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Résumé du chapitre 3

CHAPITRE 4. L E FONCIER EN A FRIQUE

4.3. De nouvelles visions du foncier africain

Les législations et pratiques coloniales se sont opposées à des rationalités autochtones, basés sur des instances multiples, spécialisées et interdépendantes. Mais les deux logiques sont complémentaires et sont susceptibles en se mariant de répondre à la complexité des situations contemporaines. L’affirmation de la supériorité du modèle occidental n’a pas permis ce métissage et les formes endogènes d’organisation n’ont pu se reproduire qu’au prix de multiples transformations et souvent mutilations, ce qui a eu des conséquences néfastes, notamment la diminution de la sécurité foncière. C’est une des problématiques que l’on retrouve fréquemment sur les espaces intermédiaires : pris dans une tension entre deux dynamiques contradictoires, ils sont voués soit à péricliter, soit à innover et à trouver de nouvelles formes d’organisation.

L’idéologie libérale considère que la propriété est un préalable aux investissements ; ce n’est pas faux, mais trop général. L’investissement dans la terre passe avant tout par une certaine sécurité de tenure appréciable au cas par cas, et qui permet l’intensification de la production ainsi que la transformation durable et reproductible des droits coutumiers en droits de propriété. En Afrique, un mouvement des enclosures est difficilement envisageable : il n’y pas d’industries prêtes à accueillir l’armée de paysans qui auront été exclus du sol. La propriété privée dans ce contexte est un objectif lointain.

Le patrimoine est une notion juridique qui peut être utilisé dans le contexte africain pour mieux comprendre le rapport au foncier et le protéger. Dans le code de l’urbanisme français, on considère que le territoire français est le patrimoine de tous les Français [Le Roy 1996]. Cette notion est une innovation qui encadre le droit de propriété et limite les abus. Le patrimoine est indépendant des éléments qui le composent, il constitue un tout qui n’est pas altéré par les modifications qui se produisent dans le nombre et l’importance des éléments qui le composent. Le sol est alors le support d’une gestion patrimoniale diversifiée selon ses affectations. On peut même parler dans cette situation de patrimoine commun. Le patrimoine commun est une richesse qui est confié par héritage et qui doit être transmis. Nul ne peut sortir de l’indivision. Cet état entraîne des droits et des obligations qui s’imposeraient d’autant plus facilement qu’ils seraient le produit d’un consensus et garanti par une autorité supérieure. La notion de patrimoine est pertinente pour des biens limités qui nécessitent une action commune pour éviter la dégradation.

Les logiques binaires censées fonder la modernité, l’opposition entre la chose et le bien8, le privé et le public, sont propres à des sociétés individualistes dont le droit est totalement assimilé à la loi émise par l’Etat. En Afrique, une part importante des ressources échappe à la qualification de bien ; cela est dû soit à une faible intégration au le marché et à la ressource qui n’a pas encore de valeur monétaire, soit à la ressource non encore susceptible de libre aliénation. Ce droit reste soumis à un contrôle d’ayants droit (parentés, membre de la communauté locale). Dans les sociétés communautaires, les rapports sociaux sont déterminés par le caractère interne ou externe de ces relations, le critère de référence étant ce que l’on partage et qui détermine l’inclusion ou l’exclusion des membres du groupe. Les droits ne sont pas déterminés en fonction du statut de la chose, ici du sol mais en fonction de son usage et de sa fonction sociale dans la reproduction communautaire. Un espace peut voir son statut changer selon son usage. Cette conception empirique permet de définir cinq statuts que peut avoir un espace [Le Roy 1996]. Au final, on s’appuiera sur des travaux déjà réalisés [Lavigne-Delville 2002; Lavigne-[Lavigne-Delville 2001; Le Roy 1996] qui décrivent le foncier comme un système complexe ne présentant pas forcément de solution optimale applicable partout mais plutôt un ensemble de solutions à expérimenter en fonction des situations réelles. Une grille d’analyse permet de faire une typologie des droits fonciers et des modes de gestion. Ainsi nous retenons cinq droits fonciers :

8 La chose est indéterminée du point de vue de la propriété alors que le bien est l’objet possédé.

• La maîtrise indifférenciée, le simple droit d’accès, la possibilité d’aller sur la parcelle parce qu’elle est libre d’accès. Ce droit n’inclut pas le droit de cultiver et de récolter : on peut parler de « squat ».

• La maîtrise prioritaire, le droit d’accès et d’extraction, le droit de récolter. Le bénéficiaire est un utilisateur autorisé. Par exemple, le locataire bénéficie de ces droits. Il cultive, récolte et doit rendre la parcelle dans l’état où il l’a trouvé.

• La maîtrise spécialisée, c’est-à-dire les droits précédents auxquels s’ajoute le droit de gestion, de réguler l’utilisation ou la transformation de la ressource. Il s’agit par exemple des terres attribuées aux cadets familiaux ou aux nouveaux venus (un allogène peut par une alliance matrimoniale avoir accès à un terrain). Le cultivateur peut gérer sa parcelle comme il le veut, il a le choix de l’activité. En revanche, il n’a pas de pouvoir en ce qui concerne la transmission de la terre.

• La maîtrise exclusive, c’est-à-dire les droits précédents auxquels s’ajoute le droit d’exclure et de décider comment est obtenu et transmis le droit sur la ressource. On parle alors de possession ou de propriété fonctionnelle. Celui qui a le droit d’exclusion décide du droit d’accès, de l’attribution des terres, de leur modalité de transmission. Il s’agit au Centre-Cameroun des aînés familiaux, dans d’autres régions du Cameroun et d’Afrique occidentale, ce sont les chefs de village qui détiennent ce pouvoir. Un allogène peut obtenir ce droit par vente informelle (la cession des droits coutumiers) mais cette situation génère souvent des conflits : la possession est disputée.

• La maîtrise absolue, c’est-à-dire le droit d’aliéner, d’user, de disposer, de vendre et de louer. Il s’agit de la propriété absolue. Elle est obtenue par l’obtention d’un titre foncier.

Cette typologie est couplée à une autre qui concerne les modalités de gestion : gestion publique, c'est-à-dire commune à tous ; externe, ou commune à plusieurs groupes ; interne-externe, ou commune à deux groupes ; interne, ou commune à un groupe ; et privée, ou propre à une personne.

Ces typologies nous serviront pour éclairer les situations foncières sur nos terrains, dans la suite de cette étude.