : les Biafrais meurent en direct devant les opinions publiques épouvantées. Les Ibos, peuple du sud-ouest du Nigéria (le Biafra), se heurtent à une répression brutale du gouvernement nigérian qui interdit à la Croix-Rouge l'accès aux populations en détresse. Révoltés par cette situation, quinze médecins français fondent en 1971 Médecins sans frontières. L'article premier de sa charte stipule : « Les Médecins sans frontières apportent leur secours à toutes les victimes de catastrophes naturelles, d'accidents collectifs et de situations de belligérance, sans aucune discrimination de race, de politique, de religion ou de philosophie ». (Source : FOURNIER Martine « Les French doctors, figures de l'Humanitaire moderne », dans Sciences Humaines, n° 103, mars. 2000, pp 36-37, sur www.scienceshumaines.com)

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PIQUARD Brigitte, SCHWEIGMAN Caspar, « Le défi de la professionnalisation », dans Louvain, n° 139, juin 2003, pp. 12-15 (p. 13)

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oppose l’Est et l’Ouest et la décolonisation. Ceci étant, « l’action humanitaire va passer du

secours d’urgence […] à l’action à plus long terme » (Rufin, 1994 : 82). Mais, ajoute l’auteur,

le développement est alors inséparable de la lutte d’influence des deux systèmes qui se

partagent le monde. Avec les conflits qui éclatent ça et là, on entre dans le sans frontiérisme,

avec notamment la création de MSF à la suite de la guerre de Biafra, et de bien d’autres

structures associatives humanitaires. « À l’opposé des structures alourdies et officielles de

l’action humanitaire traditionnelle, le sans frontiérisme est d’abord un retour aux sources :

action privée, initiative indépendante, petites associations privées, petites missions, légèreté,

souplesse » (Rufin, 1994 : 89). Ces organisations non gouvernementales évoluent beaucoup

plus dans les pays en développement, à la fois dans l’urgence et dans le développement. « Le

sous-développement devenant un enjeu des relations internationales, gouvernements et

organisations internationales se dotent de structures permanentes pour mettre en œuvre leurs

politiques d’aide » (Brauman, 2000 : 53). Dans ce dispositif, les ONG sont des opérateurs

exécutants des projets financés par les États et les institutions multilatérales.

1-2-1. Évolution du contexte juridique : le droit international humanitaire

et le droit d’ingérence humanitaire

L’une des caractéristiques de l’humanitaire moderne est sans doute la prééminence de la

dimension juridique du concept. Le droit humanitaire et le droit de l’ingérence humanitaire

prennent une place importante dans le débat public et dans le débat politique international.

Les associations mais aussi le système des Nations-Unies et plusieurs gouvernements du Nord

s’évertuent à en assurer la promotion et la défense. L'idée d'ingérence humanitaire est apparue

durant la guerre du Biafra. Le conflit a entraîné une épouvantable famine, largement couverte

par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d'États et de gouvernement

au nom de la neutralité et du principe de non-ingérence qui ont longtemps caractérisé les

relations internationales. Le droit d'ingérence humanitaire

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est un terme inventé en 1968 par

Mario Bettati, qui donne la possibilité à une association d'intervenir et d’apporter une aide aux

populations qui souffrent d'une guerre, d'une catastrophe naturelle, d’une mauvaise

gouvernance.

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Le droit humanitaire est plus ancien et son origine remonte à plusieurs siècles déjà. Dans sa

forme moderne, il est contenu dans quatre Conventions signées à Genève en 1949 et dans

deux protocoles additionnels de 1977. Ces textes fixent entre autres :

-

des règles spécifiques de protection et d'assistance pour des catégories précises de

personnes dans les situations de conflit (population civile, blessés et malades,

personnes privées de liberté...);

-

un droit d'assistance humanitaire confié par les États aux organisations humanitaires

impartiales.

La responsabilité des opérations de secours est confiée par ces textes au CICR, mais aussi aux

autres organisations humanitaires impartiales, comme MSF, MDM, ACF (Action contre la

faim), etc. Les règles édictées sont obligatoires pour tous les belligérants. Le droit humanitaire

est un droit de l'action : la protection des victimes dépend directement de la qualité des actions

de secours. On peut déduire de la coutume internationale trois grands droits qui garantissent la

qualité des actions de secours pour les organisations humanitaires impartiales :

- le libre accès aux populations en danger

- la (liberté) capacité d'évaluer les besoins de façon indépendante

- la (liberté) capacité de contrôler la distribution des secours en fonction des besoins.

Les progrès en matière du droit international humanitaire ont connu une avancée significative

au cours des années 1990 et 2000, grâce notamment à l’action conjuguée des organisations

humanitaires et des associations de défense des droits de l’homme. L’établissement d’un

Tribunal Pénal International (le TPI) et la mise en place au sein des Nations d’un organe

spécialisé, le Haut Commissariat aux droits de l’homme, en sont les traductions les plus

importantes. Ces deux institutions participent de la traque contre les auteurs de violations des

droits de l’homme, de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à travers

le monde.

La fin de la guerre froide, la médiatisation des crises humanitaires… sont des facteurs qui ont

beaucoup contribué au développement du droit d’ingérence, malgré des polémiques et

désaccords portant à la fois sur le principe et sur la forme de mise en œuvre du droit

d’ingérence. Un droit qui tranche avec le traditionnel principe de non-ingérence dans les

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affaires intérieures d’un autre pays, même si des crimes horribles y sont perpétrés. Ce, au nom

du respect de l’indépendance et de la souveraineté nationales qui fondent les relations

internationales, que ce soit dans le cadre bilatéral ou multilatéral. Cependant, selon Monique

de Saint-Pierre, l’avènement de ce nouveau droit dans les relations internationales constitue

« une source de malentendus et de polémiques au sein de la communauté internationale »

(Saint-Pierre, 1998 : 5). En effet, l’émergence et les progrès en matière du droit d’ingérence

notamment pour prévenir ou faire cesser des violations des droits de l’homme à grande

échelle n’est pas du goût de tous. L’auteur parle d’un chemin parsemé d’ « embûches » pour

les promoteurs du droit d’ingérence et en énumère quelques-unes : « la résistance étatique au

nom de la souveraineté, les conflits de valeurs au sujet de la question des droits de l'homme

entre les différentes nations Ŕ et cultures Ŕ du globe ainsi que l'insistance des États à définir

leurs intérêts nationaux en termes de puissance et de pouvoir, en dépit des récentes mutations

de l'ordre international » (St-Pierre, 1998 : 6).

À travers le monde, on est donc loin de l’unanimité autour de ce droit d’ingérence tant dans

son principe que dans la forme que peut prendre sa mise en œuvre. D’une part, il y a les

tenants du respect de l’intégrité et de l’indépendance du territoire national opposés à toute

mesure qui remet en cause ce principe traditionnel du fonctionnement des relations

internationales. Il s’agit le plus souvent d’États moins démocratiques qui craignent par

exemple que ce principe ne soit instrumentalisé et utilisé par les pays plus puissants à des fins

de domination politique ou économique. Ils ne trouvent donc ni opportun ni utile de

« réformer le principe de non-intervention au profit d'un hypothétique droit d'ingérence »

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dont les conditions de mise en œuvre peuvent être peu claires, voire subjectives, et traduire

des objectifs inavoués, c'est-à-dire non humanitaires.

D’autre part, les promoteurs du droit d’ingérence, en particulier les ONG et associations

humanitaires et de défense des droits de l’homme, affichent leur préférence pour l’ingérence

même si sa mise en œuvre dans un État signifie une atteinte à l’indépendance et à la

souveraineté de cet État. Le plus important étant la protection de milliers de vies humaines qui

peuvent être en danger. Les valeurs humaines et démocratiques, considérées comme

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CORTEN Olivier et KLEIN Pierre, 1992, Droit d'ingérence ou obligation de réaction? Les possibilités d'action visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non-intervention, Bruxelles, Éditions Bruylant / Éditions de l'Université de Bruxelles (p. 7), cité dans ST-PIERRE Monique, 1998, L'ingérence humanitaire et les organisations internationales, thèse en sciences politiques, Université Laval, Canada (p. 5).

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universelles, sont un argument pour aller au-delà de la non-ingérence et mettre en place « un

nouvel espace juridique où se trouveraient indissolublement liés la légitimation de

l'intervention humanitaire et le principe fondamental de l'indépendance et de la

non-soumission de l'État à l'égard de l'extérieur » (Bettati, 1996 : 9)

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. Il faut souligner toutefois

que dans le camp de ses promoteurs, si l’on est globalement d’accord sur le principe même

d’ingérence humanitaire, la forme que peut prendre sa mise en œuvre fait polémique. Les

spécialistes des ONG sont pour la plupart contre la militarisation car arme et aide humanitaire

ne font pas bon ménage. Les objectifs d’une opération militaire sont très éloignés d’une

opération humanitaire dans le sens classique que lui donnent les ONG. Mais les avis des

professionnels de l’humanitaire reste divers.

Deux opérations d’ingérence humanitaire menées par la communauté internationale dans les

années 1990 sont parmi les plus importantes réalisées jusqu’alors. Des opérations menées

sous la houlette des Nations-Unies dont les résolutions du Conseil de Sécurité donnent le droit

d’intervenir à l’intérieur des frontières nationales « pour secourir […] les victimes de toutes

les catastrophes » (Zorgbibe, 1994 : 5). La première, l’opération en Somalie en 1992 avec

l’armée américaine en tête, s’est soldée par un fiasco car les objectifs n’ont pas été atteints. En

effet, l’opération n’a pas permis de restaurer ni la paix ni la sécurité, ni même d’améliorer les

conditions de vie des populations dans ce pays de l’Afrique de l’Est. La Somalie est toujours

plongée dans un chaos sécuritaire et dans une instabilité politique depuis près de deux

décennies. La seconde fut menée au cœur même de l’Europe. Il s’agit de l’intervention des

forces de l’OTAN en ex- Yougoslavie avec une opération militaire faite de bombardements.

Dix ans après, les tensions demeurent entre communautés serbe, croate et musulmane et les

liens de confiance en vue d’une coexistence pacifique relèvent d’une vision utopique. Ces

deux opérations ont été pendant longtemps objet de débats assez contradictoires. Il y a ceux

qui pensent que la militarisation de l’humanitaire sape les fondements de cette cause. Il a fallu

mener une guerre contre la Serbie, livrer bataille contre les milices somaliennes. Autant dire

faire des victimes. Faut-il payer un tel prix pour apporter une assistance humanitaire ? Les

avis sont aussi nombreux que partagés.

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BETTATI Mario, 1996, Le droit d'ingérence : mutation de l'ordre international, Paris, éd. Odile Jacob, cité dans ST-PIERRE Monique, 1998, L'ingérence humanitaire et les organisations internationales, thèse