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3 1 PRÉSENTATION DU TERRAIN CLINIQUE

3.3 DÉVELOPPEMENT THÉORICO-CLINIQUE

3.3.3 NOTION D’ENVELOPPE PSYCHIQUE

Comment ne pas faire le lien avec la notion d’enveloppe psychique ? Le psychanalyste contemporain Albert Ciccone revient sur les origines de ce concept

dans un article synthétique : « L’enveloppe n’est pas un objet psychique en soi, ni même une instance. L’enveloppe psychique est avant tout une fonction […] La fonction enveloppe est une fonction de contenance qui consiste à contenir et à transformer. La contenance est déjà une transformation ou a un effet de transformation100. »

a) Un effet de transformation confirmé

Effectivement, mon arrivée peut se voir comme un renfort du potentiel contenant du cadre. Francis le perçoit et laisse son agressivité s’exprimer : transformation n° 1. Ni Mme L. ni moi ne sommes débordées. Nous accueillons cette agressivité, nous y prenons part, nous proposons de la mettre au service de différents projets. Elle se mue en une volonté de prendre soin de soi : transformation n° 2. S’étant bâti un abri, Francis régresse, envoie des signaux de détresse : transformation n° 3. La capacité de contenance semble bien un enjeu central de cette clinique.

b) Un appel à contenance

D’autant que la dernière transformation nous place face à un Francis qui pousse des cris d’infans, simule de violents combats d’animaux, comme s’il revivait des angoisses archaïques. Selon le psychanalyste Bion (1897-1979) :

« […] l’expérience chaotique et confuse du bébé nécessite la présence d’un contenant qui puisse accueillir et transformer cette expérience, la détoxiquer. […] Cette fonction qu’accomplit l’objet — la mère — pour le bébé est appelée “fonction alpha” et elle constitue le premier pas dans l’activité de pensée. Le bébé clive et projette une partie de sa personnalité en détresse dans l’objet, celui-ci contient cette expérience émotionnelle, cette partie de la personnalité du bébé expulsée, et dans la “rêverie” — la fonction alpha est tributaire de la “capacité de rêverie” — commence le processus de formation du symbole et de la pensée. L’objet contenant transforme les éléments “bêta”, éléments bruts projetés, en éléments “alpha”, éléments disponibles pour la pensée. On voit donc comment la fonction contenante est une fonction “symbolisante”[…]. Ce qui contient, ce qui détoxique l’expérience, c’est le processus de symbolisation101. »

c) La symbolisation en question

Aussi formulons-nous cette hypothèse : lorsque Francis crie parce qu’il a perdu son jouet, il agit comme le bébé qui projette des éléments « bêta ». Il régresse parce qu’il a

100 CICCONE A., 2001, pp. 81-82. 101 Ibidem, pp. 84-85.

besoin de nous pour contenir et transformer quelque chose de son expérience traumatique antérieure. Il sollicite nos facultés de symbolisation, parce que les siennes ne seraient pas très opérantes.

De même, lorsqu’il se tient allongé, dos mou, genoux pliés, pour écouter des contes où le protagoniste doit triompher d’épreuves avant d’accéder au trône, etc., il se positionne en tant que bébé qui demande à sa mère/une adulte bienveillante de donner du sens à ses expériences chaotiques/aux difficultés qu’il éprouve à vivre. Cette hypothèse en suppose une autre, c’est qu’un transfert102 soit à l’œuvre entre le

patient et Mme L. Le terme s’applique à la cure psychanalytique mais « dès 1909, Sandor Ferenczi observe que le transfert existe dans toutes les relations humaines : maître et élève, médecin et malade, etc.103 » Nous l’utilisons donc en lui reconnaissant

une valeur spécifique à la cure psychomotrice, où « la relation avec le patient devient horizontale et non plus verticale, […] soutenant momentanément le contenant psychique défaillant du patient […]104 ».

Par ailleurs, quand Francis démolit ce qu’il vient de construire, il manifeste qu’il ne peut pas contenir sa destructivité. Nous lance-t-il, là aussi, indirectement, un appel ?

Nous en concluons que son enveloppe psychique ne remplit pas sa fonction et nous mettons cette fragilité en lien avec des difficultés de symbolisation.

d) Les « terreurs sans nom »

Nous faisons également l’hypothèse qu’à travers ses attitudes de tout-petit, Francis nous donne à « rêver », au sens où l’entend Bion, qu’il n’a pas trouvé en sa mère une personne suffisamment à même de transformer ses éléments « bêta » en éléments « alpha ». L’accordage mère-enfant ne se serait pas produit dans des conditions telles que son enveloppe psychique se constitue au mieux. Ciccone rappelle : « Si le bébé ne rencontre pas un objet capable de réaliser ce travail, il réintrojecte l’expérience d’un objet qui refuse les identifications projectives, autrement dit, il réintrojecte sa détresse augmentée des failles de l’objet, il réintrojecte ce que Bion appelle une “terreur sans nom”105. »

102 « Processus observé dans la cure psychanalytique où les désirs inconscients et les modes infantiles de

relation d’objet sont reportés sur la personne du psychanalyste. » Source : BÉNONY H., 2005, p. 7.

103 PLON. M. et ROUDINESCO É, 2007, p. 1068.

104 MOYANO O. dans CALZA A. et CONTANT M., 2007, p. 34. 105 CICCONE A., 2001, p. 85.

De telles terreurs expliqueraient-elles les réveils nocturnes dont il souffrait au CP106 ?

Nous supposons encore qu’il vient aujourd’hui en séance avec le désir d’expérimenter une relation plus gratifiante. En courant le risque de s’engager dans du jeu spontané, il nous témoigne sa confiance et nous introduit à son univers fantasmatique. Nous émettons l’hypothèse qu’il nous sollicite ainsi pour penser ses productions, afin que nous lui en restituions quelque chose dont il puisse se saisir et « faire son miel ».

e) Un espace soignant

Et de fait, au terme de quelques séances, il semble vouloir intégrer cette fonction contenante en se construisant une « bonne et vraie maison ». « Ce qui soigne […] est l’expérience selon laquelle la vie émotionnelle troublée, perturbée, douloureuse, trouve un espace dans lequel elle puisse être contenue107. » La séance

en psychomotricité de Francis, dans sa dimension spatio-temporelle mais surtout dans sa dimension relationnelle, serait donc un espace « soignant ».

3.3.4 DU CONCEPT D’ENVELOPPE PSYCHIQUE À CELUI