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Résumé du chapitre 1

CHAPITRE 2. L’ AGRICULTURE URBAINE ET PERIURBAINE EN

2.3. La durabilité de l’agriculture urbaine et périurbaine

2.3.1. Les fonctions de l’agriculture périurbaine dans les pays du Sud

La notion de multifonctionnalité de l’agriculture a été mise en avant lors des négociations internationales à l’OMC depuis 2001 sur les produits agricoles et dans l’élaboration de politiques publiques en Europe. Elle met en évidence la production par l’agriculture de biens et services divers. En résonnance avec le concept de développement durable et ses trois piliers, on parle souvent de fonctions économiques, sociales et environnementales de l’agriculture. Les recherches sur l’agriculture périurbaine ont insisté sur cette multifonctionnalité : elle justifierait sa défense face à l’expansion des villes. Dans les pays du Sud et en Afrique sub-saharienne aussi, l’agriculture périurbaine fournit de nombreuses fonctions, que nous allons présenter, mais elles sont différentes de celles des pays du Nord. De plus, les différentes formes d’agriculture périurbaine (maraîchage, élevage, vivrier marchand ou non marchand) ne remplissent pas nécessairement les mêmes fonctions.

En premier lieu, les fonctions économiques de l’agriculture périurbaine sont principalement la création de revenus, l’approvisionnement alimentaire des villes, et le développement de filières en amont et en aval. Pour Paule Moustier, la fonction d’approvisionnement alimentaire des villes est la plus importante [Moustier 2005]. D’autres fonctions économiques de l’agriculture périurbaine sont mises en avant : la création de revenus pour les producteurs et pour les autres acteurs de la filière, que ce soit dans la transformation des produits ou dans la commercialisation en gros et en détail. A Madagascar, l’agriculture périurbaine à base de riz et produits maraîchers améliore l’approvisionnement alimentaire des ménages, l’étalement de la disponibilité des produits et la diversification alimentaire [Aubry 2005]. Les besoins annuels en riz de l’agglomération s’élèvent à 174 000 tonnes dont 15 à 25 % proviennent de la production urbaine et périurbaine mise sur le marché ou hors marché. Ce riz local est commercialisé à des périodes où les autres sources d’approvisionnement sont défaillantes, et il permet de réguler les prix sur les marchés en période de soudure. Le mécanisme est similaire pour les produits maraîchers : on observe une complémentarité saisonnière entre les productions périurbaines et les autres sources d’approvisionnement.

Ensuite, les fonctions sociales de l’agriculture périurbaine en Afrique résident dans la création d’emplois et l’intégration des nouveaux migrants ruraux. L’agriculture en ville est aussi un moyen de marquer des droits de propriété et elle est en cela aussi un mode de régulation des rapports sociaux. C’est une activité autour de laquelle des acteurs très divers se rencontrent (producteurs, gestionnaires, autochtones et allogènes, urbanistes, techniciens agricoles) [Cemagref 2005], ce qui favorise l’innovation sociale. L’activité agricole en ville permet de garder un lien avec des pratiques rurales apprises antérieurement. Les jardins urbains ont également une fonction de plaisir et d’augmentation du bien-être, cette activité symbolise le lien avec le village.

Enfin, les fonctions environnementales de l’agriculture périurbaine en Afrique sont la préservation de la biodiversité, le raccourcissement des filières qui entraîne des économies d’énergie, le recyclage des déchets liquides et solides de la ville (qui est encore à développer) ou la protection des sols contre l’érosion et contre les inondations. Ces aspects positifs sont cependant modérés par les pollutions qu’entraîne l’utilisation excessive d’engrais et de pesticides souvent interdits dans les pays européens et par une très médiocre qualité sanitaire des produits à cause de l’utilisation des eaux urbaines usées et non traitées qui contiennent des coliformes et des agents pathogènes. A Antananarivo (Madagascar), l’élaboration d’une zone tampon rizicole à la périphérie de la ville a permis de diminuer sensiblement le risque d’inondation des quartiers récemment urbanisés [Aubry 2005]. Mais on retrouve des métaux lourds dans certaines productions comme le cresson, légume-feuille très prisé. A Yaoundé (Cameroun), le recyclage des déchets a été étudié [Sotamenou 2005; Sotamenou 2008]. La production de déchets est de 0,6 kg par jour et par habitant en saison sèche et de 0,98 kg par jour et par habitant en saison humide. La collecte de ces déchets rencontre un certain nombre de problèmes : manque de moyens, quartiers peu accessibles, dysfonctionnement au sein des sociétés de collecte. Une solution partielle proposée est l’utilisation de ces déchets dans l’agriculture urbaine et périurbaine, en mettant en place des centres de regroupement des déchets. A N’Gaoundéré (Cameroun), on a observé une intégration croissante de l’agriculture et de l’élevage dans la zone périurbaine. En effet, la zone est traditionnellement une zone d’élevage. Les nouveaux agriculteurs urbains et les éleveurs se sont longtemps disputés l’espace disponible. Après une dizaine d’années de développement de l’agriculture périurbaine, la fertilité des sols a commencé à baisser. Avec la hausse des prix des engrais, les agriculteurs ont cherché d’autres moyens de préserver la qualité des sols. Il s’est alors mis en place un système d’intégration agriculture-élevage avec un parcage nocturne du bétail et un

transfert de fertilité vers les terres de culture : il s’en est suivi une augmentation des rendements agricoles [Tchotsoua 2008]. Cet exemple illustre comment une situation de contraintes, ici sur l’espace, peut aboutir à une innovation technique (parcage des animaux) et à de nouvelles formes d’organisation sociale (arrangements entre éleveurs et agriculteurs).

2.3.2. Contraintes et opportunités de l’agriculture périurbaine en Afrique

Une des contraintes majeures qui pèsent sur l’agriculture urbaine et périurbaine est économique : la concurrence sur l’usage d’un certain nombre de ressources, notamment l’eau et le foncier. En milieu urbain et périurbain, la terre devient un enjeu monétaire, objet de spéculation. Elle peut porter de nombreuses activités (commerces, habitat, industries) généralement plus rentables que la production agricole. Les meilleures terres agricoles sont aussi souvent les plus rapidement construites (bonne desserte, densité de population) mais même les terres marécageuses peuvent être drainées pour pouvoir être construites. En zone périurbaine, la concurrence entre les activités est moins importante, mais l’incertitude sur le foncier est très forte. Les expulsions sont fréquentes, que ce soit par l’Etat ou par un propriétaire qui a reçu une meilleure offre. La pression foncière et l’incertitude foncière fragilisent l’activité agricole. De fait celle-ci est souvent considérée comme une activité de transition dans l’attente de la construction [Moustier 2004]. L’accès à la ressource en eau est également une contrainte. L’eau utilisée pour l’agriculture urbaine irriguée vient en général de petits cours d’eau contaminés par les déchets urbains, ce qui pose des problèmes de qualité sanitaire des aliments. Beaucoup de consommateurs préfèrent d’ailleurs éviter les produits issus du maraîchage urbain. Dans les pays sahéliens, l’eau utilisée pour l’agriculture est parfois en concurrence avec l’eau pour l’alimentation humaine.

La production est également limitée par un facteur d’ordre environnemental. La ville est un milieu pollué qui produit de nombreux déchets. Les pollutions non agricoles en ville sont d’origine industrielle ou domestique. Ces pollutions peuvent affecter l’air, l’eau et le sol. Elles sont responsables de concentrations en métaux lourds et en agents microbiologiques pathogènes dans les eaux de surface et de faible profondeur utilisées pour l’irrigation. Les déchets de plastiques et les débris de verre dans les déchets domestiques et industriels sont également des facteurs de nuisance [Moustier 2004]. Les parcelles où est pratiquée l’agriculture urbaine sont souvent des lieux de décharge de déchets de toutes sortes. L’agriculture peut être un moyen de recyclage de ces déchets mais il faut qu’ils soient d’abord triés. L’agriculture est elle-même une activité polluante : les pesticides et les engrais utilisés

se retrouvent souvent dans l’eau. Ainsi, des problèmes environnementaux se posent pour l’agriculture urbaine et en particulier pour le maraîchage intra-urbain, où les produits sont fragiles et très exposés à la pollution.

La ville offre des opportunités dont l’agriculture périurbaine tire profit : proximité du marché, mais aussi accès plus facile aux services de crédit, aux intrants et à la vulgarisation [Moustier 2004]. Les filières sont plus courtes, avec moins d’intermédiaires et une meilleure information sur les prix pour les producteurs. Les transports sont moins coûteux et moins longs, ce qui permet de développer les filières de produits périssables.

2.3.3. L’influence des acteurs sur le devenir de l’agriculture urbaine et périurbaine

L’agriculture urbaine et périurbaine porte de nombreux enjeux pour la ville africaine : alimentation, environnement, aménagement urbain, etc. Son existence et sa pérennité dépendent d’un arbitrage entre sa rentabilité et les contraintes. L’analyse des stratégies des acteurs et des politiques publiques nous éclairent sur cet arbitrage.

Un facteur important pour l’agriculture périurbaine est la dynamique foncière des espaces périurbains : les villes, les pays, les quartiers ne sont pas régis par les mêmes droits coutumiers7, les mêmes intérêts financiers sur la terre, et les mêmes politiques publiques. Les droits coutumiers sont différents en fonction des ethnies : certaines fois le pouvoir foncier est concentré dans les mains d’un conseil d’Anciens, d’autre fois, il est atomisé aux mains des chefs de famille. La stratégie foncière n’est pas la même si la décision de vendre est prise par un producteur qui, bien souvent, accorde une valeur patrimoniale de long terme à la terre et compte la transmettre à ses enfants, ou par un propriétaire absent qui possède de grandes surfaces. Les politiques foncières et les régimes fonciers dépendent des pays et de leur législation. Dans certains endroits, l’Etat va exproprier des terrains pour construire des lotissements. Ces éléments sont déterminants dans la vitesse et la forme de l’urbanisation et dans l’existence d’espaces agricoles urbains et périurbains.

7 Afin de faciliter la compréhension, j’utiliserai tout au long de cette thèse le terme de coutumier. Je l’utilise pour désigner les pratiques et la culture qui ne proviennent pas du gouvernement, la façon dont les acteurs s’organisent à l’intérieur de leur communauté. Mais tout ce qui est coutumier n’est pas ancien ou immuable, les pratiques ou les règles coutumières évoluent en permanence et s’adaptent en fonction des changements et des transformations rapides que connaît l’Afrique. Le coutumier peut donc très bien être récent et innovant.

Figure 2: Les enjeux autour de l'AUP