• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Historique et contexte québécois

1. Absence de critères

Au sein de la Coalition contre la réforme de l’assurance-emploi, il n’y a pas de critères d’adhésion élaborés au départ, ni par la suite d’ailleurs. Ce sont des critères un peu implicites que l’on applique :

Les critères d’adhésion [c’est], au début, les personnes qui [veulent] contrer cette loi- là, ensuite de mémoire, il y a [..] une genre de déclaration commune et là ça [s’élargit], […] même des fédérations plus patronales, parce que pour eux (sic) aussi que ce soit le tourisme, que ce soit les pêcheurs ou autre, ça touch[e] leurs employés et leur commerce. Finalement le critère c’est êtes-vous d’accord avec la ligne qu’on tient ? Si oui, bienvenue! (Entrevue 4).

En fait, l’adhésion de nouveaux membres fait partie du plan d’action mis sur pied, il n’est donc pas question de restreindre cet accès de quelque façon que ce soit. Le mot d’ordre est plutôt de trouver des acteurs en ratissant le plus large possible, afin d’accentuer le poids du mouvement. Il va de soi que les groupes fondateurs qui ont le mandat de s’allier des adhérents, les centrales syndicales surtout, ne vont pas tenter de recruter des acteurs qui ne partagent pas leur vision de la réforme de l’assurance-emploi. Ainsi, par défaut, la première vague d’adhérents qui s’est jointe à la Coalition est le résultat de cette démarche de la part des

membres eux-mêmes, visant à augmenter le nombre de personnes autour de la table. Les membres de la Coalition se donnent comme mandat de recruter certains acteurs spécifiques qui sortent du cercle des groupes sociaux militants plus classiques. C’est de cette façon que la FQM, l'UMQ (Union des municipalités du Québec), l'UPA (Union des producteurs agricoles), SRQ (Solidarité rurale du Québec) et la Coalition de l'Est adhèrent à la Coalition, seulement dix jours après l’annonce de son lancement officiel (Non au saccage, 2014). Ce sont des groupes qui n’ont pas un grand historique de mobilisation sociale, mais qui acceptent de s’y joindre pour affirmer leur désaccord envers la réforme de l’assurance-emploi afin de démontrer que l’opposition est largement présente au sein de la population.

Par la suite, si les démarches pour chercher des appuis continuent de la part des membres impliqués, des organisations commencent d’elles-mêmes à appeler la Coalition pour y adhérer. Celle-ci faisant de plus en plus parler d’elle, des groupes sociaux désirent l’intégrer pour participer à cette mobilisation contre la réforme de l’assurance-emploi et certaines tensions reviennent d’ailleurs à ce moment. En effet, les personnes interrogées affirment que quelques organisations adhèrent aisément, mais d’autres comme l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) ou la FAE (Fédération autonome de l’enseignement) ont plus de difficultés à être intégrées. La FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) et la FECQ qui sont déjà membres de la Coalition, sont plutôt réticentes à travailler en collaboration avec l’ASSÉ, qui représente la frange radicale du mouvement étudiant (Entrevue 1). La FAE, pour sa part, étant issue d’une scission au sein de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), cette dernière rechigne à œuvrer conjointement avec son ancienne alliée (Entrevue 3). Ces dissensions ne durent pas très longtemps et tous les groupes sont admis, sans que le climat de travail ne se dégrade. Certains acteurs interrogés soulignent à cet effet que la Coalition permet ainsi d’outrepasser de vieilles chicanes et d’initier une collaboration entre des groupes qui n’y auraient pas consenti autrement. Nous revenons plus en détails sur cet aspect dans le chapitre suivant.

Dans cette perspective, l’absence de critères d’adhésion passe bien près de faire rejeter des alliés précieux uniquement en raison de tensions passées entre différents groupes. Des critères établis auraient certainement permis d’économiser du temps en ce sens, puisqu’au final tous ces groupes sont inclus. La seule organisation refusée, selon les propos recueillis, est le Conseil du patronat. Par contre, il n’est pas clair si ce dernier se voit littéralement refuser

l’accès ou s’il ne désire pas vraiment adhérer. La plupart des groupes ne sont pas en faveur de son adhésion, mais il y a quand même des discussions sur la question qui n’aboutissent finalement pas (Entrevue 1). En fait, certains employeurs sont membres de la Coalition, l’UMQ ou la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), par exemple, mais ce sont des employeurs qui gèrent un petit nombre d’employés et qui sont directement affectés par les changements au régime d’assurance-emploi. Pour les grosses compagnies, la réforme annonce plutôt des nouvelles positives : « cette réforme-là vient créer une pression à la baisse sur les salaires de tes travailleurs et sur leurs conditions de travail […] pour la grosse entreprise c’est génial. [De plus], ils vont être en mesure de baisser les cotisations des employeurs […] au final, c’est quand même assez intéressant.» (Entrevue 2). Le Conseil du patronat regroupe plusieurs grosses entreprises, comme Air Canada, Bombardier ou Québécor Média (Conseil du patronat, 2015) et la réforme ne pénalise pas ces employeurs, au contraire. Ainsi, bien que l’adhésion du Conseil du patronat à la Coalition semble une chance de démontrer un consensus sans précédent alliant des employeurs et des syndicats, les membres ne le voient pas d’un bon œil et les discussions avortent rapidement. Il s’agit de la seule organisation qui n’est clairement pas la bienvenue au sein de la Coalition, les autres étant finalement toutes intégrées.

Pour les personnes interrogées, bien qu’ils soient implicites, il existe donc bel et bien des critères d’adhésion qui sont les suivants : les nouveaux membres doivent être contre la réforme de l’assurance-emploi et doivent adhérer au plan d’action déjà élaboré. Un des objectifs de la Coalition est de chercher à intégrer des acteurs provenant d’un large bassin pour créer un rapport de force intéressant face au gouvernement. Les restrictions envers l’adhésion sont donc minimales. Exception faite des quelques cas mentionnés plus haut, tous les groupes qui en manifestent le désir deviennent rapidement membres.

Pour Tattersall (2010 :94-95), il ne s’agit pas de conditions de réussite optimales permettant une bonne cohésion interne et assurant la force d’une coalition à l’externe, puisque les critères d’adhésion à la Coalition sont inexistants en substance. Toutefois, ils s’avèrent tout de même implicites, c’est-à-dire que les groupes doivent minimalement adhérer au plan d’action déjà déterminé et s’afficher contre la réforme. Le fait qu’aucun critère précis ne soit élaboré suscite quelques discussions houleuses et fait ressortir des hostilités entre certains groupes. Cela pourrait probablement être évité avec la présence de critères d’adhésion fixés

dès le départ, mais la Coalition n’est pas réellement affectée dans son fonctionnement par ces hésitations. La prochaine section de ce chapitre se consacre à la présence de liens sociaux préexistants à la formation de la Coalition.

Liens sociaux préexistants

Dans la perspective de Corrigall-Brown et Meyer (2010), la présence de liens sociaux antérieurs à la mise sur pied d’une coalition, chez ses membres, a un impact considérable sur le recrutement de ceux-ci et sur son bon fonctionnement en général. Dans le cas étudié par ces auteurs, ce sont des gens qui se connaissent pour différentes raisons qui décident de former une coalition et qui recrutent d’autres personnes de leurs réseaux respectifs pour élargir leur influence et leur crédibilité. Dans cette dernière section, nous voyons donc si des liens sociaux existent préalablement entre les individus qui représentent les organisations membres de la Coalition et ensuite en quoi ces liens influencent le recrutement suite à sa création, ainsi que son fonctionnement interne.