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CHAPITRE 6 : LA PRÉSENTATION ET L’INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

6.1. Présentation des résultats de l’analyse du corpus

6.1.3. Le recours souhaité aux savoirs et pratiques autochtones traditionnels

6.1.3.1. La langue d’enseignement

Au sujet de la langue autochtone de la communauté en cause comme langue officielle du territoire, dans une résolution de l’APN, numéro 55 de l’année 2010, les chefs, réunis en assemblée extraordinaire, affirment que « le droit d’éduquer nos enfants dans nos langues est un droit inaliénable, ancestral et issu de traités inhérents » (p. 1). Ils enjoignent ainsi l’assemblée des Premières Nations à « demander expressément que la langue maternelle soit la langue officielle dans chaque territoire et communauté des Premières Nations » (p. 2) et affirment « qu’il est nécessaire de prendre immédiatement des mesures pour promouvoir et protéger les langues autochtones » (p. 2).

Au sujet de la langue autochtone en tant que langue d’enseignement, plusieurs documents émettent des avis. Plus précisément, selon l’APN (2010), dans le document principal de sa politique en éducation, le CPNEPN, l’APN prône un enseignement de la langue autochtone « de façon régulière, en en faisant (1) une langue d’enseignement, et (2) une matière d’enseignement » (2010, p. 44). On prend note que « l’enseignement doit se faire dans la langue de la communauté aux niveaux préscolaires et primaires » (p. 44). Puis, « l’enfant devrait être initié à l’anglais ou au français comme langue seconde seulement après avoir acquis une solide connaissance de sa propre langue, ce qui demande quatre ou cinq années d’études. » (p. 44). Enfin, « là où n’est pas possible que l’enseignement se fasse

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uniquement dans la langue Indienne, les autorités scolaires devraient inclure au programme d’études des élèves indiens ou autres intéressés des cours réguliers de langue indienne qui seraient officiellement reconnus » (p. 44). En effet, plus récemment en 2013, la même instance, l’APN, dans sa résolution numéro 21, donne parmi ses conditions essentielles à la réussite des élèves et des écoles des Premières Nations « une immersion et un enracinement complets de toute l’éducation » dans les langues […] autochtones (p. 2).

Pour sa part, le CEPN, dans son document « La destinée de l’éducation pour les enfants des Premières Nations : Domaines prioritaires d’intervention » (2002) met en exergue différentes options du point de vue de la place de la langue autochtone à l’école :

Plusieurs modèles sont actuellement en vigueur et à l’étude dans les communautés des Premières Nations en matière d’enseignement des langues autochtones dans les écoles (…) par exemple :

– usage principal d’une langue autochtone à toutes les étapes de la scolarité ;

– usage de la langue autochtone en tant que langue seconde pour implanter un bilinguisme oral et écrit ;

– immersion des jeunes élèves dans la langue autochtone et passage à l’anglais ou au français lorsque l’enfant connait suffisamment sa langue (p. 9).

On réclame pour les langues autochtones un statut comparable à celui de la langue française au Canada. Dans un document de l’APN de 2002 intitulé « Soul of sovereignty », on voit apparaitre la revendication suivante : « Indigenous language learning funded as in French language funding formulas » (p. 165). Cette comparaison avec le système propre à la langue française apparait aussi dans le document de 2014 intitulé « Un cadre pour le succès de l’éducation des Premières Nations », on s’aperçoit que : « Le modèle de coût établi par l’Assemblée des Premières Nations […] propose un parallèle avec ce qui est actuellement préconisé au niveau des programmes de langue française par le système public canadien » (p. 3). Le parallèle avec le statut de la langue française au Canada est aussi repris lors d’un débat à l’Assemblée nationale (Journal des débats de la commission permanente de l’éducation Assemblée nationale du Québec) par M. Adélard Benjamin de l’Institut culturel et éducatif montagnais (un organisme québécois s’occupant spécifiquement de l’éducation des communautés Montagnaises ou Innu) qui affirme : « Vous voulez toujours sauvegarder votre langue, et c’est la même chose pour nous autres » (p. 3).

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Pour ce qui est des modalités pratiques de mise en place de cours en langues autochtones, dans le document CPNEPN (2010), l’APN demande à favoriser « le développement de matériel et de programmes visant à préserver et à protéger les langues, les cultures et le passé des Premières Nations » (p. 17). Elle prend note d’ailleurs que « les gouvernements hésitent à subventionner l’enseignement de langues non officielles » (p. 10). En effet, « il faut affecter des fonds et du personnel à des programmes d’études linguistiques visant à identifier les structures de la langue […] pour donner aux langues orales traditionnelles une forme écrite adaptée à l’enseignement et à la littérature » (p. 44). À ce sujet, la même Assemblée des Premières Nations affirme, dans une revue de littérature de 2012 intitulée « Langues des Premières Nations et amélioration des résultats des étudiants » (p. 22), qu’une éducation bilingue doit d’être accompagnée d’innovations pédagogiques pour être efficace : « Effective mothertongue bilingual education models usually include changes to the entire curriculum and, therefore, to teaching methods and materials as well »17. Enfin, pour revenir au document CPNEPN (2010), il y aurait besoin de « spécialiser des professeurs adjoints dans les langues indiennes, recruter sur place des Indiens qui connaissent bien la langue, pour assister les enseignants, assouplir les exigences pédagogiques afin de permettre aux Indiens qui s’expriment couramment dans leur langue de devenir enseignants qualifiés » (p. 44). Pour sa part, le CEPN dans son document « La destinée de l’éducation pour les enfants des Premières Nations : Domaines prioritaires d’intervention » (2002) confirme aussi un manque criant de ressources éducatives pour enseigner les langues : « le manque de ressources importantes en la matière, de matériel didactique en langues autochtones, de personnel enseignant, de linguistes et autres spécialistes, ces modèles risquent grandement d’être confinés à l’état de projets éphémères et sans avenir, faute de moyens » (p. 9). La demande en financement étant spécifiée, « il est nécessaire que plusieurs autorités gouvernementales soient interpelées afin qu’elles supportent concrètement les communautés des Premières Nations pour préserver leurs langues et les promouvoir. » (p. 9).

17 Les modèles les plus efficaces d’éducation bilingue basée sur la maitrise de la langue maternelle comprennent généralement des changements portants sur les contenus d’enseignements, les stratégies d’enseignement et le matériel pédagogique.

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En somme, l’APN propose que la langue maternelle soit la langue officielle des communautés (tableau XI). À l’école, la langue autochtone doit être à la fois une langue d’enseignement et une matière d’enseignement de manière à garantir l’immersion et l’enracinement complets de toute l’éducation en langues autochtones. Il est généralement convenu que la langue autochtone soit la langue d’enseignement au préscolaire et au primaire de sorte à garantir une vraie maitrise de la langue. Lorsque cela n’est pas possible, des cours réguliers de langue indienne doivent être fournis et officiellement reconnus. L’APN propose d’ailleurs de prendre exemple sur le modèle de financement de l’enseignement et de préservation de la langue française. Pour sa part, le CEPN propose trois options, la langue autochtone en tant que langue d’enseignement ou en tant que langue seconde, mais de manière à assurer un bilinguisme de l’apprenant ou encore l’immersion des jeunes élèves dans la langue autochtone et passage à l’anglais ou au français lorsque l’enfant connait suffisamment sa langue. Pour ce qui est des modalités pratiques d’intégration des langues autochtones dans l’enseignement, l’APN et le CEPN demandent le développement de matériel éducatif et de programmes adaptés (ce qui inclut de la recherche pour concevoir ces derniers), l’amélioration de la formation d’enseignants en langues et l’assouplissement des règles de certification pour permettre aux locuteurs locaux d’enseigner. Peu de données sont relatives à la place des langues occidentales même si l’objectif de bilinguisme peut être deviné par la volonté généralement convenue, comme dit précédemment, d’assurer un secondaire en langue occidentale. Le tableau X résume ici les aspirations des organismes autochtones sur l’utilisation des langues autochtones.

110 Tableau XI

Résumé des aspirations des organismes autochtones sur l’utilisation des langues autochtones. Aspirations au sujet de l’usage des langues

autochtones APN CEPN

Langue d’enseignement à tous les niveaux ✔

Langue d’enseignement

durant les jeunes années ✔ (aux niveaux préscolaires et primaires) ✔

Usage important de la langue autochtone ✔ menant à un bilinguisme oral et écrit)✔ (Langue d’instruction seconde Cours réguliers de langues (matière

d’enseignement) ✔ (si langue d’enseignement pas possible)

Matériel et programmes adaptés ✔ ✔

Assouplissement des règles de certification

d’enseignement pour les locuteurs locaux ✔

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