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MISE EN ŒUVRE DU MANDAT

D

ARRET EUROPEEN

200. Le contentieux du mandat d’arrêt européen est révélateur de résistances de la part des États membres à l’égard de l’intégration pénale européenne, plus largement il permet d’étudier une problématique centrale et propre à la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice qui est celle de la préservation des droits fondamentaux. Si la Cour de justice a su apporter une réponse aux réserves nationales liées à la sauvegarde de leur identité nationale et constitutionnelle et à rassurer les juges nationaux vis-à-vis de l’évolution des échanges juridictionnels au sein de cet espace, il lui faut ensuite assurer l’effectivité de la coopération pénale et plus spécifiquement du mandat d’arrêt européen. Pour cela, elle va devoir guider les États dans la mise en œuvre du mandat tout en contrôlant l’application du droit de l’Union et en veillant à la primauté de celui-ci.

201. La Cour va se trouver confrontée à la nécessaire articulation de deux impératifs contradictoires : l’exécution du mandat d’arrêt européen et la protection des droits fondamentaux. Cette préoccupation caractéristique du contentieux étudié va conduire la Cour à répondre aux critiques des États portant sur l’insuffisance de la protection européenne en matière de droits fondamentaux et à renforcer les modalités procédurales du mandat d’arrêt européen pour faciliter son application par les États. Assurer la primauté de l’un vis-à-vis de l’autre est délicat et ne doit, en aucun cas, conclure à l’éviction de l’autre impératif. Il faut en réalité réussir à les combiner pour ne pas freiner la coopération policière qui connaît un réel succès au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Dès lors, la Cour veillera au respect du droit de l’Union en rappelant aux juges nationaux qu’ils sont les juges de droit commun de l’Union

européenne431 et qu’à ce titre, ils doivent se conformer aux exigences fixées par les traités. Afin de pérenniser l’application de ce droit, la Cour a dégagé un ensemble de principes permettant d’assurer un effet direct à ce droit, une primauté de ce droit sur les droits internes permettant de laisser inappliqué le droit national contraire ou encore une obligation d’interprétation conforme du droit national au regard de ce droit supra national (Chapitre 1).

202. S’agissant des modalités nationales de mise en œuvre du mandat, il est à noter que l’ingérence des États membres est une caractéristique de cet instrument de coopération. En effet, la mise en œuvre d’une telle mesure dépend des droits nationaux. Aussi la Cour va devoir strictement encadrer l’application du mandat par les États pour permettre sa réussite. Une des premières difficultés à laquelle la Cour a été confrontée c’est celle du principe d’autonomie procédurale. Si la décision-cadre nécessite d’être transposée en droit interne pour être applicable et invocable, le risque est qu’elle le soit de manière différente sur l’ensemble du territoire. Aussi pour répondre aux velléités souverainistes et assurer une certaine cohérence au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, il lui faudra encadrer ce principe pour circonscrire la liberté étatique sur ce point. La seconde étape sera assurément celle du rapprochement des législations nationales. En répondant aux renvois préjudiciels, la Cour tente d’harmoniser l’interprétation qu’il convient de réserver à la décision-cadre 2002/584 (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 –

LES RESISTANCES LIEES A LEXECUTION DU

MANDAT DARRET EUROPEEN

203. Pour faire face aux revendications souverainistes et identitaires utilisées comme rempart à la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen au sein des États membres, la Cour de justice doit sans cesse rechercher l’équilibre afin de permettre l’application de cette mesure sans attenter aux droits fondamentaux des individus concernés par la remise. Ainsi, elle doit confronter les ordres juridiques nationaux et européens afin d’offrir la protection la plus convenable et éviter d’accroître davantage les réserves étatiques à cet égard. Sa mission est aussi de traduire les objectifs de l’Union dans ses décisions. La nature même du mandat a pu être largement remise en cause et c’est à cette occasion que les États membres ont vivement critiqué l’outil de coopération pénale européenne en arguant régulièrement de la préservation de leur identité constitutionnelle et nationale. Toutefois, aujourd’hui des problématiques nouvelles ont fait leur apparition et elles concernent davantage l’exécution du mandat. L’argument souverainiste existe encore dans la mise en œuvre du mandat puisqu’il s’agit surtout de veiller au respect des droits fondamentaux et toute la discussion est de savoir quels droits doivent primer, ceux garantis par les constitutions nationales ou ceux offerts par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

204. L’étude de ce contentieux permet de mettre en évidence des contestations nationales et souverainistes au point de, parfois, les qualifier « d’opacité paralysante »,432 mais ici la Cour ne se laisse pas paralyser. Elle peut s’appuyer sur l’article 67 TFUE, point 3, qui prévoit que « L'Union œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité, du racisme et de la xénophobie, ainsi que de lutte contre ceux-ci, par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le

432 J.-P. PUISSOCHET, « La libre circulation des jugements : réalité et perspectives », in Les effets des

jugements nationaux dans les autres États membres de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp.

rapprochement des législations pénales ». Ainsi, la Cour va devoir parvenir à un équilibre entre préservation des droits fondamentaux et mise en œuvre du mandat d’arrêt européen. Il ne s’agit pas simplement de faire primer un impératif sur l’autre, mais l’exercice est plus délicat, car la Cour doit dégager une sorte de consensus permettant de satisfaire les États tout en veillant à l’exécution du mandat. Garantir l’exécution du mandat c’est favoriser sa réussite et plus largement cela contribuera au succès de l’espace pénal européen convoité.

205. Pour réaliser cet arbitrage, les juges de la Cour de justice s’appuieront sur un des principes classiques et caractéristiques de l’Union économique à savoir celui de la liberté de circulation. Ce principe sera utilisé pour analyser la situation des citoyens européens, mais également celle des décisions de justice. Associé aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelles, le principe de libre circulation permettra ainsi à la Cour de veiller à l’exécution du mandat tout en prenant en considération les droits fondamentaux des individus tels qu’ils sont protégés au niveau national et européen (Section 1). Mais la Cour devra également faire face à une confrontation entre l’impératif d’exécution du mandat imposé par le législateur de l’Union et l’invocation, par les États des droits procéduraux des individus. Pour apporter des réponses claires et satisfaisantes, la Cour parviendra à dégager plusieurs présomptions de conformité à ses droits afin d’assurer l’effectivité du mandat (Section 2).