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Chapitre 1 Les relations interpersonnelles dans les théories des mouvements sociaux

2. Coalitions de mouvements sociaux

2.2. Opportunités politiques

Un autre courant de pensée, concernant la création de coalitions de mouvements sociaux s’appuie sur l’importance des opportunités politiques. Il s’agit d’une approche qui utilise le concept de structure d’opportunités politiques, emprunté aux analyses sur les mouvements sociaux, et qui est appliqué aux coalitions de mouvements sociaux. Cette approche consiste à déterminer, à l’aide de six facteurs, l’influence du contexte politique sur l’émergence des mobilisations. Pour cela, il faut mesurer la multiplicité des centres autonomes de pouvoir, le degré d’ouverture à de nouveaux acteurs, l’instabilité des alignements politiques, l’existence d’éventuels alliés de poids pour les contestataires, la mesure dans laquelle le régime facilite ou réprime la revendication collective et les changements importants intervenants dans ces cinq domaines (Tarrow et Tilly, 2008 : 106). Un mouvement social est plus susceptible d’émerger lorsque les acteurs collectifs potentiels perçoivent les conditions favorables liées à ces six facteurs. Appliquée à des coalitions de mouvements sociaux, il s’agit d’une approche qui met en évidence la possibilité pour celles-ci d’émerger, en fonction notamment du système institutionnel et de la culture politique dans lesquels évoluent les mouvements sociaux présents.

Plusieurs auteurs ont adapté ce concept à des coalitions de mouvements sociaux pour déterminer comment la culture et la structure politique influencent la possibilité de former des coalitions. Parmi eux, Brian Obach (2010 : 197-218) explique en quoi les institutions étatiques aux États-Unis favorisent ou découragent l’émergence de coalitions entre des syndicats et des groupes communautaires. Il mentionne que deux facteurs précis influencent particulièrement la société civile, soit la délimitation, par l’État, des sphères de politiques publiques ; ainsi que les taxes. Certaines organisations, sont automatiquement amenées à travailler conjointement sur des dossiers en raison de cette séparation des politiques, alors que la présence de lois interdisant aux groupes communautaires de participer à la politique électorale les découragent de s’impliquer (Obach, 2010 : 213). Pour d’autres, l’application du concept de structure d’opportunités politiques consiste à déterminer en quoi la structure politique et sociale, au niveau local, a une influence sur les coalitions de mouvements sociaux. Diani, Lindsay et Purdue (2010 : 219-238) ont comparé deux villes de l’Écosse où des coalitions ont émergé, afin de déterminer en quoi la structure locale avait un impact sur le niveau d’intégration des

coalitions dans un mouvement social. En fonction de la culture politique, dans une ville où l’activité politique est particulièrement importante et la mobilisation plus facile, le lien entre la présence des coalitions et la participation à des mouvements sociaux est évident. Les organisations qui sont moins intégrées vont le devenir en faisant partie d’une coalition sur un sujet précis pour ensuite élargir éventuellement leurs horizons au mouvement social de manière plus générale. Dans une ville qui possède une culture politique moins participative, cette logique ne s’applique pas, car il n’y a pas de corrélation entre l’implication d’une organisation au sein d’une coalition et son intégration à un mouvement social (Diani, Lindsay et Purdue, 2010 : 219).

Ainsi, à la différence d’Obach qui applique littéralement le concept de structure d’opportunités politiques aux politiques qui sont votées par le pouvoir en place, Diani, Lindsay et Purdue l’ont adapté au niveau local tout en tenant compte de la société civile. Il s’agit de deux applications totalement différentes d’un même concept, alors que l’une va mettre l’accent sur le gouvernement qui établit les normes, l’autre attire plutôt l’attention sur la culture politique et sociale. De plus, les deux ont également des niveaux d’analyse divergents. Le premier se concentre sur le gouvernement central qui vote les lois et établit, par le fait même, les catégories politiques ; alors que les seconds se concentrent au niveau local. Le concept de la structure d’opportunités politiques avec ses six composantes permet ce type d’adaptation, certains auteurs accordant plus d’importance à l’un ou l’autre des éléments. L’appliquer à une coalition de mouvements sociaux peut donc se faire de multiples façons, comme en témoignent ces deux exemples dont les niveaux d’analyse diffèrent.

Cette perspective constitue une approche intéressante dans l’optique de notre recherche, puisqu’au sein même du pays dans lequel la Coalition québécoise contre la réforme de l’assurance-emploi évolue, les groupes communautaires ont une culture de protestation très différente. En effet, au Québec ces groupes vont régulièrement s’opposer à l’État québécois2, alors que dans les autres provinces la loi leur interdit d’avoir des activités politiques sous peine de se voir retirer leur financement (Canada, 2014). Les organismes qui ne se limitent pas à la prestation de services aux individus et qui ne suivent pas les lignes de conduites

2 Cette affirmation est de plus en plus contredite dans le contexte québécois actuel (2015), nous y reviendrons

gouvernementales sont pénalisés par le gouvernement canadien. Étant le principal pourvoyeur de fonds des organismes communautaires canadiens, l’État fédéral coupe drastiquement dans le financement de ces groupes lorsqu’ils s’opposent à ses orientations politiques (Laforest et Phillips, 2001 : 38). Ainsi, la Coalition étant avant tout étudiée pour son fonctionnement interne et les rapports interpersonnels entre les représentants de ses organisations membres, l’approche d’Obach est trop contraignante. En effet, elle vient plutôt expliciter en quoi la Coalition rencontre certaines difficultés à étendre son influence à travers le Canada en entier. Quant à Diani, Lindsay et Purdue, la comparaison qu’ils font entre deux villes met l’accent sur la culture politique et sociale présente dans ces localités. Par conséquent, il s’agit d’analyses qui mettent en lumière l’influence de facteurs externes à des coalitions sur l’existence de celles-ci, plutôt que d’insister sur leur fonctionnement interne.

2.2.1. Espace des mouvements sociaux. Pour Lilian Mathieu (2009), qui a étudié une coalition alliant un groupe de lutte contre le sida et un mouvement de chômeurs, la structure des opportunités politiques ne peut expliquer ce qui a permis à ces deux groupes de s’allier. En réponse à cette théorie, Mathieu défend son concept d’espace des mouvements sociaux au sein duquel différents groupes évoluent, espace qui se distingue des autres comme l’espace politique ou celui syndical, par exemple (Mathieu, 2009 : 4-5). La conjoncture qui a amené ces deux groupes contestataires à s’unir pour revendiquer une seule et même cause se rapporte donc à l’évolution du champ politique et à celui des mouvements sociaux. À la différence de la structure des opportunités politiques qui assume que des groupes ayant des objectifs similaires vont s’associer lorsque la structure politique est favorable, l’espace des mouvements sociaux permet à deux groupes ayant des visions différentes d’une même cause de s’allier, en fonction de l’évolution que connaissent les deux champs (Mathieu, 2009 : 22). Cette perspective lui permet de mettre l’accent sur ce qui différencie les deux groupes alliés, plutôt qu’uniquement sur ce qui les rapproche. L’espace des mouvements sociaux amène la possibilité, pour des groupes coalisés, de cadrer différemment la lutte qu’ils mènent ensemble. Enfin, si certains auteurs ont démontré en quoi des changements politiques ont permis à des groupes de former une coalition, Mathieu, pour sa part, explique que l’évolution des deux champs que sont la politique et les mouvements sociaux mène à une alliance qui paraissait peu probable entre deux groupes.

L’approche de Mathieu est intéressante, puisqu’elle vient nuancer les notions de cadrage et de structure d’opportunités politiques en introduisant le concept d’espace des mouvements sociaux. Cependant, comme il s’intéresse à deux groupes qui ont des objectifs différents et des visions de la lutte qu’ils mènent également divergentes, son approche serait difficilement applicable à la Coalition québécoise contre la réforme de l’assurance-emploi. En effet, les objectifs y sont clairement établis et bien que la vision puisse s’éloigner légèrement chez les membres, il y a quand même une base commune sur laquelle la Coalition peut s’appuyer. En outre, cette perspective analyse une coalition sur la base des alliances qui la forment et s’intéresse peu ou prou aux relations interpersonnelles entre ses membres. Il ne s’agit donc pas d’une perspective que nous pourrions utiliser dans le cas qui nous intéresse, puisque nous nous penchons précisément sur les liens sociaux entre les représentants des organisations membres de la coalition. La prochaine section de cette revue de la littérature aborde les théories qui s’intéressent à ces relations entre les individus.