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4 1 PRÉSENTATION DU TERRAIN CLINIQUE

4.2 PRÉSENTATION D’ALEXANDRE

4.3.2 OBSERVATIONS ET CADRE NOSOGRAPHIQUE

Au fil des exercices graphomoteurs, des attitudes récurrentes mettent en lumière les difficultés d’Alexandre :

• Il diffère le moment d’écrire en bavardant de sujets annexes.

• Sa respiration devient vite plus haute et plus rapide. De temps en temps, il inspire très fort bouche ouverte ou pousse un soupir.

• Ses ceintures scapulaire et pelvienne sont peu dissociées. La répartition asymétrique du poids du corps sur les ischions, qui libère le bras scripteur, n’est pas acquise.

• Il a bien repéré dans l’espace de la feuille les axes horizontal, vertical et diagonal à 45° mais il a des difficultés à orienter certaines lettres (le [z], le [s]). Il s’arrête pour les tracer, doit penser leur inclinaison.

• Ses lignes de cycloïdes manquent de régularité : les boucles augmentent en hauteur, perdent en largeur, les espaces entre elles ne sont pas constantes, quel que soit le sens sénestrogyre, dextrogyre, alterné…

• Il est gêné par le regard que l’adulte porte sur sa production. Il cache sa main qui écrit, soit en arrondissant le dos, soit par une rotation du tronc partant de l’épaule, soit de l’autre main, soit en inclinant la tête grâce à ses longues mèches bouclées, soit en se couchant sur la feuille, soit par ces différents moyens conjugués.

• Il ne supporte pas la vision des caractères qu’il forme mal. Il les raie puis les noircit intégralement dans un geste compulsif ou les efface illico de l’ardoise magique.

• Il n’évalue pas sa maladresse de manière objective : il la nie en bloc ou la surestime. • Quand le travail est terminé, Alexandre revient sur un modèle tracé de la main du psychomotricien et le critique avec sévérité, en repassant par-dessus, en soulignant ses défauts supposés, comme le psychomotricien vient de le faire pour lui. Ce moment constitue une étape indispensable avant le temps de jeu.

• Il a tous les ongles aussi rongés que possible, à droite comme à gauche. • Il humanise ses signes graphiques. Cela se perçoit à travers ses commentaires.

Ces données, pas plus que celles recueillies au cours l’épreuve du bilan Soubiran à la rentrée193, ne suffiraient à diagnostiquer un Trouble de l’expression écrite tel que

spécifié par le DSM-IV. En effet, nous n’avons pas fait passer de test standardisé susceptible de donner la mesure d’un écart-type et nous n’avons pu apprécier

193 Cf. supra, p. 74.

d’éventuelles difficultés à composer des textes écrits. Les réponses d’Alexandre aux questions posées n’objectivaient pas d’erreur de grammaire, de ponctuation ou de construction de paragraphe. Certes, elles ne dépassaient pas une phrase, mais il retournait de lui-même à la ligne à chaque fois. « […] le diagnostic de Trouble de l’expression écrite n’est pas porté s’il existe seulement des fautes d’orthographe ou une mauvaise écriture, sans autre perturbation de l’expression écrite194. » Par ailleurs,

ce trouble des apprentissages spécifié par le DSM-IV n’a pas d’équivalence exacte dans la CIM-10, qui « mentionne une malhabileté pour l’écriture dans la description du trouble spécifique du développement moteur195 ».

Une heureuse alternative s’offre à nous : considérer les difficultés d’Alexandre comme une « crampe des écrivains196 », répertoriée parmi les troubles à expression

somatique en tant que trouble psychofonctionnel (8.1), l’équivalent des troubles somatoformes (F45) de la CIM 10, à cette nuance près que la classification de Roger Misès (1924-2012), par ailleurs créateur par sa circulaire du 14 mars 1972 de la psychiatrie du secteur infanto-juvénile197, induit la dimension psychogène du trouble.

Ces considérants nosographiques s’accommoderont d’une transition vers la qualification des difficultés d’écriture. Nous voudrions expliquer notre réticence à parler de dysgraphie. Selon Julian de Ajuriaguerra, « est dysgraphique tout enfant dont la qualité de l’écriture est déficiente alors qu’aucun déficit neurologique important ou intellectuel n’explique cette déficience. Il s’agit donc d’enfants intellectuellement normaux qui viennent consulter pour écriture illisible ou trop lente, ces difficultés gênant souvent la marche normale de leur scolarité198. » Le dictionnaire du psychiatre

Jacques Postel définit la dysgraphie comme une « atteinte de la fonction graphique scripturale se manifestant au niveau des composantes spatiales de l’écriture, alors que les structures morphosyntaxiques ne sont pas touchées199. ». L’atteinte concerne un

trouble « purement fonctionnel (sans lésion neurologique ni déficience intellectuelle) de

194 AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, 2003, p. 63. 195 ALBARET J.-M. GIROMINI F, SCIALOM P., 2011, p. 262. 196 MISÈS R., 2012, p. 68.

197 http://fr.wikipedia.org/wik/Roger_Mis%C3ùA8s consulté le 22 avril 2014 à 13h. 198 AJURIAGUERRA J. (de), 1970, p. 286.

l’apprentissage graphique, souvent en rapport avec des perturbations affectives et une mauvaise organisation de la représentation spatiale200. »

Mais ces définitions ont beau exclure l’étiologie neurologique, suggérer même une dimension psychogène, le suffixe « dys » demeure associé, dans la pratique, à une perception trop exclusivement fonctionnel voire organique du symptôme — puisque fidèle à nos convictions, nous préférons parler de symptôme que de trouble.

Dès lors, la proposition d’une nouvelle dénomination en « TAG », trouble de l’apprentissage de la graphomotricité, faite par les chercheurs de Toulouse201 nous

semble loin de notre démarche. Alexandre appartiendrait au type D de la typologie de Mojet202, au sous-groupe d’ébauche de crampe hyperkinétique203 distingué par Julian

de Ajuriaguerra, mais nous ne saurions choisir entre « raide », « impulsif » ou « maladroit » tels que décrits par le Manuel204. Semblables hésitations nous rendront-

elles incapable d’une pensée sur la clinique ? Prenons d’abord le soin de la présenter.