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4. ÉTUDE DE CAS : LE PROJET D’OLÉODUC ÉNERGIE-EST AU QUÉBEC

4.2 Principaux intervenants impliqués de la portion québécoise du projet Énergie Est

4.2.2 Les organisations non gouvernementales

Il existe de nombreuses catégories d’organisations non gouvernementales pour la plupart très polarisées sur la question contrairement aux organisations d’expertise spécifique moins polarisantes, voire neutres, à un ou plusieurs domaines particuliers au projet. L’expertise peut être la sécurité des pipelines, l’impact environnemental sur un ou plusieurs milieux naturels (milieu hydrique, etc.), les retombées économiques

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ou encore l’impact social d’un déversement. Ces derniers se basent davantage sur des faits avérés avec parfois des positions relativement claires sur le projet. Par exemple, l’association des biologistes du Québec ne s’est pas formellement positionnée, mais elle propose de nombreuses recommandations pour que le projet soit acceptable. Les autres catégories d’organisations non gouvernementales sont davantage polarisées.

D’un côté, les intervenants en faveur du projet sont relativement peu nombreux. Ce sont principalement des organisations sectorielles ou professionnelles du milieu des hydrocarbures, industriel ou de la construction : les Chambres de commerce québécois concernées ou non, les syndicats de la construction, le Conseil du patronat du Québec, l’association des firmes de génie-conseil, etc. (Fédération des chambres de commerce du Québec [FCCQ], 26 août 2016) Les distributeurs gaziers de l’Est, dont Gaz Métro, sont finalement favorables au projet depuis une entente passée avec TransCanada qui leur assure leur approvisionnement en gaz naturel malgré la conversion du gazoduc actuel en oléoduc. (Gaz Métro, 24 août 2015) L’institut Fraser, un groupe de réflexion à influence conservatrice, est en faveur du projet puisqu’il considère que le manque de pipelines ferait perdre des milliards de dollars par année au Canada si le pétrole de l’Ouest n’est pas transporté vers les océans. L’institut va jusqu’à proposer au gouvernement canadien de raccourcir les délais d’approbation des projets de pipeline en adoptant par exemple une loi spéciale. (Angevine et Green, 19 juillet 2016) L’institut économique de Montréal considère que les projets d’oléoducs vers l’est comportent des avantages économiques pour le Canada et permet aux raffineries de l’Est canadien d’être plus compétitives par rapport aux autres raffineries mondiales. (Minardi, 2013) Dans tous les cas favorables, c’est l’aspect économique qui domine largement.

De l’autre côté, les opposants sont nombreux et multiples, plus ou moins fervent et parfois très actif. L’organisme opposé le plus surprenant est sans conteste l’UPA, le principal syndicat agricole québécois concerné. Il s’oppose catégoriquement, et pour la première fois de son existence, à un projet énergétique alors que 75 % du tracé prévu d’Énergie Est traverserait les milieux agricoles ou forestiers. Au-delà des exigences techniques (pipeline plus profond), juridiques (dégager les agriculteurs de toute responsabilité en cas de faute non intentionnelle sur l’oléoduc) et financières (indemnités et loyer annuel de passage), ses membres « réagissent » fortement contre le projet. (Union des producteurs agricoles [UPA], 2016) Il serait donc très difficile d’obtenir leur acceptabilité sociale dans les prochains mois ou prochaines années.

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Pour les autres organisations intéressées aux enjeux du projet, ce sont principalement des organismes de pression, dont des regroupements de protection de la nature, de citoyens, de spécialistes du milieu académique ou civil. Par exemple, les regroupements des organismes de bassins versants ou de conseils régionaux de l’environnement considèrent le projet comme inacceptable tout comme les principaux syndicats québécois. Tous les groupes environnementaux québécois ou nationaux sont de fervents opposants, ne serait-ce que sur le fait qu’ils pensent qu’il faut se tourner vers une transition énergétique à l’heure des nouvelles politiques internationales, nationales, provinciales et locales de lutte contre les changements climatiques dont le secteur des hydrocarbures est un fort contributeur. Ce sont par exemple Greenpeace, Équiterre, la fondation David Suzuki, la coalition eau-secours!, le réseau québécois des groupes écologistes, la coalition vigilance oléoduc, etc. La fondation « Coule pas chez nous » a la particularité de soutenir financièrement ou techniquement les opposants au projet Énergie Est, sans être exclusif à ce projet. Les revendications sont liées essentiellement à la protection de l’environnement et à la prise en compte des changements climatiques en amont qui « ne permet » aucun développement lié aux hydrocarbures, surtout issus des sables bitumineux. L’acceptabilité sociale y serait quasi impossible. L’institut Pembina, groupe de recherche environnementale à influence progressiste, le considère également comme un mauvais projet dans son étude sur les impacts climatiques du projet, car il augmenterait considérablement les émissions de GES produits par les sables bitumineux.

Dans la plupart des cas défavorables, ce sont les aspects sociaux (insécurité des pipelines, peu d’emploi et manque de collaboration) ou environnementaux (risque de pollution des eaux ou des terres d’une fuite d’oléoduc et l’enjeu des changements climatiques) qui dominent. L’argument économique considéré comme faible pour les communautés locales complète l’opposition au projet.

Certains économistes critiquent également le projet. L’économiste Jeff Rubin, ex-économiste en chef de la Banque CIBC, estime que le projet n’est pas viable économiquement considérant le prix actuel du pétrole qui est très bas et le fait que le financement serait difficile à obtenir dans un contexte où les nouvelles politiques mondiales de réduction des émissions de GES pourraient réduire la demande mondiale en pétrole. (Rubin, 3 novembre 2014) Robert Hope, un analyste de la CIBC, considère que les chances d’approbation du projet ont chuté de 33 % à 25 % suite à la récusation des membres de l’ONÉ. L’analyste Dirk Lever d’Alta Corp Capital, une banque d’investissement albertaine, croit que le processus réglementaire des pipelines est devenu tellement « trouble et désordonné » en raison de la pression politique qu’il est difficile de prédire si un pipeline obtiendra une approbation (Radio-Canada et La Presse

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canadienne, 12 septembre 2016) Éric Pineault, économiste et sociologue montréalais, a écrit un essai dénonçant fermement le projet notamment à cause du peu d’informations claires qu’il fournit, mais surtout parce qu’il « vise l’expansion à long terme de l’exploitation des sables bitumineux » contribuant à favoriser les changements climatiques. (Pineault, 2016)