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A. Ontogenèse des comportements de dispersion sur de longues distances

4. Orientation et Navigation

Les juvéniles qui partent indépendamment de leur parents et pour la première fois en voyage alimentaire sont naïfs et doivent découvrir et apprendre les caractéristiques de leur nouvel environnement. Leur orientation, c‘est à dire leur capacité à reconnaitre et maintenir une direction donnée et leur navigation c‘est à dire leur capacité d‘identifier leur position dans l‘espace pourraient être supposées nulles en grande partie au départ. Leurs capacités devraient alors s‘améliorer par la suite par des processus d‘apprentissage et de mémorisation.

Comme nous l’avons précédemment décrit, les juvéniles semblent cependant maintenir une orientation privilégiée durant leur premier voyage. Cette prédisposition à maintenir un cap correspondrait à une composante spatio-temporelle innée (le concept de “clock and compass”, Gwinner et Wiltschko 1978). Plusieurs expériences démontrèrent l‘existence d‘un tel compas. En effet des juvéniles d‘étourneaux Sturnus vulagaris (Perdeck 1958) et de bruant à couronne blanche Zonotrichia leucophrys (Thorup et al. 2007), déplacés expérimentalement avant leurs migrations, ne compensèrent pas les caps de leurs trajectoires, alors que les adultes le faisaient. De plus ces comportements de maintien de cap, apparaissent héritables puisque des individus hybrides de fauvettes à tête noire issus de parents présentant des directions privilégiées différentes, eurent des comportements intermédiaires, en laboratoire (Berthold 1988, Berthold et al. 1992). Des études plus récentes démontrent des

133 résultats similaires dans la nature chez des grives à dos d‘olive équipées de gls (global location sensor, Delmore et al. 2014).

Les capacités innées de navigation semblent en revanche difficilement testables en laboratoire. Il a en revanche été montré que chez des juvéniles gobemouches noirs, l‘orientation privilégiée s‘établit uniquement s‘ils avaient été mis en présence d‘un champ magnétique (Beck, 1984). De plus, il a aussi été montré que des mésanges à longue queue Aegithalos caudatus juvéniles avaient tendance à augmenter leur activité de locomotion en fonction de la diminution de la durée du jour (Bojarinova et Babushkina 2015). Ce qui suggère que les juvéniles doivent avoir des capacités innées pour déduire les conditions géomagnétiques et de lumières qu‘ils rencontreront lors de leur migrations.

Dans l‘océan austral, les iso-lignes du champ magnétique sont quasiment parallèles dans le sens des longitudes (Figure 65, Boström et al. 2012) ; or dans le cas des trois espèces étudiées les dispersions s‘effectuèrent majoritairement dans le sens des longitudes, ce qui viendrait conforter l‘idée que les juvéniles possèdent des capacités à reconnaitre et à se situer dans le champ magnétique terrestre. De plus les changements de caps observés chez les trois espèces à l‘automne correspondent aussi au changement de luminosité saisonnier, ce qui peut aussi servir de signal de changement d‘orientation, comme il a été montré chez d‘autres espèces (e.g. pétrel de Barau, Pterodroma baraui, Pinet et al. 2011). La lumière au coucher ou au lever du soleil peut aussi être utilisée comme un compas puisque l‘orientation des ondes lumineuse et les UV sont utilisées chez certaines espèces d‘oiseaux migrants (Wiltschko et Wiltschko 2012). Les constellations peuvent aussi servir de compas comme il a été montré expérimentalement chez des passereaux (Weindler et al. 1996, Mouritsen et Larsen 2001). Enfin, le champ de gravité terrestre, et les cycles lunaires semblent eux-aussi être impliqués dans la navigation et l‘orientation d‘éléphants de mer du nord, des baleines et de requins (Horton et al. 2017).

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Figure 65 : Les isolignes d‘intensité du champs magnétique sont quasiment parallèle dans le secteur Indien de l‘Océan Austral (d‘après Boström et al. 2012).

Enfin, l’analyse des trajectoires des juvéniles de l’étude démontra une forte relation avec les courants marins. Cette relation avait déjà été montrée chez des plongeurs comme chez des adultes manchots royaux (Cotté et al. 2007), éléphants de mer du sud (Penna et al. 2016) ou tortues luth Dermochelys coriacea (Galli et al. 2012). Même dans le cas des juvéniles de manchots royaux qui faisaient face au courant circumpolaire antarctique, les proportions de trajectoires dans le sens du courant et à contre sens étaient similaires, signifiant que les individus parvenaient à la fois à utiliser les courants et à y faire face. Dans le cas de forts courants, les juvéniles royaux avaient même tendance à les cibler, en s‘orientant de face ou de côtés. Lors de leur dispersion estivale les empereurs avaient plutôt tendance à remonter les courants, orientant aussi leurs headings face au courant ou sur les côtés. Enfin les juvéniles éléphants de mer avaient plutôt tendance à suivre les courants dans la phase de départ et à les remonter lors de leur retour. Ceci suggère que les juvéniles non seulement étaient capables de déterminer l’orientation des courants mais qu’ils les utilisèrent aussi probablement pour s’orienter (Chapman et al. 2011).

Cette stratégie d‘orientation avait aussi été suggérée dans d‘autres études concernant des manchots juvéniles (Pütz et al. 2014). On pourrait alors imaginer l‘existence un système de compas océanique aidant les juvéniles à s‘orienter préférentiellement dans le sens ou à contre sens selon les espèces et leur histoire évolutive, bien que pour l‘instant, les sens permettant de repérer un courant sans points de référence visuels, ne soient pas connus (Chapman et al

135 2011). Cependant comme cela a été suggéré dans la seule autre étude portant sur la dispersion des juvéniles de manchot royaux (Pütz et al. 2014), les courants pourraient être aussi vecteurs d’odeurs ayant pour effet d’attirer les juvéniles dans des zones plus productives situées en amont. Ceci pourrait ainsi expliquer les tendances des juvéniles à orienter fréquemment leurs headings à contre-courant. De plus la capacité des manchots à sentir le dimethyl sulphide (DMS) a été récemment démontré chez les manchots du cap (Wright et al. 2011) et aussi chez les royaux (Cunningham et al. 2017), bien que leur efficacité d‘olfaction fasse débat (Lu et al. 2016). En revanche ces capacités d‘olfaction sont reconnues chez les pinnipèdes (Ponganis, 2015). Même si les juvéniles éléphants de mer avaient plutôt tendance à suivre les courants dans leur phase de départ, ils démontrèrent la même propension à s‘orienter face aux courants (surtout sur la phase de retour). Les courants peuvent aussi transporter des masses d‘eau de température différentes situées en amont permettant aux juvéniles de s‘orienter et de compenser l‘effet des courants.

Face à la complexité des environnements rencontrés et aux nombreux facteurs pouvant expliquer leurs capacités d’orientation et de navigation, il apparait peu probable que les juvéniles n’utilisent que des systèmes endogènes pour leur première dispersion en mer. Ces processus doivent surement entrer en étroite interaction avec les processus d‘apprentissage de leur environnement conduisant ainsi à la variabilité individuelle les trajets observés de notre étude.