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CHAPITRE 3 – GOUVERNANCE DU GOLFE DU SAINT-LAURENT : CONTEXTE NATIONAL

3.1 Fédéralisme canadien

3.1.2 Océans

Bien que la capacité du fédéral à légiférer les activités terrestres soit un peu plus restreinte, plusieurs activités maritimes font partie de ses pouvoirs exclusifs. Les pêcheries, la navigation, les navires et les ports sont ainsi explicitement décrits comme des matières fédérales. À l’époque de

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l’adoption de la Loi constitutionnel de 1867, les principales activités maritimes étaient donc toutes sous compétence fédérale. Qu’en est-il des nouvelles activités qui se sont développées au courant des décennies suivantes? La constitution est plutôt silencieuse sur la question, c’est donc aux tribunaux qu’il a fallu s’en remettre pour clarifier la situation.

En ce qui concerne l’aquaculture, il n’était pas clair par le passé à quel palier de gouvernement revenait le droit de contrôler cette activité. En 2009, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu un arrêt décrétant que l’aquaculture relevait de la pêche et était par conséquent de compétence fédérale. Sur la côte ouest, cette activité est donc réglementée par le fédéral depuis ce jugement. Toutefois, sur la côte est du pays, des protocoles d’ententes, en vertu desquels les provinces sont responsables de la planification de l’aquaculture, ont été conclus entre les provinces et le fédéral. Dans cette région, cette activité est donc en grande partie gérée par les provinces (Nguyen et Williams, 2013).

En ce qui concerne la gestion des ressources naturelles océaniques autres que les pêcheries, la constitution ne détermine pas clairement qui, des deux ordres de gouvernements, a compétence sur cette matière. Cette situation s’explique par le fait que le partage des pouvoirs s’est fait à une époque où l’exploitation du sous-sol marin était impensable. Il est aussi important de préciser que la compétence des provinces sur les ressources naturelles ne vaut que pour celles comprises sur leur territoire (voir l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867). Or, l’extension de la souveraineté des États sur la mer territoriale et la reconnaissance de droits souverains sur la gestion des ressources naturelles dans la zone économique exclusive (ZÉE) et le plateau continental n’ont été réalisées qu’au milieu du 20e siècle avec les conventions des Nations Unies sur le droit de la mer (Rothwell and Stephens, 2010). Le territoire marin des provinces dépend donc de la date et des conditions de leur entrée dans la fédération. C’est du moins l’un des critères retenus par la Cour suprême du Canada pour résoudre cette question. À ce jour, seules Terre-Neuve-et-Labrador et la Colombie-Britannique ont questionné les cours de justice à ce sujet (Calderbank et autres, 2006; McDorman and Chircop, 2012). L’autorité des provinces sur la colonne d’eau et le sous-sol marin varie, selon la province, passant d’aucune, ou presque, pour la Colombie-Britannique à une zone de 12 milles marins pour Terre-Neuve-et-Labrador (l’équivalent de la mer territoriale). Bien que la compétence sur la mer territoriale puisse varier, les droits sur la ZÉE et sur le plateau continental reviennent dans tous les cas au fédéral. Comme il s’agit, de loin, des deux plus grandes zones

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marines sous autorité canadienne, il est clair que la compétence sur les ressources naturelles océaniques revient, légalement du moins, majoritairement à l’État fédéral. Dans la pratique, ce dernier a cependant adopté une approche collaborative dans la gestion de certaines ressources non renouvelable comme le pétrole. Le cas du golfe du Saint-Laurent permettra de le voir dans les chapitres suivants.

Tout comme pour l’environnement en général, l’environnement marin n’était pas une matière mentionnée dans la constitution. Les tribunaux ont cependant soutenu à plusieurs reprises qu’il était dans les pouvoirs du gouvernement fédéral de protéger l’environnement marin (VanderZwaag, 1995). Compte tenu de cette reconnaissance et de son autorité sur la plupart des activités qui s’y déroulent, l’État fédéral a eu prééminence dans la protection de l’environnement marin. Les pêcheries et la navigation ont été et restent effectivement parmi les activités exerçant les pressions les plus intenses sur l’environnement marin (Scheiber, 2011). En s’appuyant sur sa compétence de POBG, le fédéral s’est aussi vu reconnaître la capacité d’exercer un contrôle sur d’autres activités maritimes que celles spécifiquement mentionnées par la constitution. C’est notamment le cas de la Loi sur l’immersion des déchets en mer qui visait à contrôler des activités comme le dragage ou l’immersion de navires inutilisables (VanderZwaag, 1989). En plus du contrôle sur les principales activités maritimes, le fédéral a élaboré des mesures visant à prévenir et à limiter les effets négatifs sur l’environnement de certaines activités terrestres. Sa compétence sur les pêcheries notamment, l’a amené à adopter des règlements et des lois afin de protéger l’habitat du poisson et à exercer un contrôle sur les activités terrestres qui pouvaient l’affecter. La Loi sur les pêches, en vertu de laquelle a été adopté le Règlement sur les effluents de l’industrie de la viande et de la volaille, en est un exemple.

Au final, le fédéral détient la grande majorité des pouvoirs pour réguler et contrôler les activités qui s’exercent sur les océans. Cette position privilégiée lui a permis d’avoir prééminence dans la protection de l’environnement marin. La balance des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement est donc bien différente entre la gouvernance des océans et la gouvernance des espaces terrestres. Le tableau 3.1 résume le partage constitutionnel des pouvoirs législatifs entre les deux ordres de gouvernements sur les espaces maritimes et les activités qui y ont lieu.

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Tableau 3.1 – Partage constitutionnel des compétences sur la gestion des océans

Matière Détenteur du pouvoir

législatif Source du droit Pêcheries

Fédéral Loi constitutionnelle de 1867

Navires et navigation

Fédéral Loi constitutionnelle de 1867

Ports

Fédéral Loi constitutionnelle de 1867

Aquaculture Fédéral* Décision judiciaire

Exploration et exploitation des fonds

marins Incertain/Peut varier** Décisions judiciaires Protection de l’environnement marin Partagé*** Décisions judiciaires

Activités terrestres qui peuvent affecter le milieu marin, estuarien ou

côtier (ex. : agriculture, foresterie, barrages hydroélectricques, aménagement du territoire, traitement des eaux usées

municipales)

Majoritairement Provinces

Loi constitutionnelle de 1867

*Des ententes ont permis de déléguer certaines responsabilités aux provinces.

**Cette question n’a pas été totalement éclaircie et il reste un certain flou. Voir chapitre 4. ***Principalement assumé par le fédéral en vertu de sa compétence sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement et de ces autres attributions.

À la lumière de ce portrait, on pourrait supposer que l’État fédéral détient la légitimité et l’autorité nécessaire pour organiser la protection de l’environnement marin de manière unilatérale. Toutefois, ce constat général pour les océans canadiens ne correspond pas nécessairement à la réalité régionale. Des ententes politiques intergouvernementales ont parfois changé considérablement le portrait de la gouvernance comme dans le cas du golfe du Saint-Laurent. Cet élément sera développé dans le chapitre suivant.

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