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Facteurs de verrouillage dans les domaines de l’innovation technologique et de

Dans le document Doctorat ParisTech T H È S E (Page 38-41)

1. Le verrouillage technologique : définition, facteurs et enjeux de politiques

1.2. Facteurs de verrouillage dans les domaines de l’innovation technologique et de

1.2.1. Théorie évolutionniste et mécanismes de verrouillage technologique Différentes sources de verrouillage technologique sont identifiées par la littérature, en particulier en économie politique et dans la théorie évolutionniste. Deux mécanismes sont à différencier : le rôle d’aléas historiques dans le choix initial entre technologies et les effets cumulatifs dans les dynamiques d’adoption. Pour ces deux mécanismes, les facteurs cognitifs jouent un rôle particulièrement important.

Les travaux mobilisant la notion de verrouillage technologique se placent dans une perspective historique pour expliquer une situation a priori paradoxale où des solutions alternatives plus performantes peuvent être laissées de côté. Ils mobilisent l’image de la

« dépendance au sentier historique », qui évoque le fait que le spectre des solutions techniques envisageables est limité quantitativement et qualitativement par celui choisi dans le passé (David, 1985). Le contexte d’émergence d’une technologie offre rarement les conditions d’une comparaison rigoureuse de ses avantages et effets pervers par rapport aux autres technologies existantes. Le manque de connaissances, les asymétries d’information ou le manque de volonté politique à un moment donné peuvent rendre impossible son évaluation. D’autres phénomènes entrent alors en jeu qui peuvent déterminer les choix technologiques : les stratégies des acteurs des acteurs en faveur de l’option qu’ils développent ou bien d’autres évènements plus aléatoires. Plusieurs auteurs insistent ainsi sur l’influence que des évènements initiaux, qui semblent pourtant parfois insignifiants, peuvent avoir sur l’adoption d’une technologie et la trajectoire de son développement5.

5 Cowan et Gunby (1996) montrent ainsi que, dans le cas de la filière agrumes en Israël, l’adoption réussie de stratégies de gestion intégrée des ravageurs, dès les années 1940, est liée à un évènement de ce type.

L’un des protagonistes de l’introduction d’insectes prédateurs des ravageurs, occupant une position importante dans la filière, bénéficiait en effet des enseignements tirés d’une expérience précédente aux Etats-Unis : confronté à un problème similaire, il avait pu constater alors l’efficacité de ce type de gestion des ravageurs et a œuvré pour son application dans le cas de la production d’agrumes en Israël.

39 Les solutions techniques envisageables sont donc issues d’une série de choix passés qui se présentent comme un héritage historique, sur la base duquel les choix se font. Cet héritage se constitue en une « base de connaissances » (Dosi, 1988) partagée à partir de laquelle les acteurs prennent leurs décisions. Les études de sociologie politique sur les situations de verrouillage et de dépendance au chemin ont montré que cet héritage se matérialise aussi dans des dispositifs concrets, aux dimensions techniques, cognitives, matérielles et institutionnelles, qui peuvent favoriser une situation d’inertie et peser sur les décisions et les pratiques (Mahoney, 2000).

Ces analyses éclairent les différents facteurs historiques et cognitifs expliquant les situations de verrouillage technologique, ces facteurs étant liés aux normes, aux procédures d’apprentissage et aux dispositifs matériels d’accès aux connaissances, ainsi qu’aux conditions d’émergence de la technologie et à l’influence des choix initiaux. Une technologie étant toujours élaborée dans un contexte historique précis, en fonction d’objectifs et de besoins spécifiques, elle évolue dans le cadre d’un système de normes et de valeurs qui peut peser sur les choix des acteurs et les orientations des dynamiques d’innovation. Le projet de modernisation du secteur agricole s’est ainsi accompagné de l’élaboration d’un « référentiel » ad hoc de politiques publiques, qui caractérisait aussi bien des normes socioprofessionnelles que les représentations et objectifs assignés à l’agriculture (Muller, 1995). Ce référentiel a en partie déterminé l’orientation du développement technologique en agriculture en France dans le courant des années 1960 et a encadré les dynamiques d’innovation technologique et l’adoption de pratiques intensives basées sur l’utilisation massive d’intrants de synthèse.

Il peut ensuite exister des effets cumulatifs : l’engagement dans une voie technologique se traduit par des capacités de plus en plus grandes pour résoudre les problèmes, dans la logique de cette voie technologique particulière. Les apprentissages se développent, ainsi que les dispositifs matériels. Ces capacités s’institutionnalisent, des systèmes d’organisations, de pratiques et de normes se stabilisent. Les coûts que représente un changement de trajectoire deviennent alors très élevés.

Ces mécanismes d’auto-renforcement ont été théorisés par l’économiste Arthur (1994) autour de la notion de rendements croissants (« increasing returns ») : le bénéfice d’adopter certaines technologies croît avec le nombre d’utilisateurs6. La théorie donne trois explications à cette situation :

- Les économies d’échelle (les coûts de l’adoption et de production diminuent avec le nombre d’utilisateurs).

6 Selon Mahoney (2000), ce type de mécanismes est aussi mobilisé dans les analyses de sociologie expliquant la construction et la reproduction à long terme des institutions : « With increasing returns, an institutional pattern – once adopted – delivers increasing benefits with its continued adoption, and thus over time it becomes more and more difficult to transform the pattern or select previously available options, even if these alternative options would have been more ‘efficient’. » (Mahoney, 2000, p.508).

40 - La constitution de réseaux d’apprentissage. Comme l’a montré David (1985), l’apprentissage par la pratique permet d’acquérir des connaissances sur les conditions de l’efficacité d’une technologie, et donc de réduire l’incertitude liée à sa mise en œuvre. Il peut cependant être lent, compliqué et informel. Une fois acquis cet apprentissage, les acteurs peuvent alors trouver trop coûteux de tester et d’adopter une technologie concurrente.

Cette situation est renforcée par la constitution de réseaux d’échanges d’informations entre utilisateurs qui permettent la mutualisation des retours d’expérience entre acteurs. Les incertitudes liées à l’adoption d’une nouvelle technologie diminuent. La technologie devient alors un standard : de nouveaux acteurs sont encouragés à l’adopter pour bénéficier des externalités positives liées aux réseaux d’utilisateurs (apprentissages, ressources cognitives partagées, expériences accumulées…);

- La coordination de la R&D. Vanloqueren et Baret (2009) ont montré comment la programmation et le financement de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et du conseil agricole favorisent le développement d’une voie technologique particulière en mettant à disposition des connaissances spécifiques pour les acteurs du secteur.

Dans ces mécanismes, la question de la façon dont les connaissances sont produites et rendues disponibles est donc centrale.

1.2.2. Sortie de verrouillage et accès aux connaissances

Selon Cowan et Hulten (1996), divers facteurs peuvent favoriser une sortie de situation de verrouillage. Parmi eux, ils évoquent l’intervention des pouvoirs publics par des investissements dans la production de connaissances ou par l’élaboration de réglementations environnementales, ainsi que la contribution de la recherche et le rôle des avancées scientifiques7. Par contre, ces auteurs ne vont pas jusqu’à aborder la question de la façon dont ces avancées et résultats scientifiques sont effectivement rendues disponibles dans la pratique.

Les études de sociologie qui traitent des problèmes de verrouillage abordent les dimensions cognitives et montrent comment ces connaissances peuvent s’institutionnaliser dans des normes. Cela peut alors conduire à la mise en place pérenne de modes d’organisations et de dispositifs concrets qui sont autant de facteurs de verrouillage. Dans leur étude de cas sur le développement d’un label agriculture biologique (AB) au sein de la filière bovine en Belgique, Stassart et Jamar (2009) décrivent ainsi une situation de verrouillage sur des pratiques issues de l’agriculture conventionnelle

7 « Science may provide tools to better measure the external effects of an industry or may enable inventors and entrepreneurs to transform basic science into inventions and innovations. Consequently scientific results can put development pressure on an old technology both by questioning its global efficiency and by providing knowledge about alternative technologies. » (Cowan, Hulten, 1996).

41 (ils évoquent un phénomène de « conventionnalisation » des pratiques d’AB). Ils expliquent cette situation par le poids des normes, des modes d’organisation et du référentiel technique issus des pratiques conventionnelles dans la filière. A l’échelle d’une politique publique, Ansaloni et al. (2007) montrent comment des modes spécifiques de régulation du secteur agricole dans le cas de la Hongrie (appropriation sociale des moyens de production, planification de l’économie par les instances exécutives nationales, généralisation du salariat) peuvent générer ce qu’ils appellent des « verrouillages institutionnels », dont ils analysent les dimensions technico-économiques, symboliques et politiques. Les dynamiques de changement liées au passage à l’économie de marché, au régime de la propriété privée et à l’introduction de nouveaux instruments d’action publique suite à l’entrée dans l’Union européenne sont ainsi confrontées à la permanence des structures de production, des formes de coopération économique entre acteurs, et aux phénomènes de domination de certains de ces acteurs sur les plans social et politique.

Cependant, ces analyses laissent aussi dans l’ombre la question de l’accès aux connaissances et des dispositifs matériels organisant cet accès.

Cette question est cruciale et au cœur d’autres analyses de science politique et d’économie politique, qui mettent à jour la diversité des procédures existantes dans les politiques publiques et leur rôle dans les dynamiques de changement (Nutley et al., 2007). La question des dispositifs concrets d’accès aux connaissances et des services immatériels tel le conseil agricole revêt une importance particulière dans les dynamiques de verrouillage en agriculture (Labarthe, 2010). Au-delà de la question des apprentissages, la nature des investissements (publics ou privés) qui soutiennent la construction de bases de connaissances peut leur conférer des caractéristiques d’accessibilité plus ou moins ouvertes ou appropriables par les acteurs (Dasgupta, David 1994).

1.3. Dimensions du verrouillage technologique pour les politiques

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