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CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

2. Exposition des abeilles à des insecticides neurotoxiques

2.1. Nouvelles classes d’insecticides neurotoxiques

Les pesticides appartenant aux familles des organochlorés (par ex. le dichlorodiphényltrichloroéthane ou DDT), des organophosphorés ou des carbamates connurent un essor considérable au milieu du XXème siècle lors du développement de la chimie organique de synthèse et suite aux recherches de nouveaux gaz de combat lors des deux guerres mondiales. Ces insecticides ont considérablement modifié l’agriculture et amélioré l’état sanitaire de la population humaine en permettant une lutte contre les insectes vecteurs de maladies. Ils ont donc été employés de façon intensive (Casida & Quistad, 1998). À partir des années 1970, l’utilisation de certains composés, notamment des organochlorés, fut interdite dans de nombreux pays en raison de risques toxicologiques et de contaminations environnementales. De nouvelles molécules appartenant à 3 grands familles d’insecticides furent alors développées, les pyréthrinoïdes, les néonicotinoïdes et les phénylpyrazoles, qui sont beaucoup plus efficaces à faibles doses et possèdent des propriétés de diffusion à travers les tissus végétaux (Casida & Quistad, 1998; Regnault-Roger et al., 2005). La

Figure 5. Structure primaire (A) des principaux insecticides néonicotinoïdes (Isawa et al., 2004) et (B) du phénypyrazole fipronil (Nauen & Bretschneider, 2002).

A.

toxicité de ces nouvelles familles d’insecticides est plus sélective car basée sur des sites d’action spécifiques des familles d’organismes visées.

La plupart des insecticides couramment utilisées aujourd’hui sont des neurotoxiques agissant sur le système nerveux des organismes cibles. Parmi les quelques insecticides ne ciblant pas le système nerveux figurent des régulateurs de croissance, tels que les inhibiteurs de synthèse de chitine, ou des molécules agissant sur le système respiratoire. Les insecticides neurotoxiques sont classés en différentes familles chimiques et agissent sur divers récepteurs spécifiques. Les travaux de cette thèse porteront sur des molécules chimiques appartenant aux familles des néonicotinoïdes (thiaclopride et imidaclopride) et des phénylpyrazoles (fipronil).

2.1.1. La classe des néonicotinoïdes

Les néonicotinoïdes sont parmi les insecticides les plus efficaces pour le contrôle des insectes nuisibles sur les cultures de coton, maïs, betterave, colza et de certaines céréales (Elbert et al., 2008). En 2010, les néonicotinoïdes représentaient 24 % du marché global des insecticides soit une valeur d’environ 1,5 milliard d’euros (Jeschke et al., 2011). Cette classe d’insecticides inclut des molécules introduites sur le marché depuis le début des années 1990 tels que l’imidaclopride, le thiaclopride, le thiaméthoxame, la clothianidine et l’acétamipride (Figure 5.A.) et aujourd’hui utilisées dans plus de 120 pays (Jeschke et al., 2011). L’imidaclopride, première molécule néonicotinoïde synthétisée, est devenu l’un des insecticides les plus employés dans le monde (Decourtye & Devillers, 2010). Ce dernier est en effet utilisé dans plusieurs formulations commerciales, dont la plus connue est le Gaucho® (Bayer CropScience), visant à protéger les cultures de tournesol, de maïs, de riz et de certains légumes et céréales contre les organismes nuisibles. De nombreuses études scientifiques se sont portées sur l’imidaclopride dans le but d’évaluer l’impact des néonicotinoïdes sur des organismes non cibles tels que l’abeille domestique. En 2013, l’EFSA a considéré que trois molécules néonicotinoïdes, l’imidaclopride, le thiaméthoxame et la clothianidine, présentaient un risque élevé pour les abeilles sur la base des données scientifiques disponibles (European Food Safety Authority, 2013a, 2013b, 2013c). Suite à cette constatation, la Commission Européenne a voté l’interdiction de la mise sur le marché de formulations commerciales contenant ces trois insecticides néonicotinoïdes ainsi que leur utilisation pour le traitement des semences de cultures mellifères (The European Commission, 2013). Toutefois, leur utilisation reste autorisée pour le traitement de cultures dont la croissance a lieu durant l’hiver ou sous serres.

Les néonicotinoïdes sont des molécules synthétiques modélisées à partir de la nicotine, insecticide naturel produit par certaines plantes. Les néonicotinoïdes induisent une hyperstimulation du système nerveux central en se liant aux récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (nAChR) situés

Figure 6. Sites d’action des insecticides neurotoxiques (A) néonicotinoïdes et (B) phénylpyrazoles localisés sur les cellules postsynaptiques (adapté d’après Casida & Durkin, 2013).

(A) En conditions normales, le neurotransmetteur acétylcholine (ACh) se lie à son récepteur nicotinique (nAChR) pour une durée très brève de l’ordre de quelques millisecondes. Le changement de conformation du récepteur subséquent permet l’ouverture du canal et l’influx d’ions Na+ extracellulaires résultant en une stimulation nerveuse courte et contrôlée. Les néonicotinoïdes sont des molécules agonistes qui se fixent au nAChR durant des périodes beaucoup plus longues, généralement plusieurs minutes, entrainant ainsi une hyperstimulation nerveuse. (B) En conditions normales, l’acide ɣ-amino-butyrique (GABA), principal neurotransmetteur inhibiteur, se fixe sur son récepteur et permet l’ouverture du canal transmembranaire pentamérique et le passage des ions Cl-. L’influx d’ions Cl- a pour fonction de limiter et contrebalancer l’activité électrique dans les neurones post-synaptiques. La liaison d’une molécule antagoniste phénylpyrazole sur le récepteur GABA inhibe l’entrée d’ions Cl- et donc l’apparition du potentiel postsynaptique inhibiteur. Les phénylpyrazoles entrainent donc indirectement une hyperexcitation du système nerveux central en empêchant l’effet inhibiteur du neurotransmetteur GABA.

sur les neurones postsynaptiques (Figure 6.A.) (Jeschke et al., 2011). Ces insecticides agissent sur de multiples sous-types de récepteurs à l’acétylcholine, avec une sélectivité différentielle entre insectes et mammifères conférée uniquement par des changements structuraux mineurs (Casida & Durkin, 2013). Dans l’organisme, les insecticides peuvent être transformés en métabolites secondaires. L’imidaclopride ingéré par des abeilles a une demi-vie d’environ 4 à 5 h ; il est rapidement métabolisé pour former l’olefin et le 5-hydroxy-imidaclopride qui peuvent persister plus de 48 h et donc causer des effets à plus long terme (Suchail et al., 2004).

2.1.2. La classe des phénylpyrazoles

Parmi les phénylpyrazoles, la molécule la plus utilisée est le fipronil, mise sur le marché pour la première fois en Europe au début des années 1990 (Figure 5.B.). Dans certains pays d’Europe, le fipronil constitue la substance active de formulations commerciales telles que le Régent® (BASF), autorisées pour le traitement du maïs, du tournesol et de différentes plantes potagères (chou-fleur, chou de Bruxelles, brocoli, poireau, oignon, échalote) (European Food Safety Authority, 2013d). Toutefois, le fipronil a fait l’objet en 2004 d’importantes restrictions pour son utilisation en protection des cultures en France. En 2013, le fipronil présente selon l’EFSA un risque aigu pour les abeilles lorsqu’il est utilisé en traitement des semences de maïs (European Food Safety Authority, 2013d), l’Union Européenne a ainsi voté l’interdiction de l’utilisation de cette molécule sur les cultures de tournesol et de maïs dans tous les états membres.

Cet insecticide contrôle un large spectre d’arthropodes incluant les blattes, les moustiques, les criquets, les tiques et les puces aux stades larvaire et adule. De plus, il est efficace contre les insectes devenus résistants à des classes d’insecticides antérieures telles que les carbamates ou les organophosphorés (Gunasekara et al., 2007).

Les molécules appartenant à la classe des phénylpyrazoles se lient aux canaux chlorures du récepteur à l’acide ɣ-amino-butyrique (GABA) et induisent indirectement une hyperexcitation du système nerveux central (Figure 6.B.) (Cole et al., 1993). Les récepteurs GABA des insectes existent en différents sous-types et forment une classe distincte des récepteurs GABA rencontrés chez les vertébrés (Casida & Durkin, 2013).