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De nouvelles voies de développement

Dans le document Doctorat ParisTech T H È S E (Page 47-50)

1. Le verrouillage technologique : définition, facteurs et enjeux de politiques

1.4. De nouvelles voies de développement

Dans ce contexte, on voit émerger sur les scènes internationales et nationales des débats autour de différents modèles candidats à l’agriculture durable, qui proposent des voies technologiques différentes et sont portés par des groupes sociaux particuliers. Parmi ces modèles, il y a notamment l'agriculture biologique, les démarches que l’on peut qualifier de « raisonnées » et l'agriculture de conservation.

1) L’agriculture biologique (AB) est un mode de production agricole qui se distingue par un refus de l’utilisation des produits chimiques de synthèse (produits phytopharmaceutiques et engrais chimiques)17. L’AB se caractérise par des objectifs environnementaux et la mise en œuvre d’une démarche globale qui implique tout le milieu

16 Voir par exemple le rapport de 2010 disponible sur le site du Ministère en charge du développement durable : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/donnees-densemble/2158/1098/rapports-lenvironnement-france.html

17 La loi française définit l’agriculture biologique comme « une agriculture n’utilisant pas de produits chimiques de synthèse » (loi du 4 juillet 1980). La réglementation actuellement en vigueur de l’Union Européenne (CE 834/2007) définit la production biologique comme « un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques environnementales, un haut degré de biodiversité, la préservation des ressources naturelles, l’application de normes élevées en matière de bien-être animal et une méthode de production respectant la préférence de certains consommateurs à l’égard de produits obtenus grâce à des substances et à des procédés naturels. Le mode de production biologique joue ainsi un double rôle sociétal : d’une part, il approvisionne un marché spécifique répondant à la demande de produits biologiques émanant des consommateurs, et d’autre part il fournit des biens publics contribuant à la protection de l’environnement et du bien-être animal ainsi qu’au développement rural. »

48 environnant de l’exploitation (De Silguy, 1998). Portée dès les années 1920 par différents mouvements critiques de l’utilisation d’intrants chimiques liée aux méthodes intensives en agriculture, elle s’est progressivement institutionnalisée à partir des années 1980. Les normes réglementaires peuvent varier d’un pays à l’autre mais ce mode de production alternatif se distingue des autres formes de réduction d’intrants en agriculture car il est le seul qui bénéficie d’un label officiel de qualité, d’une réglementation spécifique définissant des cahiers des charges par filière et de procédures de contrôle (Petit, 2013).

2) La production intégrée est définie comme « un système agricole de production (d’aliments ou d’autres produits) utilisant les ressources et les mécanismes de régulation naturelle pour remplacer des apports dommageables à l’environnement tout en assurant une agriculture viable à long terme. » (El Titi et al., 1993). L’idée est d’utiliser en premier lieu les organismes vivants (insectes, bactéries,

…) ou leurs produits (phéromones…) pour prévenir ou réduire les dégâts causés par les ravageurs. La lutte contre les organismes nuisibles des cultures peut cumuler un ensemble de méthodes (méthodes culturales, lutte chimique) mais le recours à la lutte intégrée suppose de donner la priorité au biocontrôle et à la lutte biologique. La protection intégrée fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques portées par une communauté internationale (notamment au sein de l’OILB – Organisation Internationale pour le Contrôle Biologique). Elle est réglementée au sein de l’Union Européenne par la Directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991.

3) Les démarches que l’on qualifie de « raisonnées » proposent d’adapter les pratiques sans renoncer aux méthodes conventionnelles (via la pratique raisonnée de l’utilisation de pesticides par exemple). En France, dans sa forme institutionnalisée, le concept d’« agriculture raisonnée » renvoie à des cahiers des charges qui autorisent l’ensemble des techniques agricoles conventionnelles (utilisation d’engrais et de produits phytopharmaceutiques notamment) à condition que les agriculteurs adaptent les apports en intrants aux besoins réels des cultures18.

Certains types de pratiques qui se reposent sur des innovations technologiques permettant d'ajuster plus finement l'utilisation d'intrants aux besoins, s'inscrivent dans cette mouvance. C'est le cas de l’agriculture de précision qui préconise l’utilisation des instruments de mesure et d’information spatiaux (notamment satellitaires) pour contrôler

18 Le concept d’agriculture raisonnée a été défini dans un rapport remis par Guy Paillotin au ministre en charge de l’Agriculture en 2000 : « L’agriculture raisonnée a l’ambition de maîtriser, de la meilleure façon possible, au niveau de l’exploitation prise dans son ensemble, les effets positifs et négatifs de l’exploitation agricole sur l’environnement, tout en assurant la qualité des produits alimentaires et le maintien, voire l’amélioration, de la rentabilité économique de l’exploitation. » (Paillotin, 2000, L’agriculture raisonnée, Rapport au Ministre de l’Agriculture et de la Pêche, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche). Les pratiques de l’agriculture raisonnée sont réglementées par la législation française (décret n°2002-631 du 25 avril 2002) et les normes de « bonnes pratiques agricoles » fixées par l’Union européenne. Ces cahiers des charges ne limitent pas le nombre de traitements autorisés.

L’ « agriculture raisonnée » est à différencier de la production intégrée* à laquelle ses promoteurs ont pu se référer, et fait l’objet de critiques visant la proximité des réseaux de développement avec les industries de l’agro-chimie (Bonny, 1997).

49 l’application des intrants sur les parcelles et donc, en principe, l’ajuster au plus près des besoins (à une échelle infra-parcellaire).

4) L’Agriculture de Conservation (AC) se présente, elle, comme un modèle technique alternatif à l’agriculture conventionnelle (basée sur la pratique du labour), qui met en œuvre des techniques de réduction ou d’arrêt du travail du sol, avec une couverture du sol permanente ou semi-permanente et, en principe, une rotation des cultures. Initialement développées aux Etats-Unis dans des contextes de lutte contre l’érosion des sols, les techniques sans labour et de semis direct ont été au cœur de l’expansion de certaines grandes cultures d’exportation (blé, maïs, soja) dans certains pays d’Amérique Latine et en particulier au Brésil. L’AC est prônée comme modèle d’agriculture durable par différents types d’acteurs (hors-texte 2). En Amérique Latine et en Europe en particulier, des organisations (associations de producteurs, réunissant parfois des firmes privées vendeuses de technologies adaptées à l’AC) sont impliquées dans sa promotion auprès des sphères politiques aux échelles nationales, régionales ou internationales. La FAO la considère aussi comme un modèle à diffuser y compris auprès des petits producteurs19. L’Union européenne considère les pratiques d’AC comme indiquant des bonnes pratiques agri-environnementales20.

Dans ce contexte de mise en débat de plusieurs modèles d’agriculture durable dans l’univers des politiques publiques, le risque de verrouillage technologique concerne de multiples dimensions. Parmi elles, je mets l’accent dans cette thèse sur deux dimensions particulières du risque. Situées sur des plans différents, elles recoupent des enjeux actuels de politiques publiques liées à l’agriculture et l’environnement. Ces dimensions, l’une environnementale, l’autre sociale, concernent :

- la dépendance du modèle candidat à l’agriculture durable aux produits phytopharmaceutiques, ayant des conséquences environnementales et sanitaires néfastes ;

- l’agrandissement de la surface des exploitations, influencée par les changements technologiques et l’adoption de nouvelles pratiques.

19 « L’agriculture de conservation (AC) vise des systèmes agricoles durables et rentables et tend à améliorer les conditions de vie des exploitants (…) L’AC présente un grand potentiel pour tous les types d’exploitations agricoles et d’environnements agro-écologiques C’est un moyen de concilier production agricole, amélioration des conditions de vie et protection de l’environnement. L’AC est mise en œuvre avec succès par différents types de systèmes de production et dans une diversité de zones agro-écologiques. Elle est perçue par les utilisateurs comme un outil valable de gestion pérenne du terroir. La FAO est engagée dans la promotion de l’AC et tout particulièrement dans les pays den voie de développement. » (Site de la FAO, dernière consultation juin 2014 http://www.fao.org/ag/Ca/fr/index.html ).

20 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/statistics_explained/index.php/Agri-environmental_indicator_-_tillage_practices

50 Hors-texte 2 : Agriculture écologiquement intensive et agroécologie

Plus récemment, les approches en termes d’intensification écologique (IE) et d’agriculture écologiquement intensive (AEI) ont émergé dans la sphère du débat politique. Elles préconisent la mise au point de systèmes de production agricole qui utilisent de façon intensive les processus biologiques et écologiques des écosystèmes, leurs fonctionnalités naturelles, plutôt que d’utiliser de façon intensive les intrants (Griffon, 2013). Ces approches placent les techniques sans labour et l’agriculture de conservation au cœur de l’élaboration d’un modèle d’agriculture durable. Elles se caractérisent par une certaine ambiguïté, soutenues à la fois par des agriculteurs pionniers, développant des alternatives techniques autour des principes de l’Agriculture de Conservation, et par des acteurs du monde agricole caractérisés par leur conservatisme en matière de questions environnementales (Goulet, 2012).

La notion d’agroécologie, initialement utilisée pour désigner une discipline scientifique à la croisée de l’agronomie et de l’écologie, désigne aussi un ensemble de pratiques agronomiques et un mouvement porté par des personnalités du monde scientifique, professionnel et politique pour promouvoir de nouveaux modes de production en agriculture qui diminuent son impact sur l’environnement. Elle est au cœur de débats actuels sur la refonte des modèles agricoles au Nord comme au Sud. Au Brésil, les programmes de développement de l’agriculture familiale mettent en avant cette notion pour soutenir le développement d’une voie technologique spécifique (distincte de l’agro-négoce, dont le développement est fondé sur l’utilisation massive d’intrants). Dans ce contexte, elle met parfois en avant les techniques de conservation des sols.

2. Le cas d’un modèle technique présentant un risque de

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