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Séance 3 : Le début de séance s’est bien passé, Théo a eu l’air content de me voir. Lors de la première activité proposée (puzzle de formes géométriques colorées), il n’a pas vraiment persévéré et semblait s’ennuyer. Nous avons néanmoins pu facilement le remobiliser et il a terminé 2 puzzles.

Nous lui avons ensuite proposé de dessiner. Il a semblé très intéressé au début, puis a fini par s’arrêter pour regarder ce que nous faisions. Nous avons tenté de le réintroduire dans l’activité en dessinant les contours de sa main, mais il commencé à s’agiter et à tester les limites du cadre : il a renversé le pot à crayons, essayé de s’asseoir sur nous, sorti d’autres jeux qu’il a jeté par terre puis piétiné… Il détruisait tout et nous a même écrasées de tout son poids en nous poussant pour passer, comme si nous n’avions pas de corps dense et qu’il pouvait nous traverser. Par ce geste, il semblait vouloir nous faire « disparaître » lorsque nous nous opposions à ses transgressions. Nous avons donc tenté de revenir à des activités qu’il connaissait bien et appréciait (lettres Montessori et vissage/dévissage de bouchons) afin qu’il puisse se calmer. Je me suis faite également moins présente, n’intervenant plus lors de ses débordements puisque cela n’avait visiblement aucun effet. Le vissage/dévissage a semblé l’apaiser et Théo a enfin pu se concentrer sur une tâche précise. Malheureusement, cela n’a pas duré et nous n’avons pas pu poursuivre l’activité suivante (lettres Montessori). Théo s’est agité de nouveau, se manifestant à grand bruits verbal et corporel.

68 La psychomotricienne a mis fin à la séance en lui signifiant que rien de sensé ne pouvait être réalisé dans ces conditions. Il a alors paru réellement surpris et peiné, et a fait trainer la fin de séance en refusant de mettre ses chaussures, de se lever de sa chaise et de sortir de la pièce.

Théo avait eu l’air de m’avoir accepté facilement dès la première séance, pourtant son agitation motrice croissante et son impossibilité à s’engager dans la moindre activité exprimait bien une tension interne manifeste. Si nous avions initialement pensé qu’elle était due à des stimuli sensoriels difficiles à gérer pour lui, nous nous sommes questionnées sur son vécu de l’irruption d’un tiers dans la relation privilégiée qu’il entretenait jusque-là avec la psychomotricienne. Jacques LACAN, un psychiatre et psychanalyste français qui a éclairé les travaux de Sigmund FREUD au regard de nouvelles données anthropologiques et linguistiques, stipule que lors de la phase œdipienne, l’enfant qui fantasme d’une relation exclusive avec sa mère s’en voit symboliquement « castré » par la présence du père. En effet, l’introduction de ce tiers médiateur dans la relation mère-enfant empêche la fusion de ceux-ci, et c’est l’acceptation de cette castration symbolique qui permet à l’enfant de passer d’une relation duelle à une relation triangulaire.77

L’agitation dont Théo avait fait preuve aux deux dernières séances s’expliquait peut- être par son refus de devoir trianguler sa relation avec sa figure d’attachement dans la séance, c’est-à-dire la psychomotricienne. Afin de lui permettre de s’accoutumer progressivement à cette nouvelle situation, nous avons donc décidé d’instaurer un rituel symbolisant cette relation à trois : désormais, à chaque début de séance nous accrocherions des photos de chacun de nous pour signifier notre présence ainsi que la météo du jour. Nous avons pensé que cela renforcerait le cadre, le rendant peut-être plus lisible aux yeux de Théo. Nous avons également pensé qu’un pictogramme « stop » pourrait lui permettre de nous signifier à n’importe quel moment de la séance s’il avait besoin d’une pause de cinq minutes où nous resterions chacun de notre côté afin de se recentrer quelques instants. Cette démarche avait pour but de lui proposer un médiateur pouvant mettre en image, donc en sens, le moment où son état interne ne lui permettait plus d’être présent avec nous. Cela représentait donc à la fois une liberté et une responsabilité.

Séance 4 : Nous avons débuté dans une ambiance relativement calme. Théo s’est rapidement saisi du nouveau rituel des photos ainsi que de la première activité (puzzle de formes géométriques colorées). Nous avons pu jouer à trois au sol, à tour de rôle. Théo reconnaissait les formes similaires sur nos puzzles respectifs, ce qui était encourageant au vu

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69 de l’objectif que nous nous étions fixées (lui faire accepter la relation à trois). Lorsque nous lui avons proposé de recommencer, il nous a signifié qu’il n’en avait pas envie en rangeant la boîte. Puis il s’est levé et s’est dirigé vers le bureau en commençant à s’agiter alors qu’il était jusque-là très calme. Il a saisi le pictogramme « stop », nous avons donc commencé une activité chacun de notre côté. Théo s’est installé au bureau pour dessiner. Il ne dépassait pas, respectant précisément l’espace de la feuille. Il nous regardait de temps en temps, puis s’est déplacé une fois dans la pièce sans nous déranger. En revanche, il n’a pas accepté de revenir à une activité commune à la fin de la pause malgré une explication préalable et un repérage visuel du temps imparti. Dès que nous avons tenté de le solliciter pour le jeu de construction, il a réitéré le comportement provocateur de la dernière séance. Nous l’avons donc orienté vers une activité « canalisatrice » (vissage/dévissage) mais il nous a manifesté son désaccord en effectuant des gestes désinvoltes et brusques. Nous avons pris l’initiative de lui proposer à nouveau une pause en verbalisant que nous étions réceptives à ce qu’il exprimait, mais cette fois Théo ne s’en est pas saisi pour se recentrer, se relançant de plus belle dans une agitation motrice et vocale. Il a éparpillé la boîte de lettres magnétiques et refusé de la ranger par la suite, allant jusqu’à cacher des lettres sous lui en souriant pendant que nous rangions le reste. Il semblait s’amuser de notre mécontentement et a refusé toutes les autres activités suivantes, s’enfermant dans une dynamique destructrice. Nous nous sentions dépassées par son comportement qui semblait être voué à nous pousser dans nos retranchements et à tester la solidité du cadre.