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I. Généralités

I.4. Organisation des smectites en suspension

L’organisation des smectites en suspension est un sujet en débat depuis les premières expériences de Freundlich [34] ayant démontré les propriétés thixotropes de suspensions de smectites, formant ainsi des gels pour des concentrations relativement faibles. Quelques années plus tard, Broughton and Squires [35] ont étudié les effets de concentration sur la gélification des smectites et ont conclu à la formation d’un réseau tridimensionnel où les particules étaient orientées aléatoirement par des contacts bords-bords entre les feuillets. Au contraire, Hauser et Reed [36] ont interprété les phénomènes thixotropes par l’apparition de forces répulsives. Bien qu’il soit généralement admis que dans les suspensions diluées, les interactions interparticulaires sont purement dues aux répulsions de doubles couches [8,37], plusieurs théories ont été développées pour expliquer la gélification des suspensions de smectites.

I.4.1. Le modèle attractif

En suivant l’idée originelle de Broughton and Squires, Van Olphen [38-39] suggère la formation d’un réseau tridimensionnel de type « château de cartes » selon lequel trois types d’assemblages sont possibles entre feuillets : bord-bord, face-face, bord-face (figure I-5). Ce modèle se base sur l’hypothèse d’interactions bord-face induites par des interactions électrostatiques attractives entre les bords chargés positivement et les faces chargés négativement, qui devraient dominer en conditions acides [40-41], confirmés par des mesures rhéologiques [42-44]. Ce modèle se base sur l’existence de faces latérales positives à pH neutre par rupture des liaisons silanol et aluminol en bordure de feuillet. Malheureusement cette hypothèse n’a jamais été confirmée et les charges de bordure sont toujours négatives au-delà de pH 3 [4]. D’autre part, certains auteurs ont proposé des modèles alternatifs interprétant la gélification des smectites par l’attraction bord-bord des feuillets disposés en zigzag et formant de longs rubans [45-46] (figure I-6) ou bien la combinaison d’interactions bord-bord et face-face par coagulation des feuillets [47-48] formant des structures en bandes [49] (figure I-7). Finalement, Brandenburg et Lagaly [50] proposent de réconcilier l’existence de ces deux structures (château de cartes et structure en bande) selon le pH de la solution et la présence de cations divalents.

Figure I-5. Schématisation des interactions électrostatiques attractives proposées par Van Olphen [38-39]. A. bord-face ; B. bord-bord ; C. face-face.

Figure I-6. Schématisation de la structure « zig-zag » proposée par M’Ewen [45-46].

Figure I-7. Schématisation de la structure en bande proposée par Weiss et Frankuchen [49].

I.4.2. Le modèle répulsif

En opposition avec le modèle proposé par Van Olphen, Norrish [8] suggère une structure du gel, stabilisé par des répulsions ioniques par l’interaction des doubles couches diffuses. En mesurant la pression interne entre les feuillets, due aux doubles couches électriques, en fonction de la concentration en électrolyte du milieu et de la concentration solide en smectite, et en comparant ces résultats à la théorie DLVO, Callaghan et Ottewill [9] et Lubetkin et al. [10] confirment l’existence d’interactions répulsives à grande distance dans les gels de smectites. Avery et Ramsay [51] et Ramsay et Lindner [37] montrent par couplage de diffusion de lumière et de neutrons que les feuillets des smectites sont bien individualisés en suspension et que les interactions électrostatiques sont induites par des répulsions entre les doubles couches diffuses. Ces résultats ont été également confirmés par des mesures rhéologiques, de diffusion (lumière, rayons X, neutrons), ou par RMN [52-59].

I.4.3. Combinaison des deux modèles

Toutefois, plusieurs auteurs s’accordent à dire que les deux mécanismes peuvent avoir lieu. A un pH voisin du point de charge nulle (aux alentours de pH=7), le mécanisme proposé par Norrish [8] (la répulsion des doubles couches) semble gouverner les interactions [60], alors qu’à un pH acide, la structure tridimensionnelle « château de cartes », résultant des interactions bord-face, semble gouverner les interactions [50,61]. Abend et Lagaly [60] vont plus loin en proposant un diagramme de phase de suspensions de montmorillonites sodiques présentant différents états : liquide, gel répulsif (répulsions interparticulaires), gel attractif (attractions interparticulaires) et sédiment (figure I-8).

Figure I-8. Diagramme de phase d’une montmorillonite du Wyoming proposée par Abend & Lagaly [60].

I.4.4. Cas de la Laponite

Bien que les premières études aient été réalisées sur des smectites naturelles fortement polydisperses en terme de taille, de forme ou de localisation de la charge, un grand nombre d’études se sont focalisées sur l’utilisation d’une hectorite de synthèse, la Laponite. Cette smectite trioctaédrique forme des disques très monodisperses et relativement petits (~ 30 nm de diamètre pour 1 nm d’épaisseur), et peut donc être considérée comme une particule modèle. Pour ce système, le diagramme de phase est similaire à la vision d’Abend et Lagaly où à faibles forces ioniques, les forces répulsives sont prédominantes. Cependant, Bonn et al. [62] et Levitz et al. [63] suggèrent plus la formation d’un verre colloïdal répulsif que celle d’un gel. Par ailleurs, des expériences en diffusion des rayons X aux très petits angles ont révélé une distribution spatiale non homogène des particules dans ce système. Pour des forces ioniques plus élevées, les interactions électrostatiques deviennent plus

complexes. Plusieurs études proposent l’existence d’une transition cristal-liquide frustrée [53-55,64], la formation d’une structure fractale [65-67] ou la présence de clusters [68-69].

Cependant l’utilisation de la Laponite reste controversée. En effet, la préparation de suspensions de Laponite nécessite de travailler en conditions basiques (pH > 9) pour éviter toute dissolution des plaquettes [70]. Par ailleurs, le rapport d’aspect des feuillets reste relativement faible comparé aux systèmes naturels.

Bien que ces différents modèles aient été proposés il y a plus de 60 ans, l’organisation des feuillets de smectite est toujours controversée. D’autre part, hormis les travaux de Hauser & Reed [36], aucune étude n’a été faite en fonction de la taille des particules, bien que ce paramètre soit prépondérant pour la formation des gels de smectite. Récemment, Michot et al ont mis en évidence sur des suspensions de Wyoming [58], une dépendance en taille de la fraction volumique correspondant à la transition sol-gel. Un des objectifs de cette thèse est de confirmer en autre la dominance des interactions électrostatiques répulsives sur une large gamme de smectites variant en taille, en force ionique et en localisation de la charge.

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