• Aucun résultat trouvé

Un objet de création

Le menu objet authentique : aux formats très variés, avec sa textualité et surtout son imagerie souvent fantaisistes, donne à la fois un plaisir aux yeux et au ventre, et sert également de source d’information sur l’évolution des impressions et des illustrations. L’objet est souvent unique d’un événement à un autre, il est adapté aux lieux, aux personnes. Il peut s’enrichir d’accessoires (cordonnets, nœuds, cocardes…) et devient un « objet d’art » comme un autre, qui s’analyse en termes esthétiques.125

Le produit des imprimeurs

La fabrication du menu nécessite de faire appel à des professionnels de l’imprimé. Ils produisent des cartes pour des restaurants et des menus pour des événements à la fois officiels et privés. Pour la réalisation des menus, les fonderies de caractères réservent dans leurs catalogues de clichés des « sujets pour menus » (fruits, volailles à plumes ou rôties, cuisiniers…) et des « attributs gastronomiques » (scènes de restaurants, présentation de plats…). Ils peuvent se combiner en compositions plus ou moins riches et en modèles de menus complets, « passe-partout » prêts à l’impression.126 Les menus où la recherche graphique est plus complexe sont restés principalement dans les collections. Les menus des banquets d’évènements et d’occasions plus modestes, apparaissent moins.

En Europe, chaque imprimeur et chaque pays à ses caractéristiques dans la création des menus. En France et en Angleterre, au milieu du XIXe siècle, Paris et Londres ont un rôle hégémonique dans ces créations. Ce n’est pas le cas pour la Belgique où des villes comme Anvers et Liège sont en compétition avec Bruxelles.127

122 POULIN C. (dir) Potage tortue, buisson d’écrevisses et bombe glacée... : histoire(s) de menus ; Bibliothèque municipale de

Dijon. Op. cit. p45-47

123 COLLOQUE ROANNE, Le patrimoine passe à table : mois du patrimoine écrit 2000. Op. cit. 124 Ibid. p 112

125 POULIN C. (dir) Potage tortue, buisson d’écrevisses et bombe glacée... : histoire(s) de menus ; Bibliothèque municipale de

Dijon. Op. cit . p7

126 Ibid. p63 127 Ibid. P23

Un support pour la publicité

A la fin du XIXe siècle une diffusion massive d’illustrations est rendue possible par le développement des techniques d’imprimerie : la lithographie tout particulièrement. L’illustration est omniprésente dans la vie quotidienne : les livres et les journaux s’enrichissent de vignettes, de caricatures, d’instantanés de l’actualité d’abord en noir et blanc, puis en couleur. L’affiche illustrée s’impose abondamment grâce à une génération d’artistes et d’imprimeurs plaçant tout leur talent et leur savoir-faire au service d’une nouvelle discipline : la publicité.128Les industriels font largement appel à l’affiche pour la promotion de leurs produits. Ils comprennent très vite l’intérêt d’utiliser le menu comme nouveau support potentiellement porteur de publicité.

Les imprimeurs proposent déjà de nombreux petits supports publicitaires illustrés destinés par exemple aux femmes, avec des éventails ou des glaces de poches ou encore aux enfants, avec des chromos et des albums de coloriage. Le menu illustré devient un support publicitaire à part entière utilisé majoritairement par les marques de produits alimentaires et surtout d’alcools.129

Jules Arren est un des premiers auteurs à publier un « manuel » de la publicité destiné aux industriels et aux commerçants. Il va analyser le cas de la marque La Bénédictine, pionnière dans l’utilisation du menu publicitaire130 :

« Elle a été la première à innover une publicité dont elle se trouve fort bien, et qu’elle continue en l’augmentant chaque année : la distribution gratuite aux restaurateurs de menu-réclame, et aux épiciers de la facture-réclame. En réfléchissant, on se rend vite compte que la création du menu illustré en plusieurs couleurs et édité avec un véritable luxe devait remporter le plus grand succès. » En effet, l’hôtelier reçoit des menus à la fois plaisants à l’œil et gratuits. Il est surement ravi de faire une économie pour un objet aussi beau. Ils sont envoyés, sur demande, à tous les hôteliers et restaurateurs de France, après être gravés gratuitement à leur nom. Ces menus comprennent des séries de gravures très réussies : la Bénédictine à travers les âges, à travers le monde, les provinces de France, etc. Ils sont toujours en plusieurs couleurs.

Un autre intérêt pour La Bénédictine est de proposer ses produits au moment où le « client » prend son repas. Jules Arren montre l’efficacité de cette publicité :

« […] le débit de la liqueur monte immédiatement dans tous les établissements où elle est pratiquée. » ».131

Par le menu publicitaire, la marque témoigne de son originalité, de sa personnalité, de sa thématique publicitaire (humoristique, séductrice, artistiques). Attractif et attachant, il s’oppose aux classiques menus « passe-partout » sans illustrations ou/et sans originalité. Le client du restaurant prend le temps de lire, de choisir et a le loisir de détailler l’illustration, de l’apprécier et de la mémoriser.132

128 POULIN C. (dir) Potage tortue, buisson d’écrevisses et bombe glacée... : histoire(s) de menus ; Bibliothèque municipale de

Dijon. Op. cit. p59

129Ibid. p60 130 voir annexe

131 POULIN C. (dir) Potage tortue, buisson d’écrevisses et bombe glacée... : histoire(s) de menus ; Bibliothèque municipale de

Dijon. Op. cit. p62

Un support pour les artistes

Comme le précise Léon Maillard, qu’ils soient graveurs, peintres, lithographes ou dessinateurs, tous sont considérés, par les collectionneurs, comme des artistes. Chacun marquant d’une mention ou d’une signature son intervention sur le support. Le menu d’artiste constitue donc une catégorie transversale qui recoupe ou contient l’ensemble du classement initial.

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le menu connaît un succès comparable aux affiches. L’illustration devient un moyen d’expression moderne. Les artistes s’essaient à ce nouveau genre.133

Le menu tel qu’il est envisagé par les artistes dans sa matérialité privilégie l’image, parfois au détriment de sa fonction première. L’image lithographiée est dessinée par l’artiste et imprimée en dehors du texte typographique. Ce dernier est l’élément extérieur, présenté hors du champ de l’image même, rapporté après coup. Le cas du menu officiel en livret est un modèle de cette séparation spatiale du texte et de l’image : située sur les plats de la couverture, deux images, souvent à caractère allégorique, ouvrent et ferment la lecture, tandis que la liste des plats, présentée à l’intérieur, est imprimée pour elle-même.134

Parmi ces artistes, nous trouvons Albert Besnard qui le dédicace « A l’ami Maciet » en 1889, Jules Chéret produit plusieurs menus dont celui pour « L’art pour tous » ; Cappiello, Hansi… Certains d’entre eux aident à la réalisation alors que d’autres se spécialisent dans ce domaine comme Louis Bonnier, Henri Boutet, Carjat, Carrier- Belleuse, Eugène Carrière…135