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4.1 Discussion des principaux résultats

4.1.2 Effets des changements climatiques

Le réchauffement climatique a généré des changements importants dans la phénologie de nombreux organismes marins, y compris les crustacés décapodes (Koeller et al., 2009; Lindley et Kirby, 2010; Richards, 2012). Notre étude a révélé un changement important dans la phénologie larvaire de deux crabes brachyoures

dominants du sud du GSL (crabe des neiges et crabes araignées) durant la période de 1982 à 2012. Ce changement était caractérisé par une augmentation de l’abondance des stades larvaires tardifs (c.-à-d., zoés II et mégalopes) dans les échantillons de plancton à date fixe, ce qui suggère que le réchauffement climatique observé dans le sud du GSL depuis les années 1990 a modifié à la fois la période d’éclosion des larves et le taux de développement larvaire.

L'indice phénologique des larves du crabe des neiges et des crabes araignées était positivement corrélé avec le moment du début du bloom planctonique de 1998 à 2012 et avec le moment du retrait des glaces sur une période beaucoup plus longue, soit de 1982 à 2012 (hypothèse 2.2). Ce résultat suggère que la période d’éclosion de ces deux taxons suit, dans une certaine mesure, la variabilité interannuelle et la tendance observée vers une apparition plus hâtive du bloom planctonique. L’alimentation des larves du stade zoé I du crabe des neiges et des crabes araignées est dépendante des microalgues et du microzooplancton (Incze et Paul, 1983; Meyer-Harms et Harms, 1993), de sorte qu’un ajustement de la phénologie permettant une bonne synchronie entre l’éclosion et le bloom planctonique devrait être adaptatif chez les crabes. De plus, dans le cas du crabe des neiges, une source de nourriture abondante et/ou de haute qualité pourrait être nécessaire pour compenser ou atténuer les effets négatifs de la température de surface du sud du GSL en mai (3,0 à 7,0°C) durant la période de développement initial des larves, qui se situe bien en-dessous de la température optimale (9,1 à 10,8 °C) pour la croissance et la survie des larves zoé I (Yamamoto et al., 2017; Ouellet et Sainte-Marie, 2018).

Le processus par lequel le crabe des neiges et les crabes araignées pourraient ajuster leur période d’éclosion des larves au moment du bloom planctonique est incertain. L’éclosion des larves de crabes des neiges semble être sous contrôle endogène (Kuhn et al., 2011), mais le facteur déclencheur de l’éclosion est toujours inconnu. Starr et

al. (1994) ont conclu que le phytoplancton sénescent qui coule au fond de l’eau peut déclencher la libération des larves de crabes des neiges dans le GSL. Cependant, Kuhn et al. (2011) ont réfuté cette possibilité pour le crabe des neiges sur le plateau néo-écossais et ont suggéré que l’éclosion serait plutôt régulée par une augmentation de la pression hydrostatique ou de la rapidité des courants marins associés aux grandes marées printanières (voir aussi Stevens, 2003), ou déclenchée par la pression interne de l'embryon ou par des signaux biochimiques liés au développement. Une autre possibilité, cohérente avec l’hypothèse d’un déclenchement interne, est que la période d’éclosion des larves a évolué pour refléter les changements à long terme des températures sur le fond et des périodes du bloom planctonique, tel que suggéré pour la crevette nordique Pandalus borealis (Koeller et al., 2009). En effet, le taux de développement des embryons du crabe des neiges est directement lié à la température d'incubation, de telle sorte que les embryons se développent et deviennent aptes à éclore plus tôt dans des eaux plus chaudes que dans des eaux plus froides (Moriyasu et Lanteigne, 1998). Dans notre étude, la température de la couche intermédiaire froide pendant l'incubation des œufs était négativement corrélée avec le moment du retrait des glaces et avec les indices phénologiques des larves du crabe des neiges et des crabes araignées (hypothèse 2.1), ce qui suggère que ces deux taxons ont pu adapter le moment de la ponte aux températures du fond afin que l’éclosion des larves survienne à un moment où la nourriture est optimale.

L'effet négatif de la température de l'eau près de la surface sur la phénologie des larves du crabe des neiges et des crabes araignées (hypothèse 2.3) reflète très probablement les changements dans la durée des stades larvaires induits par la température (O'Connor et al., 2007). Des températures plus chaudes augmentent les taux métaboliques et de croissance, ce qui peut réduire la durée des stades larvaires (Fisher 2006), comme démontré pour le crabe des neiges (Yamamoto et al., 2014; Ouellet et Sainte-Marie, 2018) et les crabes araignées (Anger, 1983, 1984). Le

réchauffement moyen de la température de surface d’environ 1,4°C dans notre aire d'étude durant la période 1991-2012 devrait avoir fait diminuer la durée des stades zoés I et II de 43 à 35 jours et de 44 à 36 jours respectivement (Ouellet et Sainte- Marie, 2018), pour une diminution moyenne globale d’environ 16 jours depuis 1991. Ainsi, une plus grande proportion de larves qui éclosent vers la mi-mai, la période connue de pic de libération larvaire dans le GSL au cours des années 1990 (Sainte- Marie, 1993; Conan et al., 1996), atteindrait le stade zoé II durant le relevé planctonique du sud du GSL réalisé en juin. De plus, la présence de mégalopes seulement dans les échantillons de plancton de la dernière décennie (plus chaude) supporte l’hypothèse que les larves du crabe des neiges et des crabes araignées se développent plus rapidement en raison de températures plus élevées.

4.1.2.2 Abondance

Le réchauffement de l'eau semble être responsable, du moins en partie, de la diminution de l’abondance des larves et des premiers stades benthiques dans le sud et le nord-ouest du GSL au cours de la période d'étude. Plusieurs études ont également conclu que des conditions plus froides durant les premières années de vie favorisent le recrutement/l'abondance du crabe des neiges (Boudreau et al., 2011; Marcello et al., 2012; Szuwalski et Punt, 2013; Mullowney et al., 2014). Dans cette étude, l’abondance des premiers stades de vie a été plus élevée au cours de la première moitié des années 1990, lorsque les températures étaient plus froides. D'une part, cette période de froid a pu être physiologiquement optimale pour les larves (Yamamoto et al., 2014; Ouellet et Sainte-Marie, 2018) et pourrait avoir contribué à augmenter la disponibilité de nourriture dans la couche de surface, ce qui entraîne une meilleure croissance et survie des larves. La température de l'eau est associée à des changements dans la disponibilité des éléments nutritifs qui influencent le moment, l'intensité et la qualité du bloom planctonique (Bouman et al., 2003). En revanche,

des températures plus chaudes sur le fond peuvent être physiologiquement désavantageuses pour les premiers stades benthiques du crabe des neiges (Gravel, 2002) et peuvent intensifier la compétition intraspécifique et le cannibalisme par contraction de l’habitat disponible pour le crabe des neiges (Parada et al., 2007).

4.1.3 Importance des facteurs densité-dépendants