• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : L’ÉTAT DE LA QUESTION

2.2. Les obstacles à la collaboration en éducation au Québec

Les quelques études québécoises, et canadiennes, sur ce thème ont mis en avant les aspirations non reconnues à une plus grande autonomie des autochtones dans la relation de collaboration, mais aussi le manque d’homogénéité et d’explicitation du discours autochtone sur les pratiques éducatives qui semble d’ailleurs porter préjudice à cette volonté autonomiste. 2.2.1. La difficile reconnaissance de l’autonomie des communautés autochtones en éducation

Certains articles scientifiques ont confirmé que les démarches d’autonomisation des communautés autochtones sont généralement encore aujourd’hui, au Canada, confrontées à des obstacles normatifs (Natcher et Davis, 2007). En effet, le système normatif auquel les projets autochtones sont soumis, même lorsque des concessions sont faites quant à la portée de son champ d’application, est culturellement imprégné de la pensée de la civilisation occidentale. L’une des stratégies d’action nécessaire serait alors de remettre en cause les normes socioculturelles et institutionnelles s’appliquant aux autochtones. Pour ce qui est des études portant spécifiquement sur le domaine de l’éducation, des conclusions similaires doivent être mentionnées. En effet, des études propres au Québec ont démontré qu’il existe des obstacles administratifs (Larose, 1984) et financiers (CEPN, 2011 ; Lévesque, 2011) qui constituent un obstacle à l’épanouissement d’un système éducatif indépendant au Québec, notamment pour les communautés non conventionnées. Simard (1987) aussi, dans une étude

34

des discours de trois communautés, Montagnaise, Algonquine et Attikamek du Québec (soit des communautés non conventionnées), mettait en cause le « néopaternalisme bureaucratique » auquel certaines communautés participaient, comme obstacle au développement d’un projet éducationnel autochtone. Simard constate ainsi qu’en ce qui concerne l’administration, le contrôle local est vu par le gouvernement comme une simple décentralisation tandis que pour les autochtones, il s’agirait d’un transfert total des prérogatives relatives à l’éducation. Pour ce qui est de la responsabilité financière, le gouvernement estime qu’on ne peut pas investir plus alors que des investissements considérables ont été faits dans le système provincial. Les autochtones considèrent, quant à eux, qu’ils n’étaient pas parties prenantes à ces décisions. Selon Simard, une véritable prise en charge impliquerait, encore une fois, une remise en cause des normes socioculturelles et institutionnelles de la vie éducative ; car les représentants autochtones expriment une volonté autonomiste de contrôle des services éducatifs, d’intégration de la culture et de la langue, et ce, de manière transversale dans l’ensemble des structures de l’éducation.

Ces constats sont confirmés par l’acteur de terrain qu’est le CEPN (2002) selon qui, tel que nous l’avons déjà mentionné, les transferts de fonds et d’enfants des écoles provinciales vers les écoles des communautés autochtones sont conditionnés par des critères comme la comparabilité des programmes éducatifs avec ceux des provinces et l’obligation d’engager des enseignants ayant les mêmes qualifications légales que ceux des provinces (CEPN, 2002). Il écrit aussi : « L’imposition de ces exigences [dans les ententes de financement] avait pour unique but de vouer les communautés des Premières Nations à l’échec. » (p. 121). Le CÉPN dénonce plutôt l’absence de politique claire pour justifier les décisions relatives au financement, permettant des « changements unilatéraux et fantaisistes dans les critères de financement » (p. 123).

Toujours selon le CEPN (2002), le ministère des Affaires indiennes a d’ailleurs, pour l’occasion, accru la taille de sa bureaucratie, notamment de son service pédagogique (ce qui peut paraitre paradoxal dans une démarche de décentralisation), afin d’encadrer, d’orienter et d’influer, cette décentralisation de l’instruction. Ainsi, toute volonté de changement majeur du contenu ou de la nature des services éducatifs n’est que très rarement prise en compte dans la

35

distribution des budgets ou dans les options administratives, selon le CEPN (2002). Si le CEPN observe que le transfert de la prise en charge des écoles aux conseils de bandes a été suivi de certains progrès par rapport à l’amélioration des programmes éducatifs, à la qualité de l’éducation, aux contenus linguistiques et culturels dispensés et au taux d’obtention des diplômes (CEPN, 2002), les communautés continuent de devoir satisfaire prioritairement aux exigences des programmes d’études des provinces, donc aux normes d’un autre système éducatif. Paul (1983) résumait la situation ainsi :

En un mot, les bandes qui ont pris leurs écoles en main, devront se mettre à la tâche difficile de désamorcer le mécanisme d’intégration et d’assimilation de l’école fédérale qui prévalait dans les communautés montagnaises avant la prise en charge. Sinon, ce sont les communautés montagnaises qui cautionneront leur propre perte par le biais d’un type d’école que même la prise en charge n’a pas changée. (p. 5-11)

Il est important de mettre en contexte les déclarations de ce groupe qui a pour objectif affiché la défense des intérêts et droits des autochtones à obtenir leur indépendance en éducation. En effet, le Conseil en éducation des Premières Nations se présente ainsi « Vingt- deux communautés des Premières Nations du Québec se sont dotées d’un organisme régional représentatif en vue de défendre leurs intérêts et de les appuyer dans leur cheminement vers leur entière juridiction en matière d’éducation » (CEPN, 2016). À noter, il y a quarante communautés des Premières Nations au Québec. Toutefois, le fait qu’il y ait peu d’études rigoureuses et disponibles sur ce sujet légitime l’utilisation de documents du CEPN quand d’autres sources d’informations ne sont pas disponibles. L’Institut Tshakepesh, en charge de représenter d’autres communautés non conventionnées du Québec, les communautés montagnaises, ne se prononce ouvertement pas sur le sujet. Enfin, une étude d’une organisation tierce, en 1976, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), rapportait que les objectifs de maitrise au niveau local et de participation parentale (de La maitrise indienne de l’éducation indienne) n’ont pas été appliqués et que le modèle éducatif canadien est maintenu en lieu d’autres modèles plus appropriés aux autochtones. D’autres rappels seront émis, par le rapport de la Commission royale en 1996, puis par la Commission Vérité et réconciliation en 2015.

36

2.2.2. Un projet éducationnel ni homogène ni explicite

Simard (1987) a mis en exergue que les représentants autochtones expriment une volonté autonomiste de contrôle des services éducatifs, afin d’intégrer de la culture et de la langue, et ce, de manière transversale dans l’ensemble des structures de l’éducation, mais surtout via un projet éducationnel par et pour les autochtones. Cependant, l’auteure remarque que la finalité du discours scolaire autochtone n’est pas réellement explicite. De plus, cette dernière postulait qu’il y a deux tendances divergentes dans les discours autochtones en éducation, l’un serait concordant sur le fond avec la philosophie éducative occidentale quand l’autre souhaiterait la mise en place d’un nouveau paradigme (nous n’excluons pas la possibilité que la situation ait changé depuis trente ans, d’où notre étude). Le CEPN rappelait d’ailleurs, en 2002, que des contentieux internes sur les orientations éducatives à prendre, au niveau du projet éducationnel, affaiblissaient la cohésion des communautés. Ainsi, certaines communautés préféraient mettre en œuvre les réformes, préconisées par le gouvernement québécois, sur les technologies de l’information et de la communication plutôt que de développer et approfondir les aspects culturels et linguistiques de l’éducation autochtone.

Au niveau de la participation des parents, l’auteure note qu’aucun mécanisme n’est mis en place pour permettre leur implication. En ce qui a trait à la langue, Simard (1987) affirme que le modèle bilingue et biculturel proposé par le gouvernement ne conviendrait pas aux objectifs de revitalisation linguistique et de préservation culturelle. L’auteure doute de la volonté du gouvernement de préserver les langues autochtones, mais observe toutefois l’absence de position commune chez les autochtones quant à la politique linguistique et ses stratégies de mise en œuvre. En matière de pédagogie, les représentants des autochtones souhaitent une transformation radicale, tandis que le gouvernement continue de prôner une voie proche de l’assimilation. Néanmoins, l’auteure remarque que les propositions d’intervention du gouvernement ne se situent jamais au niveau des fondements de l’éducation, soit le paradigme éducatif occidental. Simard entend ici par propositions d’intervention, des propositions de modification des principes éducatifs relatifs à l’administration, à la langue et à la pédagogie mise de l’avant dans les discours. Elle en conclut que le gouvernement continue d’avoir un discours intégrationniste et assimilateur qui ne permet pas une prise en charge réelle

37

de l’éducation par les communautés autochtones. D’ailleurs, les communautés ne sont pas réellement consultées.

Simard (1987) reconnait néanmoins l’existence d’un embryon de changement et invite à développer des mécanismes de collaboration permettant la concrétisation des aspirations des communautés au niveau du projet éducationnel. Enfin, dans sa conclusion, l’auteure appelle à poursuivre les recherches sur ce thème. Ce que nous entendons faire. Cependant, les résultats de cette étude ont certaines limites en ce que les documents du corpus sont issus de seulement trois communautés non conventionnées. Ces résultats présentent donc un éclairage partiel de la situation éducative des trois nations étudiées. De plus, seuls les documents que les acteurs ont accepté de rendre publics ont été étudiés.