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Les génomes microsporidiens reflètent une forte dépendance envers leur hôte

CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

3. Le parasite microsporidien Nosema ceranae

3.1. Les microsporidies

3.1.3. Les génomes microsporidiens reflètent une forte dépendance envers leur hôte

La simplification structurale des cellules microsporidiennes se reflète également dans la réduction et la compaction à l’échelle moléculaire, évidentes au niveau des génomes. Les microsporidies ont d’ailleurs été adoptées par les scientifiques comme modèles d’étude de génomes eucaryotes extrêmement réduits. Le génome (2,9 Mb) d’une microsporidie infectant l’Homme, Encephalitozoon cuniculi, a notamment été le premier génome d’un eucaryote parasite entièrement séquencé (Katinka et al., 2001). Les génomes des microsporidies sont le plus souvent de taille réduite, avec un minimum de 2,3 Mb pour l’espèce Encephalitozoon intestinalis (environ 2000 protéines codées), une taille inférieure à celle de nombreux génomes bactériens. Ces génomes sont généralement très compacts, contiennent des régions intergéniques courtes et très peu de séquences répétées (Keeling, 2009). Les séquences des gènes codants sont elles-mêmes relativement courtes et possèdent peu voire pas d’introns. La forte promiscuité des gènes semble même avoir un effet sur la transcription puisque de nombreux transcrits chevauchants des gènes voisins ont pu être identifiés dans différents génomes microsporidiens. Ainsi, un ARNm peut correspondre aux séquences de plus d’un gène, bien qu’un seul n’apparaisse réellement traduit (Keeling, 2009). Certains génomes microsporidiens font figure d’exception avec des tailles beaucoup plus grandes, jusqu’à 24 Mb pour Hamiltosporidium tvaerminnensis et Octosporea bayeri (Corradi et al., 2009; Williams, 2009; Peyretaillade et al., 2012; Vávra & Lukeš, 2013). Ces derniers ne contiennent pas nécessairement plus de gènes codants que les génomes plus réduits. Cette variation en taille serait majoritairement attribuable à des régions intergéniques aux longueurs variables et aux nombres de séquences répétées et d’éléments transposables (Peyretaillade et al., 2012).

Le séquençage récent des génomes d’une dizaine d’espèces microsporidiennes a permis d’améliorer les connaissances sur la physiologie, la biochimie et l’évolution des microsporidies.

D’après les données génomiques, le métabolisme du carbone chez les microsporidies serait limité à la glycolyse, à la voie des pentoses phosphate et à la synthèse/dégradation du tréhalose (Keeling & Corradi, 2011). Les microsporidies possèdent des mitosomes, comparables à des reliquats de mitochondries, avec un peu moins de 20 protéines mitosomales actuellement identifiées. Les mitosomes ne contiennent pas de génome et aucune protéine impliquée dans le cycle de Krebs ou dans la phosphorylation oxydative (Keeling, 2009; Vávra & Lukeš, 2013). Ils possèdent en revanche des protéines impliquées dans l’assemblage des complexes Fe-S, qui interviennent dans des réactions d’oxydo-réductions (Vávra & Lukeš, 2013). L’identification et la localisation dans les mitosomes de protéines telles que des oxydases alternatives (AOX) et des glycérol-phosphate déshydrogénases (GDPH) suggèrent l’implication de ces organites dans la réoxydation de composés réduits produits par la glycolyse (Vávra & Lukeš, 2013).

Du point de vue évolutif, il est probable que des pertes de gènes responsables de la relative pauvreté des génomes microsporidiens soient la conséquence du parasitisme intracellulaire. Cependant, l’évolution de ces génomes n’a pas été seulement marquée par des pertes et des réductions, car certains gènes ou familles protéiques d’intérêt pour le parasite auraient pu être acquis par transfert horizontal de gènes à partir de procaryotes ou dans de plus rares cas à partir d’hôtes animaux (Vávra & Lukeš, 2013).

Les petits génomes microsporidiens suggèrent un fort degré de dépendance envers la cellule hôte en termes de besoins énergétique et métabolique ; ils codent par exemple pour divers transporteurs membranaires. En plus des aquaporines et des transporteurs d’ATP précédemment mentionnés, les génomes microsporidiens codent pour des protéines impliquées dans le transport d’ions, de sucres, d’acides aminés, d’oligopeptides et de phospho-amino-lipides ainsi que des transporteurs ABC (Williams, 2009; Peyretaillade et al., 2012). De plus, des données récentes suggèrent que les gènes codant pour des hexokinases, enzymes catalysant la conversion du glucose en glucose-6-phosphate, contiendraient des signaux de sécrétion chez plusieurs espèces microsporidiennes dont N. ceranae (Cuomo et al., 2012). Ainsi, durant l’infection ces enzymes pourraient être sécrétées dans le cytoplasme de la cellule hôte où elles seraient idéalement situées pour amplifier la production cellulaire de métabolites pouvant être utilisés par le parasite en développement.

Les génomes de N. ceranae (7,7 Mb) et de N. apis (8,5 Mb) contiennent respectivement 2342 et 2771 gènes codants ainsi que de faibles pourcentages en bases GC (respectivement 26 et 19 %), cette dernière caractéristique étant retrouvée chez d’autres espèces microsporidiennes (Cornman et al., 2009; Peyretaillade et al., 2012; Pan et al., 2013). Les génomes du genre Nosema semblent être beaucoup moins compacts que ceux d’autres espèces microsporidiennes comme celles du genre Encephalitozoon (Pan et al., 2013). Une large fraction du génome de N. ceranae correspondrait à des

catégories de gènes liés à la croissance du parasite tandis qu’une fraction plus réduite serait consacrée au transport et à la réponse au stimuli chimiques (Cornman et al., 2009). Au sein du protéome prédit, 89 protéines présenteraient des peptides signaux faisant d’elles des protéines potentiellement sécrétées pouvant interagir avec l’hôte (Cornman et al., 2009). Près de la moitié des gènes codants présentent de fortes similarités avec le génome d’E. cuniculi (Cornman et al., 2009). De plus, les nombreux groupes de protéines orthologues partagés par N. ceranae et N. apis ainsi que les voies biochimiques similaires codées par les génomes suggèrent l’existence de fonctions conservées au sein du genre Nosema (Pan et al., 2013). Toutefois, les enzymes clés impliquées dans le transport lié aux besoins énergétiques et dans les processus métaboliques sont plus représentées chez N. ceranae que chez N. apis, de même que les protéines liées à la réponse au stress (Pan et al., 2013).

Du point de vue du parasitisme et de la biologie de l’évolution, les microsporidies représentent des modèles fascinants pour mieux comprendre divers aspects tels que la manipulation de la cellule hôte, les interactions moléculaires hôte-parasite ou encore l’adaptation extrême à un environnement intracellulaire. Malheureusement, les microsporidies se montrent récalcitrantes aux techniques de manipulation génétique, ce qui limite leur étude, notamment l’investigation de fonctions de gènes spécifiques (Williams, 2009). De plus, certaines espèces comme N. ceranae et N. apis sont encore difficilement maintenues en culture cellulaire, ce qui freine leur étude in vitro.