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0.3 Objectifs et hypothèses de recherche

0.3.2 Objectifs spécifiques

Les trois objectifs spécifiques du projet de recherche, ainsi que les hypothèses et prédictions associées, sont les suivants :

Objectif 1 – Examiner les effets de facteurs climatiques et biotiques sur l’abondance des premiers stades benthiques du crabe des neiges du nord-ouest du GSL.

Les débarquements commerciaux de crabes des neiges montrent des fluctuations de grande amplitude qui seraient liées à une variabilité du recrutement (Sainte-Marie et al., 1996; Ernst et al., 2012). Tel que mentionné à la section 0.2.1, les premiers stades benthiques du crabe des neiges sont particulièrement sensibles à de faibles variations de température, préférant des températures entre 0 et 2°C (Dionne et al., 2003). Des températures en dehors de cette fourchette peuvent accroître la compétition intraspécifique par contraction de l’habitat (Parada et al., 2007) et réduire la condition physiologique des juvéniles (Gravel, 2002). Les conditions de glace durant l’hiver précédant la phase larvaire (via ses effets sur les conditions du bloom printanier, Le Fouest et al., 2005) et la température de l’eau près de la surface durant la phase larvaire peuvent également influencer l’abondance des premiers stades de vie benthiques en affectant la survie larvaire, influençant ainsi l’abondance de postlarves

qui s’établissent sur le fond pour entamer leur phase benthique (Somerton, 1982a; Dawe et al., 2008).

Selon les résultats obtenus par Incze et al. (1987), la variabilité interannuelle élevée de la biomasse des femelles reproductrices (Ernst et al., 2012) et de la production d'œufs (Drouineau et al., 2013) du crabe des neiges peuvent contribuer à la force d’une classe d’âge à l’établissement. Une étude réalisée par Lovrich et Sainte- Marie (1997) sur le cannibalisme chez le crabe des neiges a montré que les crabes récemment établis (c.-à-d., instar I) sont surtout cannibalisés par des crabes dont la LC est d’environ 40-50 mm. Ainsi, l’abondance de crabes de taille intermédiaire peut influencer l’abondance des premiers stades benthiques directement par cannibalisme. Une forte abondance de crabes de taille intermédiaire dans les pouponnières peut également influencer indirectement l’abondance des premiers stades benthiques en les forçant à utiliser des habitats moins favorables à leur survie (Sainte-Marie et Lafrance, 2002). Pourtant, à ce jour, aucune des études examinant la variabilité du recrutement du crabe des neiges n'a testé simultanément les effets du cannibalisme et de la biomasse reproductrice.

La prédation par les prédateurs connus des premiers stades de vie benthiques du crabe des neiges dans le nord-ouest du GSL, c.-à-d., la morue franche, la raie épineuse (Amblyraja radiata) et la raie à queue de velours (Malacoraja senta), peut également être une source de mortalité importante, principalement pour les jeunes stades et les femelles (Robichaud et al., 1991; Chabot et al., 2008; Burgos et al., 2013).

Nous avons d’abord documenté la variabilité interannuelle de l’abondance des premiers stades benthiques du crabe des neiges dans le nord-ouest du GSL sur une période de 23 ans. Nous avons ensuite examiné comment la couverture de glace, la température de l’eau près de la surface durant la phase larvaire, la température de

l’eau sur le fond, l’abondance des femelles reproductrices, le cannibalisme et la prédation ont influencé l’abondance des premiers stades benthiques. La série temporelle d’abondance des premiers stades benthiques provient d’un relevé au chalut réalisé annuellement par le MPO. Nous avons examiné les cinq hypothèses (et prédictions) suivantes :

Hypothèse 1.1 : L’étendue de la couverture de glace durant l’hiver qui précède la phase larvaire affecte l’abondance des premiers stades benthiques via son influence sur la survie larvaire. Une faible couverture de glace favorise un bloom plus hâtif et de plus faible intensité qui est défavorable à la survie des larves (Prédiction : relation positive entre l’abondance des premiers stades benthiques et l’étendue de la couverture de glace).

• Hypothèse 1.2 : La température de l’eau près de la surface durant la phase larvaire et sur le fond durant les premières années de vie benthique influence l’abondance des premiers stades benthiques par l’entremise d’une survie variable des juvéniles. L’abondance est maximale à une température optimale et diminue de part et d’autre de cette température (Prédiction : relation en forme de cloche entre l’abondance des premiers stades benthiques et la température de l’eau).

• Hypothèse 1.3 : L’abondance des femelles reproductrices influence directement l’abondance des premiers stades benthiques par l’entremise d’une production variable d’œufs/larves (Prédiction : relation positive entre l’abondance des premiers stades benthiques et celle des femelles reproductrices).

• Hypothèse 1.4 : Le cannibalisme par les crabes de taille intermédiaire (40-50 mm LC) module la survie des crabes après leur établissement sur le fond (Prédiction : relation négative entre l’abondance des premiers stades benthiques et celle des crabes de taille intermédiaire).

• Hypothèse 1.5 : La prédation exercée par les poissons de fond influence directement la survie des premiers stades de vie benthiques (Prédiction : relation négative entre l’abondance des premiers stades benthiques et celle des prédateurs).

Objectif 2 – Examiner les effets de facteurs climatiques et biotiques sur la phénologie et l’abondance larvaire du crabe des neiges, des crabes araignées (Hyas spp.) et du crabe commun (Cancer irroratus) du sud du GSL.

Depuis le début des années 1990, le GSL s’est réchauffé et on s’attend à ce que cette tendance se poursuive au cours des prochaines décennies avec le réchauffement climatique (Galbraith et al., 2012b; IPCC, 2014). Les impacts passés et futurs du changement climatique sur le GSL comprennent une augmentation de la température des eaux de surface, une perte très importante de la couverture de glace de mer, ainsi qu’une réduction du volume et une augmentation de la température moyenne de la couche intermédiaire froide (Long et al., 2015) qui englobe l'habitat benthique principal du crabe des neiges dans le sud du GSL (Moriyasu et Lanteigne, 1998).

L'abondance et la dynamique des larves du crabe des neiges pourraient être affectées par le réchauffement climatique de plusieurs façons. L’éclosion des larves du crabe des neiges se produit au printemps et semble coïncider avec les blooms printaniers de phytoplancton et de zooplancton sur lesquels se nourrissent les larves (Incze et Paul, 1983; Starr et al., 1994). Des modifications dans la phénologie du plancton, dues à un retrait plus hâtif des glaces, pourraient entraîner des changements au niveau de la phénologie (c.-à-d. date d’éclosion) des larves du crabe des neiges et réduire la survie larvaire si l'éclosion ne se produit pas de façon synchrone avec le bloom planctonique (Somerton, 1982a; Dawe et al., 2008; Szuwalski et Punt, 2013). Un retrait plus hâtif des glaces pourrait également produire un bloom de moins bonne qualité qui est

défavorable à la survie des larves (Sommer et Lengfellner, 2008). La température de l’eau sur le fond durant la période d’incubation des œufs pourrait accélérer le développement des œufs et devancer la date d’éclosion des larves (Moriyasu et Lanteigne, 1998; Webb et al., 2007). Une diminution du taux de survie peut également survenir si les larves sont exposées à des températures de l'eau qui dépassent leur optimum de température, soit par stress physiologique (Yamamoto et al., 2014), soit par malnutrition due à la sélection active d'une couche d'eau plus profonde (plus froide), mais moins productive (Ouellet et Sainte-Marie, 2018). D’un autre côté, les conditions plus chaudes permettraient d'accélérer le développement des larves et de diminuer le temps passé dans l'environnement pélagique, augmentant ainsi leur probabilité de survie (O'Connor et al., 2007; Ouellet et Sainte-Marie, 2018).

Nous avons d’abord développé un indice phénologique pour les larves, basé sur l’abondance de la zoé I relative à celle de tous les stades larvaires, qui reflète le moment de libération et/ou le taux de développement des larves. Nous avons ensuite documenté la variabilité interannuelle et les tendances à plus long terme de la phénologie et de l’abondance des larves du crabe des neiges dans le sud du GSL et examiné les effets de la température de l’eau sur le fond durant la période d’incubation des œufs, de la couverture de glace, des conditions du bloom printanier (date de début et amplitude), de la température de l’eau près de la surface durant la phase larvaire et/ou de l’abondance des femelles reproductrices. À des fins de comparaison, nous avons également examiné si des changements se sont produits dans la phénologie larvaire et l'abondance de deux espèces de crabes araignées (Hyas araneus et H. coarctatus) et dans l'abondance larvaire du crabe commun. Ces deux taxons, avec le crabe des neiges, représentent les crustacés décapodes brachyoures dominants dans le GSL (Chabot et al., 2007). Puisque les crabes araignées sont également des espèces boréo-arctiques (Christiansen, 1982; Squires, 1990), bien que moins sténothermiques que le crabe des neiges (Sabean, 2007), ils pourraient réagir

de manière similaire au crabe des neiges. Le crabe commun, en revanche, est une espèce eurytherme d’eaux tempérées qui tolère une gamme beaucoup plus large de températures (Bigford, 1979; Squires, 1990), et pourrait être plutôt favorisé par la hausse de la température. Pour ces deux taxons, nous avons aussi examiné les effets de la couverture de glace, des conditions du bloom et de la température de l’eau sur leur phénologie et/ou abondance.

Les indices phénologiques et d’abondance larvaire ont été estimés à partir d’un relevé planctonique réalisé annuellement par le MPO depuis 1982. Nous avons évalué les six hypothèses (et prédictions) suivantes :

Hypothèse 2.1 : La phénologie larvaire du crabe des neiges et des crabes araignées est influencée par la température de l’eau sur le fond durant la période d’incubation des œufs (Prédiction : une hausse de la température de l’eau entraîne une éclosion plus hâtive).

• Hypothèse 2.2 : La phénologie larvaire du crabe des neiges et des crabes araignées est influencée par l’étendue de la couverture de glace et la date de début du bloom planctonique (Prédiction : un retrait rapide des glaces, qui engendre un bloom plus hâtif, entraîne une éclosion plus hâtive).

• Hypothèse 2.3 : La phénologie larvaire du crabe des neiges et des crabes araignées est influencée par la température de l’eau près de la surface durant la phase larvaire (Prédiction : une hausse de la température de l’eau près de la surface entraîne un développement larvaire plus rapide).

• Hypothèse 2.4 : L’abondance des larves du crabe des neiges, des crabes araignées et du crabe commun est influencée par l’étendue de la couverture de glace et l’amplitude du bloom planctonique (Prédiction : un retrait hâtif des glaces, qui engendre un bloom moins intense et de moins bonne qualité, affecte négativement l’abondance larvaire).

• Hypothèse 2.5 : L’abondance des larves du crabe des neiges, des crabes araignées et du crabe commun est influencée par la température de l’eau près de la surface (Prédiction : une hausse de la température de l’eau a un effet négatif sur l’abondance des larves du crabe des neiges et des crabes araignées, mais un effet positif sur l’abondance larvaire du crabe commun).

• Hypothèse 2.6 : L’abondance des femelles reproductrices influence directement celle des larves du crabe des neiges (Prédiction : relation positive entre l’abondance des larves et celle des femelles reproductrices).

Objectif 3 – Développer un modèle de population pour évaluer le rôle du cannibalisme et de la variabilité environnementale sur la dynamique cyclique du crabe des neiges.

Les causes des cycles d’abondance observés chez certaines populations du crabe des neiges sont toujours incertaines. Sainte-Marie et al. (1996) ont suggéré que les cycles seraient induits par le cannibalisme des crabes de taille intermédiaire sur les crabes récemment établis sur le fond. Au fur et à mesure que des cohortes successives de crabes s’installent sur le fond, les pouponnières se satureraient et le potentiel de cannibalisme des cohortes juvéniles plus vieilles encore présentes dans les pouponnières se magnifierait. Les nouveaux crabes qui s’établissent sur le fond seraient de plus en plus cannibalisés par les crabes de taille intermédiaire. Ainsi, la reprise de l’établissement de fortes cohortes au sein des pouponnières ne surviendrait pas avant que la population de crabes de taille intermédiaire diminue.

De plus, comme le crabe des neiges est une espèce qui tolère seulement de faibles variations de température, la variabilité environnementale pourrait particulièrement affecter sa dynamique de population. Ainsi, nous avons développé un modèle de population pour évaluer l’influence du cannibalisme entre cohortes et de la

stochasticité environnementale sur la dynamique cyclique du crabe des neiges. Le modèle a été construit en utilisant des estimations de paramètres dérivées des données provenant du relevé au chalut sur le crabe des neiges réalisé par le MPO dans la Baie Sainte-Marguerite. Les résultats du modèle ont ensuite été comparés à la dynamique cyclique observée dans la population de crabe des neiges de la Baie Sainte- Marguerite. Cette population semble présenter des cycles d’abondance d'environ 8 ans (Sainte-Marie et al., 1996).