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Partie 1 : Transitions de phase isotrope/nématique et sol/gel

III. Comportement colloïdal des suspensions de beidellite

III.2. Caractérisation optique des transitions de phase

III.2.3. Effets prétransitionnels

Pour de faibles fractions volumiques, les suspensions sont liquides et totalement isotropes (figure III-2A). Cependant, sous l’effet d’une légère perturbation externe (agitation du flacon), ces suspensions manifestent une biréfringence d’écoulement (figure III-2B) marquées par des flashes de lumière qui s’estompent rapidement (figure III-2C-E).

Figure III-2. Effets prétransitionnels observés entre polariseur et analyseur croisés (flèches blanches) sur une suspension de taille 2 de beidellite (force ionique : 10-3 M/L ; φ = 0.43%). A. Etat initial ; B. Biréfringence d’écoulement ; C-E. Relaxation après agitation. Durée totale : 5 s.

Les temps de relaxation sont de l’ordre de la seconde pour des fractions volumiques inférieures à 0.2% mais deviennent de plus en plus long avec l’augmentation de la concentration. Ces effets prétransitionnels ont été observés précédemment pour des suspensions de Laponite [1], de montmorillonite SWy-2 [2] ou de nontronite NAu-2 [3] et suggèrent fortement la formation de phases cristal-liquides à des concentrations plus élevées.

III.2.4. Transition isotrope-nématique

A partir d’une certaine concentration critique, les suspensions ne sont plus isotropes et la biréfringence induite initialement relaxe très lentement. Cependant, cette relaxation s’accompagne par la nucléation de gouttelettes biréfringentes qui coalescent et sédimentent progressivement au fond des flacons (figure III-3A).

Figure III-3. Séparation de phase observée entre polariseur et analyseur croisés pour une suspension de taille 3 de beidellite (force ionique : 10-5 M/L ; φ = 0.53%). Observations faites au bout de (A) 5 jours ; (B) 12 jours ; (C) 16 jours ; (D) 31 jours.

Au bout d’une dizaine de jours, cette transition de phase est marquée par un front de séparation évoluant au cours du temps et séparant la phase inférieure biréfringente de la phase supérieure isotrope (figure III-3B-D). Cette cinétique dépend essentiellement de la taille des particules, de la fraction volumique et de la taille du réservoir. Typiquement, les temps observés pour la taille 3 de beidellite sont aux alentours de 3 semaines à 1 mois tandis que pour la taille 2, l’équilibre est atteint 2 à 3 mois après la préparation des échantillons. Contrairement aux expériences effectuées par Langmuir [4], la démixtion est reproductible après une homogénéisation des deux phases, quelque soit la taille moyenne des particules ou la force ionique des suspensions. L’observation en lumière blanche de ces phases biréfringente n’a révélée aucun pic de Bragg, caractéristique d’une structure périodique (colonnaire, smectique,…). Ces phases sont seulement caractérisées par un ordre d’orientation moyen des particules, correspondant à une mésophase de type nématique. Dans ces suspensions biphasiques, les deux phases sont fluides et ont une fraction volumique équivalente. Par ailleurs, la proportion relative de phase nématique augmente avec la fraction volumique totale (figure III-4).

Figure III-4. Transition de phase isotrope-nématique observée entre polariseur et analyseur croisés pour des suspensions de taille 3 de beidellite à une force ionique de 10-4 M/L. A. φ = 0.40% ; B. φ = 0.42% ; C. φ = 0.44% ; D. φ = 0.46% ; E. φ = 0.48% ; F. φ = 0.50%. Flacons de 2 mL.

Les volumes relatifs de phase nématique à chaque concentration ont été mesurés et comparées à la fraction volumique totale (figure III-5).

Figure III-5. Evolution du volume relatif de phase nématique en fonction de la fraction volumique totale pour des suspensions de taille 3 de beidellite à une force ionique de 10-4 M/L (suspensions présentées en figure III-4).

La relation linéaire obtenue est caractéristique d’une transition isotrope-nématique du premier ordre [5-7] et indique que les suspensions ont atteint un équilibre thermodynamique.

Afin de mieux comprendre cette transition, les échantillons ont également été observés au microscope polarisant. La figure III-6 reconstitue les images prises le long d’un capillaire contenant une suspension de taille 3 de beidellite en cours de démixtion. Un à deux jours après la préparation des capillaires, des gouttelettes biréfringentes de phase nématique, ou « tactoïdes », apparaissent dans la phase isotrope (figure III-6A + figure III-7A) puis coalescent et sédimentent (figure III-6B + figure III-7B) pour former la phase nématique en bas du capillaire (figure III-6C).

Figure III-6. Séparation de phase observée au microscope polarisant pour une suspension de taille 3 de beidellite (force ionique : 10-4 M/L ; φ = 0.5%). Capillaire plat (0.2 x 2 mm).

Figure III-7. Suspensions de taille 3 de beidellite observées au microscope polarisant. A. force ionique : 10-5 M/L, φ = 0.47% ; B. force ionique : 10-4 M/L, φ = 0.5%. Capillaire plat (0.2 x 2 mm).

A contrario, des espaces totalement isotropes, ayant un aspect similaire aux tactoïdes, sont présents dans la phase nématique (figure III-6D + figure III-8).

Figure III-8. Observations au microscope polarisant d’atactoides, signalés par les flèches blanches, présent dans la phase nématique d’une suspension de taille 3 de beidellite (force ionique : 10-4 M/L ; φ = 0.5%). Capillaire plat (0.2 x 2 mm).

Il s’agit de tactoïdes « négatifs » ou atactoïdes, dont les particules qui les composent ne présentent aucun ordre orientationnel [8]. Selon leur position par rapport à l’interface isotrope-nématique et la viscosité de la suspension, ces gouttelettes de phase isotrope peuvent rester piégées dans la phase nématique.

Concernant la phase nématique fluide, les figures III-6 et III-8 mettent en évidence de nombreux domaines ayant chacun une orientation différente du directeur n de la phase nématique, i.e., la direction moyenne des normales des particules de beidellite dans l’espace (figure III-9).

Figure III-9. Orientation dans l’espace du directeur nématique local n d’une particule. θ et φ

représentent respectivement les orientations zénithal et azimutal de l’axe optique, parallèle au directeur nématique.

Ces domaines sont délimités par des défauts topologiques (filaments noirs) telles que les défauts de parois du capillaire ou bien les lignes de disclinations [9] correspondant aux positions d’extinction des zones nématiques. Ces lignes se rejoignent en des nœuds indiquant des sites de défauts, caractérisés par un changement du directeur. Les textures observées dans ces suspensions, ou textures Schlieren, sont caractéristiques des phases cristal-liquides nématiques et sont identiques à celles observées dans les suspensions gélifiées de smectites (cf. III-2-5). Ces défauts topologiques peuvent être annihilés par l’application de champs externes, par exemple un champ électrique ou magnétique. Ces applications de champs sur la phase nématique mais aussi sur la phase isotrope seront abordées dans la troisième partie de cette thèse. Toutefois, pour la beidellite, ces textures nématiques évoluent lentement en quelques semaines et deviennent de plus en plus sombres entre polariseur et analyseur croisés (figure III-10).

Figure III-10. Observation au microscope polarisant entre polariseur et analyseur croisés de suspensions biphasique de taille 3 de beidellite. A. force ionique : 10-5 M/L, φ = 0.5% ; B. force

ionique : 10-4 M/L, φ = 0.57% (capillaires plats, 0.2 x 2 mm). La flèche blanche met en évidence le ménisque séparant la phase isotrope (partie supérieure droite) de la phase nématique (partie inférieure gauche) en orientation homéotrope. La flèche blanche en pointillé indique l’ancrage planaire de la phase nématique due à l’influence des bords de parois du capillaire.

Les plaquettes d'argile ont tendance à s'aligner parallèlement aux parois du capillaire. Cette orientation, appelé « ancrage homéotrope », se propage à travers l'ensemble du volume de l'échantillon. À la fin de ce processus, tous les défauts topologiques ont disparu et l'échantillon forme un domaine nématique homogène dont le directeur est aligné perpendiculairement à la paroi du capillaire. Dans cette géométrie, le directeur nématique étant parallèle à l’axe optique du microscope (n parallèle à z), l’échantillon est parfaitement isotrope. Toutefois, la séparation entre la phase isotrope et la phase nématique homéotrope est toujours marquée par la présence d’un ménisque (figure III-10). Par ailleurs, la région brillante aux extrémités du capillaire est due à un ancrage planaire de la phase nématique sous l’influence des bords de parois du capillaire. Il convient de noter que la phase nématique des suspensions de gibbsite développe également ce type d’ancrage homéotrope [10].

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