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Indice de condition corporelle et capacités de plongées chez les Aptenodytes

C. Mortalité des juvéniles

4. Indice de condition corporelle et capacités de plongées chez les Aptenodytes

Aptenodytes

L’indice de condition corporelle (SMI) présente une relation négative avec la longueur des ailerons chez les deux espèces d’Aptenodytes (Figure 59). La pente de la relation est en revanche plus forte pour les manchots royaux : pour une faible différence de longueur d‘aileron, l‘indice de condition diminue plus rapidement. En revanche il n‘y a pas de différence significative entre les indices de condition corporelle entre les deux espèces (LM: pvalue<0). Les manchots empereurs juvéniles étant pourtant en moyenne plus lourds et avec de plus grands ailerons que les manchots royaux juvéniles (+7.4±5.9 kg, LM: p<0.05, +30.3±24.7 mm, LM: p<0.05). Les individus équipés de tags avaient des indices corporels plus bas que les autres individus juvéniles mesurés dans leur colonie (Figure 59, LM: p<0.05). Les juvéniles empereurs équipés n’avaient pas non plus au départ un SMI plus élevé que celui des juvéniles royaux équipés (W=132, p=0.88). Il n‘y a pas non plus de différences de SMI significatives entre les individus suspectés morts en mer et les individus ayant survécu pour les deux espèces (W=31, p=0.95 ; W=13, p=0.39). Il n‘y a pas non plus de différences concernant les 3 juvéniles empereurs pour lesquels leurs balises se sont arrêtées avant 30 jours (W=5, p=0.23).

Figure 59 : Relation entre l‘indice de masse corporelle et la taille des ailerons chez les manchots empereurs et les manchots royaux d‘individus mesurés aléatoirement à la colonie et

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Le Figure 60, présente les résultats d‘une analyse en composantes principales combinant l‘ensemble des variables de plongées, l‘indice de condition corporelle et la durée de transmission de balises, pour les deux espèces, pour la période de 115 jours après leur départ. Les deux juvéniles empereurs avec trop peu de données de plongées ne sont pas inclus. Les groupes correspondant à des mortalités en mer ressortent avec des paramètres de plongées (profondeur et durée) plus faibles, et des temps de surface un peu plus importants, pour les deux espèces. Pour les individus ayant survécu, les empereurs présentent des paramètres de plongées (profondeur, durée), des indices de condition plus importants mais aussi des temps de récupération en surface plus importants.

Figure 60 : Analyse en composante principale regroupant les juvéniles (chaque individu indiqué par un point de couleur selon son groupe d‘appartenance) des deux espèces Aptenodytes (royal et empereur) au cours de 115 premiers jours de suivis et différentes variables : maxd= durée maximale de balises, mdepth,= profondeurs moyennes de plongées atteintes, mdd= durée moyenne de plongée atteinte, msurf= durée moyenne de surface effectuée et smi=indice de condition corporelle au depart.

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5. Éléphants de mer juvéniles

La durée totale de transmission des balises SPOT (donnant la localisation), pour l‘ensemble des juvéniles, se sépare en 2 groupes (Figure 61) : un groupe de moins de 112 jours de suivi (n=9, dead group) et un groupe de plus de 230 jours (n=11, surviving group). Les juvéniles étaient équipés en plus de balises DSA (donnant à la fois les données de plongées et la localisation) et pour les individus du premier groupe la différence entre les temps d‘arrêt des deux balises était de moins de 30 heures (cf. Annexe 5).

Tous les individus soupçonnés morts étaient en milieu océanique (Figure 62). Sur les 9 individus morts en mer, 7 étaient des mâles et 2 des femelles (Figure 63). Un individu est mort seulement après 2 semaines passées en mer alors en flottabilité positive. Tous les autres individus, sauf un, sont morts avant de commencer leur phase de retour en direction de Kerguelen et étaient en flottabilité négative (i.e. avec des vitesses de dérives passives négatives, Figure 64). Les causes de mortalité étaient variables d‘un individu à l‘autre, incluant : des vitesses de déplacement plus rapides, des habitats avec des plus faibles températures d‘eau de surface et avec des eddies à moindre énergie cinétique et/ou des capacités de nourrissage et de plongées plus faibles et/ou en décroissance sur la fin du suivi notamment pour 4 individus (cf. Annexe 5). Un autre individu dont les paramètres ne différaient pas de ceux des individus ayant survécu, et qui passa en flottabilité positive, effectua des plongées plus profondes que la moyenne (>600 m) et présentait des durées de récupération en surface anormalement plus longues, dans les quelques jours précédents l‘arrêt des balises.

Figure 61 : Durée totale de transmission des balises des 20 juvéniles d‘éléphants de mer. En rouge sont indiqués les individus ayant subi de la mortalité précocement (les deux balises se

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Figure 62 : Carte de distribution du groupe de juvéniles éléphants de mer ayant subi de la mortalité en mer (n=9) au cours des 4 premiers mois de leur dispersion. Les points blancs indiquent l‘emplacement de l‘arrêt des balises et les zones hachurées correspondent à la distribution estimée par les analyses de Kernels. Seul un individu commença sa phase de retour (marron) alors que tous les autres étant encore dans leur phase d‘éloignement de Kerguelen (rouge)

Figure 63 : Estimation de la survie selon la fonction de Kaplan-Meir. Les points rouges correspondent aux individus ayant subi de la mortalité et en bleu à ceux ayant survécu. Les signes ♂ et ♀ indiquant le sexe mâle et femelle respectivement.

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Figure 64 : Vitesses de dérives passives (drift rate) des individus ayant subi de la mortalité en mer (une couleur par individus différents) avec l‘arrêt des balises indiqué par des étoiles noires. Les bandes grises représentent les quantiles à 2.5% et 97.5% des individus ayant survécu, avec à l‘intérieur un bande foncée représentant les quantiles à 25% et 75%

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6. Interprétations

Chez les 3 espèces, l’arrêt des balises fut concomitant avec des comportements démontrant soit (1) un déclin de performances de plongées et de capacités d’acquisition de nourriture, (2) des habitats de moins en moins favorables (horizontalement et verticalement) et (3) des augmentations de l’effort de recherche alimentaire durant le crépuscule. De plus dans le cas des éléphants de mer, les deux balises équipées par individus se sont arrêtées en même temps. L‘ensemble de ces points suggère fortement que ces individus sont morts durant leur premier voyage et que l‘arrêt des balises n‘est pas dû à un dysfonctionnement. Ce premier voyage des juvéniles de prédateurs marins plongeurs, apparait donc comme une phase critique dans l‘histoire de vie des prédateurs marins plongeurs, d‘autant plus qu‘ensuite les balises des autres individus présentèrent des records de durée de suivi pour les 3 espèces, ce qui suggère que passée cette étape, la survie des individus devient plus assurée. L‘impact potentiel des appareils apparait donc être un facteur moins important que la qualité ou la condition individuelle, ce qui renforce la valeur des résultats obtenus dans cette étude comparée.

Parmi les 3 espèces, ce sont les juvéniles empereurs qui présentent le taux de mortalité le plus fort de 60% (9/15), suivi des juvéniles éléphants de mer de 45% (9/20) et enfin des royaux avec un taux de mortalité à 30% (5/17). Notons cependant que l‘année 2013/14 était une année « catastrophe » pour la reproduction des manchots empereurs en terre Adélie, avec des extensions record de la banquise et une mortalité à terre considérable, suite à la rareté des nourrissages. Les indices de condition corporelle des juvéniles au départ en mer n‘apparaissaient pourtant pas liées aux évènements de mortalité, pour les trois espèces.

Cependant pour les deux espèces de manchots et 4 éléphants de mer, l’ensemble des individus des groupes semblant morts en mer précocement présentaient des paramètres de plongées (profondeurs et durée) en diminution 1 mois avant l’arrêt des balises, avec cependant des temps de récupération en surface aussi longs que pour les autres individus. De plus, dans le cas des royaux, ces individus augmentèrent leur effort pendant le crépuscule, probablement pour compenser leurs plus faibles capacités de nourrissage durant la journée. En journée, les manchots royaux « morts en mer » ne parvinrent pas à atteindre la couche d’eau supérieure à 180 m aussi fréquemment que les autres individus, ce qui confirme qu‘atteindre les grandes profondeurs n‘est pas possible pour tous les juvéniles à leur départ en mer chez cette espèce.

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Chez les royaux, les éléphants de mer et 3 individus empereurs, la mortalité est survenue juste au début de l’automne, ce qui coïncide avec le début de la raréfaction des ressources dans l‘océan austral. Les autres individus qui ont survécu augmentèrent en revanche fortement leurs capacités de plongées lors de cette période, probablement en réponse à cette même raréfaction. Chez les éléphants de mer, la mortalité arriva dans la période avant la phase de retour des trajets, et ce aussi lors du début de l‘automne. Cette période apparait donc critique pour les juvéniles de prédateurs marins plongeurs.

Chez les royaux la mortalité est apparue dans l’ensemble dans les mêmes masses d’eau fréquentées par les survivants. Cependant leurs capacités de plongées diminuèrent en même temps que le refroidissement des eaux de surface. Ceci suggère que ces individus ont eu probablement des problèmes de thermorégulation du fait de capacités de nourrissage moindre et donc d‘isolation incomplète. Ces individus sont très vraisemblablement morts par inanition.

Le fait que les empereurs remontent en direction du front polaire à leur départ, c’est à dire dans des eaux plus chaudes, peut aussi être lié aux capacités moindre de thermorégulation des juvéniles qui ont un métabolisme plus élevé, du fait de leur petite taille. Cependant la mortalité observée chez 3 des empereurs morts précocement est apparue dans les glaces au retour du front polaire. Il est possible qu‘après la raréfaction des ressources au niveau du front polaire à l‘automne, le voyage de retour vers la banquise soit coûteux énergétiquement et que les juvéniles aient à traverser des zones pauvres en proies. Ces individus arrivèrent alors peut être en mauvaises conditions dans les eaux plus froides de l‘antarctique et seraient aussi morts de froid. Pour les 3 autres individus morts tardivement, l‘arrêt des balises se situèrent sur la pente du plateau, aussi empruntée par tous les autres individus à cette période. Cependant leurs paramètres de plongées moyens ne permettaient pas de distinguer de différences de comportements. En revanche, les distributions de leurs plongées étaient plus bimodales que les autres individus qui plongèrent plus souvent à 100 m sur la même période de temps. Ces individus ont surement eu du mal à trouver de la nourriture en profondeur, se rabattant probablement sur des proies de plus faibles qualités en surface. De plus, ils plongèrent moins profondément pendant le crépuscule,

suggérant soit un épuisement, devenus alors incapables de compenser au crépuscule et/ou encore des zones de pêche avec des proies sans comportement nycthéméral.

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Chez les juvéniles éléphants de mer, même si la condition corporelle au départ de la colonie n‘était pas un facteur déterminant la mortalité, un des individus qui montrait les performances de plongées les moins importantes était aussi le plus léger (59 kg) à partir en mer. De plus, tous les individus morts en mer, sauf un, ne parvinrent pas à augmenter leur condition corporelle en début d’automne contrairement aux 9 autres individus durant la même période de temps. Trois individus, ayant pourtant survécus, restèrent cependant eux aussi en flottabilité négative mais parvinrent tout de même à améliorer leur condition et à revenir sur le plateau de Kerguelen. Les individus restant en flottabilité négative apparaissaient alors plus vulnérables, cela est probablement dû au plus grand cout énergétique associé au transport éloigné de la neutralité. Ceci suggère donc que les conditions au départ doivent tout de même avoir une importance sur les chances de survie, que le faible échantillonnage de l‘étude ne permet pas de détecter. Pour l‘individu étant mort en mer malgré son passage en flottabilité positive, aucune différence de comportement n‘a pu être détectée jusqu‘aux derniers jours avant l‘arrêt de la balise: augmentation des vitesses de déplacements et grandes profondeurs de plongées. Cet individu a peut-être subi un accident de décompression dû à ses plongées de grandes profondeurs, ou de la prédation avec un comportement de fuite. Enfin il est intéressant de noter que ce sont les mâles de juvéniles éléphants de mer qui ont subi le plus de mortalité (7/9) ce qui suggère une différence de développement physiologique et des capacités de nourrissage entre les sexes, dès le premier voyage en mer.

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