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C ONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

106. Si le contentieux du mandat d’arrêt européen est marqué par l’affirmation du respect des droits fondamentaux par les juridictions des États membres qui invoquent fréquemment, comme argument de résistance, la préservation nationale des droits fondamentaux au nom du respect de leur identité constitutionnelle, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit aussi pour la Cour d’œuvrer en faveur d’un équilibre entre protection des droits fondamentaux et effectivité du mandat d’arrêt européen. L’outil de résistance qu’est l’identité constitutionnelle des États, une fois mise au service de l’argumentation de la Cour de justice, devient une norme de convergence aidant à l’application conjointe et uniforme de la décision-cadre instituant le mandat et plus généralement du droit de l’Union européenne. En l’argument d’une identité purement nationale, va finalement contribuer à la recherche d’une identité européenne, indispensable à la construction d’un espace pénal européen. Elle viserait alors à rassurer les États en intégrant leurs identités constitutionnelles et nationales ce qui permettrait de lier, presque fusionner, les systèmes juridiques en faisant naître cette nouvelle identité de l’Union261, une « forme de cosmogonie »262 et les « principes communs deviennent les creusets d’une identité européenne »263. Identité bénéfique et nécessaire à la construction d’un espace pénal européen au sein duquel le mandat d’arrêt européen pourrait s’appliquer sans ralentissement judiciaire. En effet, le contentieux émergeant devant la Cour de justice nous montre également que les résistances étatiques ne sont pas seulement liées aux implications du processus au regard de la préservation des droits fondamentaux et de la question de l’identité constitutionnelle des États membres, mais également à la nature exclusivement judiciaire du mandat d’arrêt européen, qui va susciter des interrogations quant au fonctionnement du système judiciaire de ces derniers, souvent, là encore, au prisme des droits fondamentaux.

261 F. BENOIT-ROHMER, « Identité européenne ou identité nationale. Absorption, complémentarité ou conflit ? », in G. COHEN-JONATHAN, V. CONSTANTINESCO et V. MICHEL (dir.), Chemins d’Europe :

mélanges en l’honneur de Jean Paul Jacqué, Paris, Dalloz, 2010.

262 R. MEHDI, « L’identité de l’Union européenne », in M. FATIN-ROUGE STEFANINI (dir.), L’identité à la

croisée des États et de l’Europe : quel sens ? Quelles fonctions ?, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 160.

263 D. RITLENG, « Le droit au respect de l’identité constitutionnelle nationale », in J.-C. BARBATO et J.-D. MOUTON (dir.), Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États membres de l’Union

CHAPITRE 2 –

LES RESISTANCES LIEES A LA NATURE JUDICIAIRE

DU MANDAT DARRET EUROPEEN

107. En veillant à respecter les prescriptions énoncées par la décision-cadre 2002/584 et les modifications effectuées jusqu’en 2016 par le législateur de l’Union, les autorités des États membres doivent se conformer au droit de l’Union tout en appliquant leur droit national et en respectant leurs engagements internationaux. Par ailleurs, lors de l’exécution de la mesure, ils doivent également rester fidèles aux principes et aux prescriptions énoncés par les jurisprudences européennes. L’espace pénal européen est également investi par les engagements étatiques auprès du Conseil de l’Europe, qui leur impose de se conformer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi qu’à la jurisprudence de la CEDH. Pour garantir une certaine automaticité de l’exécution du mandat par les États, la Cour de justice de l’Union doit, là encore effectuer une conciliation. Les échanges entre Cours nationales et Cour de justice de l’Union puis entre Cours européennes interrogent sur la nature de leurs relations. Si traditionnellement, ces rapports sont analysés au prisme d’un éventuel « dialogue des juges »264 ou si ces échanges peuvent mettre en exergue rivalité ou « concurrence » des juges265, il faut distinguer, d’une part, les échanges entres les juridictions internes et la Cour de justice (Section I) et, d’autre part, les relations entre la CEDH et la CJUE (Section II).

108. Envisager les rapports entre les juridictions nationales et la Cour de justice sous l’angle de la protection des droits fondamentaux suppose de s’interroger sur une coopération entre ces deux juges. Ces échanges sont permis notamment par la procédure

264 Selon l’expression consacrée par Bruno Genevois dans les conclusions qu’il a rendues à l’occasion de l’affaire Cohn-Bendit CE Ass., 22 décembre 1978, Ministre de l’Intérieur c/ Cohn-Bendit, 11604, Recueil

Lebon, 1978, p. 524, ECLI:FR:CEASS:1978:11604.19781222.

265 L. POTVIN-SOLIS, « Les politiques de l’Union européenne et les rapports de systèmes entre les deux jurisprudences européennes dans la garantie des droits fondamentaux », in L. POTVIN-SOLIS (dir.),

Politiques de l’Union Européenne et droits fondamentaux : treizièmes journées Jean Monnet, Colloques

Jean Monnet, 2017, p. 123 ; P.-Y. MONJAL (dir.), La concurrence des juges en Europe : le dialogue des

juges en question(s) : actes du colloque international de Tours des 25, 26 et 27 novembre 2015, Les Actes

du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE offrant la possibilité aux juridictions internes de saisir la Cour de justice d’un renvoi en interprétation ou en validité afin d’assurer une application juste et optimale d’une disposition du droit de l’Union dans l’ordre interne. Clairement, les premières saisines de la Cour visant à éclaircir les États et assurer une application uniforme du mandat ont été effectuées par l’intermédiaire de cette procédure. Les réponses apportées par la Cour seront déterminantes dans l’exécution de la procédure en interne. Mais le contentieux et les procédures ont dû évoluer, car les enjeux soulevés lors de ces questions préjudicielles nécessitaient des réponses rapides afin de ne pas inutilement retarder les procédures et la détention des personnes concernées par la remise. Le contentieux du mandat d’arrêt européen a donc connu un nouvel élan et la prise en compte des droits fondamentaux s’est considérablement renforcée grâce à l’émergence de la procédure préjudicielle d’urgence ( ci-après PPU), composant aujourd’hui l’essentiel des questions soulevées devant la Cour. Le recours à ces procédures juridictionnelles est déterminant pour la définition des rapports entre ces deux systèmes juridictionnels.

109. Par ailleurs, le contentieux du mandat d’arrêt met en évidence l’importance des rapports entre le système de protection offert par le Conseil de l’Europe et appliqué par la CEDH et la nécessité d’une cohérence du contrôle par la Cour de justice. La Cour doit nécessairement mettre en perspective la protection des droits fondamentaux de l’Union avec celle prévue par la CESDH. Cette dualité devrait la conduire à effectuer une pondération et une conciliation des intérêts en présence pour assurer l’effectivité du mandat d’arrêt européen.

Section 1 – La nécessaire coopération entre les juges nationaux et juge

de l’Union

110. L’intégration dans les ordres juridiques nationaux de l’ordre juridique de l’Union et de son application par la Cour de justice marque le particularisme du droit de l’Union et impose nécessairement un échange entre la Cour et les juridictions internes pour assurer une protection optimale des droits fondamentaux qu’ils soient garantis par

les Constitutions ou par le droit de l’Union266. L’intégration pénale européenne impose alors au juge national de repenser ses échanges avec les juridictions européennes.

111. Les États membres de l’Union doivent se conformer aux exigences supranationales des normes soit directement pour les normes dotées d’effet direct soit à l’issue d’une transposition pour les directives. Ainsi et comme la jurisprudence de la Cour eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises « les règles du droit de l’Union directement applicables qui sont une source immédiate de droits et d’obligations pour tous ceux qu’elles concernent, qu’il s’agisse des États membres ou de particuliers qui sont parties à des rapports juridiques relevant du droit de l’Union, doivent déployer la plé-nitude de leurs effets, d’une manière uniforme dans tous les États membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant toute la durée de leur validité »267. Ainsi, les droits et obligations découlant du droit de l’Union doivent être intégrés et appliqués par les États membres. Toutefois et s’agissant notamment des directives nécessitant l’adoption d’actes de transposition pour être effective en droit interne, la difficulté majeure à l’échelle de l’Union est celle des divergences d’interprétation par les législateurs nationaux conduisant alors à des transpositions et des applications variables. Si ces différences peuvent s’expliquer par une des traditions juridiques et constitutionnelles propres aux États et caractéristiques de l’Union, elles s’avèrent être un obstacle à l’exercice uniforme du droit dérivé de l’Union. De surcroît, l’exercice de transposition puis l’application des directives européennes et, plus particulièrement, celle instituant le mandat d’arrêt européen, conduit parfois le juge national à saisir la Cour pour obtenir son interprétation de la norme en cause et veiller à se conformer, en interne, aux exigences européennes. Le contentieux du mandat d’arrêt européen met en évidence cette coopération entre juges nationaux et juges de l’Union en plaçant la procédure du renvoi préjudiciel au cœur du système. Analyser ces rapports suppose de s’interroger sur la nature des échanges effectués grâce à la procédure du renvoi préjudiciel appliquée au mandat d’arrêt européen (Paragraphe1). Il ne s’agit pas réellement dans ce cas d’un dialogue, dans la mesure où

266 F. PICOD, « La Cour de justice de l’Union européenne et les rapports entre les ordres juridiques de l’Union européenne et des États membres », in B. BONNET et G. ABI-SAAB (dir.), Traité des rapports entre

ordres juridiques, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2016, pp. 995‑1010.

267 CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’État contre Société anonyme Simmenthal, op. cit. pts. 14 et 15 ; CJCE, 19 juin 1990, The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte : Factortame

Ltd e.a., C-213/89, European Court Reports 1990 I-02433, ECLI:EU:C:1990:257 pt. 18 ; CJUE, Gde. ch.,

8 sept. 2010, Winner Wetten GmbH contre Bürgermeisterin der Stadt Bergheim, aff. C-409/06, Rec. 2010

l’autorité conférée aux décisions préjudicielles tend à démontrer une sorte de hiérarchisation verticale entre la Cour et les juridictions nationales.

112. L’instauration de la procédure préjudicielle d’urgence corroborera cette approche verticale de la coopération entre les juges (Paragraphe 2). Cette procédure, guidée par l’impératif de célérité tenant à l’importance et à l’urgence de statuer pour limiter les atteintes à un droit fondamental de l’individu concerné par la remise (et le plus souvent placé en détention), vise à renforcer la protection accordée aux droits fondamentaux, mais consolide le caractère hiérarchique des relations entre les juges. Si le recours à la procédure d’urgence est nécessaire au regard de la sauvegarde des droits fondamentaux, elle est inhabituelle pour le juge national. À ce titre, elle est constitutive d’une résistance étatique puisque les juges nationaux devront se conformer aux réponses formulées par la Cour de justice. Or dans la sphère pénale, encore marquée par un nationalisme exacerbé, et d’un point de vue purement interne, l’influence de la Cour demeure discutable.

P

ARAGRAPHE

1 – Le dialogue vertical entre les juges nationaux et la Cour de