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La violence de la représentation, justement, est multiple et elle touche plus qu’une seule image des femmes. Les femmes sont en effet des ‘cibles’ de choix de la représentation, régulièrement ramenées à un statut d’objets de spectacle et de marchandise qui dépasse largement l’édition. Face aux scénographies éditoriales des livres des écrivaines franco- /algériennes, la perspective raciale et postcoloniale peut donc (et doit donc, on l’a vu juste avant) s’articuler avec une perspective genrée et féministe. Et en premier lieu parce que les écrivaines sont en effet des écrivainEs.

Du sujet écrivant à l’objet regardé

Je l’ai évoqué à plusieurs reprises déjà, le fait que les écrivaines soient des femmes n’est pas sans conséquence sur leur parcours professionnel (rémunération, médiatisation et visibilisation, les « Sagan algérienne et des banlieues », etc.). Il ne l’est pas non plus au sein des scénographies éditoriales, au niveau du vocabulaire utilisé pour parler d’elles, mais surtout au niveau de l’utilisation qui est faite de leur image, en bandeau, jaquette ou sur la couverture elle-même. Le visage (souvent) des écrivaines est régulièrement utilisée pour illustrer leurs livres, les personnifier selon des logiques toutefois différentes selon les périodes.

Assia Djebar par exemple a été présentée sous le mode de la femme écrivante, de l’écrivaine en activité, d’ailleurs qualifiée d’« un écrivain » en quatrième de couverture du livre en question (Les Alouettes naïves, 10/18, 1978). C’est la seule couverture qui présente une autrice de cette manière. Beaucoup d’autres présentent des portraits des écrivaines, plus jeunes (avec, parfois, la réutilisation d’anciennes photographies, probablement non réalisées en vue d’une couverture) ou au contraire inspirant une forme d’autorité intellectuelle par leur posture ou leur regard (Assia Djebar), ou encore vêtue en costume traditionnel kabyle

(Taos Amrouche). Certaines apparaissent aussi en couverture de leur seul livre plus autobiographique (Maïssa Bey). Par ce biais, l’écrivaine est présentée à la manière d’une star littéraire en même temps qu’elle est associée explicitement à son livre, ce qui entre en écho avec les jeux éditoriaux évoqués précédemment.

Page suivante :

Taos Amrouche : L’Amant imaginaire, Robert Morel, 1975 ; Rue des tambourins, Joëlle Losfeld, 1996. Assia Djebar : Les Enfants du nouveau monde, 10/18, 1978 ; Les Alouettes naïves, Actes sud, 1997 ; La Disparition de la langue française, Albin Michel, 2003.

Mais souvent (depuis les années 1990 plus précisément), ce qui semble présider aux portraits des autrices en couverture est moins un mode de personnification des ouvrages qu’un mode de spectacularisation des écrivaines. Cette mise en spectacle les transforme donc en objet à regarder. Si plusieurs écrivaines font les frais d’un processus qui semble s’intensifier au fil du temps (en témoigne la régularité avec laquelle on retrouve ce type de couverture depuis quelques années), les livres de Nina Bouraoui sont particulièrement évocateurs de cette dynamique, le portrait de l’autrice revenant avec une récurrence inégalée dans ce corpus – la maison d’édition Stock étant visiblement friande de cet usage de l’image de l’écrivaine. Page suivante :

Taos Amrouche : L’Amant imaginaire, Joëlle Losfeld, 1996.

Nina Bouraoui : La Voyeuse interdite, France Loisirs, 1991 ; Le Jour du séisme, Stock, 1999 ; Garçon manqué, Stock, 2000 et Le Livre de poche, 2002 ; La Vie heureuse, Stock, 2002 ; Poupée bella, Stock, 2004 ; Mes Mauvaises Pensées, Stock, 2005 ; Avant les hommes, Stock, 2007 ; Nos baisers sont des adieux, Stock, 2010 et J’ai lu, 2012.

Nora Hamdi : Les Enlacés, Léo Scheer, 2010 ; La Couleur dans les mains, 2011. Faïza Guène : Kiffe kiffe demain, Le Livre de poche, 2005.

À la différence des portraits des couvertures précédentes, ceux-ci fonctionnement sur un mode qui réaffirme sans cesse le statut de ‘femmes’ (au sens le plus social et symbolique du terme) des écrivaines, leur rappelant une supposée féminité qui prend trop souvent la forme d’une injonction – et c’est la limitation des femmes à ce mode d’apparition qui distingue les écrivains des écrivaines en portrait sur les couvertures de leurs livres respectifs. Ce sont d’ailleurs des attributs ou des pauses considérées comme féminines (ou qu’on attend souvent des femmes) qui sont mises en avant : yeux maquillés, sourire, cheveux longs autour du visage, jeunesse (ce n’est pas un hasard si le portrait sur lequel Assia Djebar apparaît plus âgée que ces dernières écrivaines est connoté différemment), etc. Ce n’est d’ailleurs pas que de féminité dont il s’agit mais aussi de séduction : le regard qui fixe l’objectif de l’appareil en plongée ou les yeux baissés, le léger sourire et les mains qui entourent le visage, les cheveux laissés libres, l’expression timide, mystérieuse ou même incitatrice… Ces portraits sont conçus de manière à faire des écrivaines non plus les autrices de ces livres mais leurs arguments de vente, les séductrices venant attirer les lecteurs·trices. Il ne s’agit plus tant de personnifier le livre à travers son autrice que de créer une sensualité autour de l’image de l’écrivaine, la réduisant (encore une fois) à l’attirance qu’elle pourra susciter. Attirance sensuelle (?) qui est donc mise au même niveau que l’attirance littéraire et commerciale : les écrivaines sont implicitement associées à l’idée que les femmes sont des objets de consommation, comme les livres.

Les écrivaines sont donc les premières à faire l’objet de cette mise en scène stéréotypée et réductrice des femmes qui les cantonnent à être les objets du regard plutôt que des sujets actantes. Une position d’actantes : c’est justement ce

qu’avait défendu Nora Hamdi en illustrant une bande dessinée scénarisée par Virginie Despentes, Trois étoiles (Au Diable vauvert, 2002). En poussant les codes de la féminité et du corps spectaculaire, sensuel et faussement disponible jusqu’à l’absurde, jusqu’au grotesque et même jusqu’à leur explosion visuelle et symbolique, Nora Hamdi avait redonné du pouvoir aux trois femmes qu’elle représentait, leur permettant d’être les seules initiatrices de leur propre mise en scène – à la différence, sans doute, des photographies normalisantes et normalisées de l’écrivaine qui figure en couverture de ses romans chez Léo Scheer.

Par une simple image des écrivaines, il est donc déjà possible de percevoir la manière dont le corps, la pause, la (re)présentation de soi est contrainte, et cette restriction participe d’une limitation du corps des femmes bien plus globale au sein d’un système de domination genrée :

Si le corps est tout autant socialement construit des deux côtés, celui des femmes, et donc leur rapport au corps propre et l’expression de leur personne, l’est de façon limitative : contraintes dans le vêtement et la présentation de soi, entraves à la motricité, limitations de la nourriture, de l’occupation de l’espace public, de l’utilisation du temps, de l’extériorisation des sentiments violents, interdiction des hommes, fabrication d’un corps “proche” et disponible pour les autres (hommes, enfants, vieillards, malades…), etc.161

Le visage multiple d’une féminité univoque

L’usage du corps des femmes comme illustration de couverture dépasse largement les portraits des écrivaines. Sans doute parce que les femmes sont fréquemment les sujets des romans des douze écrivaines franco-/algériennes mais aussi parce que leur corps est perçu comme un objet de consommation, de très nombreux livres des écrivaines ont pour couverture des représentations de femmes, et je n’évoquerai pas même ici ce dont j’ai parlé précédemment, les représentations de femmes orientalistes ou portant un voile (ce qui, si on les ajoute à celles dont je vais parler maintenant, fait passer les représentations de femme en couverture comme représentation la plus répandue au sein des scénographies éditoriales des livres des écrivaines franco-/algériennes).

Si une partie de ces illustrations, parfois à peine figuratives, tend plutôt vers la couverture reproduisant un tableau d’un·e peintre (Jacinthe noire de Taos Amrouche chez Joëlle Losfeld en 1996, Sabrina, ils t’ont volé ta vie de Myriam Ben et illustré par l’écrivaine elle-même, également peintre, chez L’Harmattan en 1986, la réédition de Presque un frère de Tassadit Imache chez Actes sud en 2001, quelques livres de Nora Aceval ou Nina Bouraoui, etc.), de nombreuses autres représentent des femmes selon les codes normatifs du genre : sensualité, douceur, grâce, mystère, romance, etc.

Trois types de présentations se dessinent dans l’ensemble de ces scénographies éditoriales. Tout d’abord, on retrouve régulièrement des portraits (photographiques ou dessinés) de femme, plus ou moins rapprochés, reprenant encore les mêmes codes que ceux des autrices : jeunesse, regard, maquillage, cheveux, etc. Puis de nombreuses couvertures montrent les corps des femmes eux-mêmes. Enfin, les dernières représentations sont plus tournées vers la norme hétérosexuelle en mettant en scène romantisme et relations amoureuses.

161 Nicole-Claude Mathieu à propos du travail de Colette Guillaumin, L’Anatomie politique 2, usage, déréliction et résilience des femmes, op. cit., p.41-42.

Ci-dessous :

Maïssa Bey : Entendez-vous dans les montagnes, L’Aube 2002 et 2015 (l’édition originale et la dernière réédition en date, auxquelles s’ajoutent quatre rééditions intermédiaires reprenant la même image, tandis que les éditions barzakh, sur ce même titre, proposent une image de paysage montagnard) ; Puisque mon cœur est mort et Hizya, L’Aube, 2015, etc.

Tassadit Imache : Presque un frère, Actes sud, 2000 ; Des nouvelles de Kora, Actes sud, 2009. Kaouther Adimi : L’Envers des autres, Actes sud, 2011

Le corps à l’épreuve des regards

En dépit des codes récurrents qui sont les leurs, les portraits ci-dessus sont les représentations les moins normatives et les moins restrictives puisque d’autres couvertures proposent elles aussi des photographies et dessins de femmes, à la différence que c’est sur leur corps que s’axe le regard, au point même qu’elles sont souvent ‘coupées’, sans visage, sans possibilité d’être reconnues. Leur corps, par l’intermédiaire d’une représentation détaillée ou d’une silhouette floue, attire l’œil, ce dernier étant parfois encouragé, par la nudité (suggérée ou réelle) et la

sensualité/sexualité de ces corps, à s’attarder sur la couverture de l’ouvrage. D’ailleurs, les ‘morceaux’ de ces femmes sans visage sont souvent les zones du corps considérées comme érotiques et excitantes, ou plus simplement typiquement féminines : longue chevelure, décolletés et seins, taille fine, courbes des hanches et des fesses, jambes vaguement couvertes d’une mini-jupe, etc. Encore une fois, les femmes deviennent objets du regard mais l’image est plus symboliquement et plus esthétiquement violente que précédemment.

Ci-dessous et page suivante :

Taos Amrouche : Jacinthe noire (jaquette), Edmond Charlot, 1947.

Leïla Sebbar : Le Peintre et son modèle, Al Manar, 2007 ; Les Femmes au bain, Bleu autour, 2009 ; Une femme à sa fenêtre, Al Manar, 2010.

Maïssa Bey : Sous le jasmin la nuit, L’Aube, 2015. Tassadit Imache : Je veux rentrer, Actes sud, 1998.

Nina Bouraoui : L’Âge blessé, Fayard, 1998 ; Mes Mauvaises Pensées, Gallimard, 2007 ; La Vie heureuse, Le Livre de poche, 2012 ; Sauvage, J’ai lu, 2013 ; Standard, Flammarion, 2014.

Faïza Guène : Les Gens du Balto, Le Livre de poche, 2010.

À travers ces images, les scénographies éditoriales encouragent non seulement des normes corporelles genrées mais aussi des représentations problématiques des corps. Ces derniers deviennent des corps offerts, et même livrés aux regards. Une réification assez courante du corps ‘féminin’ se met en place, ce dernier étant re-présenté à la faveur d’un supposé (et idéel) fantasme masculin :

The oppression of women [is] a sexual, erotic oppression. Male culture made women’s bodies into objects of male desire, converting them into sites of beauty and sexuality for men to gaze upon. Women learned to view their own bodies in the same way, and so were prevented from identifying with their own appearance162.

162 Sue-Ellen Case, Feminism and theatre, New York, Palgrave Macmillan, 2008, p.66 [1988] : « L’oppression

des femmes [est] une oppression sexuelle, érotique. La culture masculine transforme les corps des femmes en objets du désir masculin, les réduisant aux champs de la beauté et de la sexualité pour la contemplation des hommes. Les femmes ont appris à voir leur propre corps de la même manière et ont ainsi été empêchées de s’identifier à leur propre apparence. » (je traduis).

Ainsi, la femme n’est plus seulement l’objet d’images stéréotypées (« images of women »), elle est aussi un signe (« woman as sign »163) reçu par le lectorat. La notion de woman as sign est

née des réflexions menées avec une perspective féministe sur les arts de la scène, et de la pratique, féministe elle aussi, de ces derniers. Sue-Ellen Case, se référant à la sémiotique, évoque le « signe » et son « encodage culturel » ainsi :

Cultural encoding is the imprint of ideology upon the sign – the set of values, beliefs and ways of seeing that control the connotations of the sign in the culture at large. The norms of the culture assign meaning to the sign, prescribing its resonances with their biases164.

En considérant « la femme » sur les couvertures de livres pas seulement comme une image mais comme un signe, on comprend que cette femme n’est pas la représentation d’une réalité biologique ou naturelle mais une « construction fictionnelle165 ». Les conventions de la

scénographie éditoriale produisent donc un sens pour le signe « femme », qui est basé sur les associations culturelles faites avec le genre féminin. L’individu s’efface devant ces associations liées à son genre (et cela explique d’autant plus que les représentations ‘coupant’ visuellement le corps des femmes, en particulier leur tête, se répètent). C’est ici qu’agit en partie ce que Catherine MacKinnon nomme « the erotization of women’s surbordination166 ». Les éditeurs·trices, en mettant en place une telle scénographie pour les livres des écrivaines, semblent participer, avec les lecteurs·trices qui la reçoivent, à l’érotisation d’une oppression s’inscrivant dans un système hiérarchique global. Le choix de ces photographies pour des livres d’écrivaines franco-/algériennes est d’autant plus problématique et violent qu’il pourrait rappeler certaines photographies coloniales des femmes algériennes effectuées par des militaires comme forme de torture (les femmes étaient forcées de se déshabiller et de poser, parfois dans le cadre des violences sexuelles coloniales). Ces photos étaient justement apportées en France comme images érotiques mais aussi scientifiques, dans une approche typiquement orientaliste du corps dénudé de ces femmes. La femme était un objet non seulement sexuel, support de fantasmes, mais aussi un objet d’observation scientifique, comme on étudie la végétation d’un lieu, avec toute la déshumanisation qui y est liée. Cette histoire violente des images coloniales de femmes algériennes éclaire les choix éditoriaux effectués au sein de ces couvertures comme au sein de celles évoquées avant (orientalistes et exotiques, voire racistes)

163 Catherine Spencer, À corps perdus, théâtre, désir, représentation, Paris, L’Harmattan, 2005, p.26.

164 Sue-Ellen Case, op. cit., p.116 : « L’encodage culturel est l’empreinte de l’idéologie sur le signe – l’ensemble

des valeurs, des croyances et des façons de voir qui contrôlent les connotations du signe dans la culture au sens large. Les normes de la culture attribuent une signification au signe, imposant ses résonances selon leurs préjugés. » (je traduis).

165 Ibid., p.118 : « a fictional construct, a distillate from diverse but congruent discourses dominant in Western

cultures ».

166 Catherine MacKinnon citée par Sue-Ellen Case, op. cit., p.75 : « l’érotisation de la subordination des femmes »

d’une certaine lumière, les inscrivant au sein d’un système idéologique dont les mécanismes sexistes ne fonctionnement jamais sans leurs équivalents néocoloniaux.

La conséquence de cette mise à disponibilité du corps des femmes est l’entretien du male gaze, un regard construit par et pour les hommes, qui structure nombre de représentations. Pour Sue-Ellen Case, qui l’évoque à propos du théâtre,

The way the viewer perceives the woman on stage constitutes another theoretical enterprise. In her book Women and Film, E. Ann Kaplan characterizes this enterprise as ‘the male gaze’. Kaplan asserts that the sign ‘woman’ is constructed by and for the male gaze. In the realm of the theatrical production, the gaze is owned by the male: the majority of playwrights, directors and producers are men. This triumvirate determines the nature of the theatrical gaze, deriving the sign for ‘woman’ from their perspective. In the realm of audience reception, the gaze is encoded with culturally determined components of male sexual desire, perceiving ‘woman’ as sexual object167.

Si le milieu de l’édition est connu pour la présence importante des femmes dans la profession, il est également connu que les postes de direction sont majoritairement occupés par des hommes. Ce regard (gaze) trouve donc aussi son origine dans la structuration inégalitaire de l’édition même, qui fait revenir le pouvoir symbolique et réel inhérent à la prise de décision aux hommes – « ici, le terme “hommes” représente le sujet masculin dans le système patriarcal capitaliste168 », c’est-à-dire qu’il faut comprendre l’utilisation du mot comme renvoyant non pas à l’individu seul mais à ce que cet individu représente et incarne, à la manière dont il s’inscrit au sein de ce système. D’après Sue-Ellen Case, ce regard n’est pas seulement le fait des artistes (ici des éditeurs·trices). Il est également encodé par le public récepteur du livre et cet encodage invoque des « éléments culturellement déterminés » qui se réfèrent au désir masculin percevant la « femme » comme un « objet sexuel ». Le regard des lecteurs·trices peut en effet être animé par cette habitude culturelle et sociale conduisant à contempler les femmes comme objets de désir, et l’association de ce désir sexuel au désir d’achat devient l’un des fondements d’un système capitaliste sexiste qui se sert des dominations qu’il entretient pour s’entretenir. D’ailleurs, un autre fondement de ce même système est sa capacité à produire un regard si normatif qu’il est aussi celui des femmes : « la femme n’a accès au “gaze” (et à

167 Sue-Ellen Case, op. cit., p.118 : « La façon dont le·la spectateur·trice perçoit la femme sur scène constitue une

autre opération théorique. Dans son livre Women and Film, E. Ann Kaplan définit cette opération comme “le regard masculin”. Kaplan avance que le signe ‘femme’ est construit par et pour le regard masculin. Au niveau de la production théâtrale, le regard est possédé par les hommes : la majorité des auteurs, réalisateurs et producteurs sont des hommes. Ce triumvirat détermine la nature du regard théâtral, faisant dériver le signe de ‘femme’ selon leur point de vue. Au niveau de la réception par le public, le regard est encodé avec des composants culturellement déterminés du désir sexuel masculin, percevant la ‘femme’ comme objet sexuel. » (je traduis).

168 Sue-Ellen Case, op. cit., p.119 : « Here, the term ‘men’ represents the male subject in capitalist patriarchy. »

l’érotisme dont il est le mode/modèle) qu’en passant par le masculin, en adoptant à l’égard de sa propre image un point de vue masculin169. »

On peut rétorquer que Sue-Ellen Case applique son analyse du « male gaze » aux arts de la scène, bien distincts du secteur du livre, bien qu’ils soient similaires au milieu éditorial en termes d’égalité professionnelle. En fait, la chercheuse tire sa propre analyse d’une approche cinématographique, donc cadrée par une caméra. À ce titre, le cinéma impose en partie son cadre et son point de vue aux spectateurs·trices alors que le spectacle vivant est une expérience plurielle (la configuration architecturale des scènes permet en général une souplesse du cadre) dans laquelle le regard peut se démultiplier et ainsi échapper plus facilement à l’injonction du male gaze. Les couvertures de livre sont au contraire, comme les écrans de cinéma ou de télévision, des cadres fixes, et les illustrations ou photographies qui s’y trouvent ont elles- mêmes été élaborées à partir d’un cadre (celui d’une feuille ou celui d’une focale d’appareil photo). Finalement, les couvertures des livres se prêtent sans doute plus encore que les arts de la scène à un rapprochement avec les théories de Kaplan. Tandis que le théâtre, le cirque, la