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CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

2. Exposition des abeilles à des insecticides neurotoxiques

2.2. Exposition de l’abeille mellifère : de la plante à la ruche

2.2.2. Contamination des matrices de la ruche

Les matrices récoltées par les abeilles lors de leur activité de butinage sont rapportées à l’intérieur de la colonie et constituent la base de l’alimentation de la colonie. En effet, le pollen, aliment riche en protéines et en lipides est directement stocké dans les alvéoles puis consommé par les larves en développement et par les ouvrières. Le nectar, très riche en glucides, sert à l’élaboration de miel qui est stocké puis consommé par les abeilles adultes. Ces matrices servent également à l’élaboration de la gelée royale sécrétée par les glandes hypopharyngées des nourrices. La gelée

Tableau 1. Fréquences de détection du phénylpyrazole fipronil, des néonicotinoïdes imidaclopride et thiaclopride et de certains de leurs métabolites et concentrations moyennes retrouvées dans les matrices des colonies selon différentes études.

1Chauzat et al., 2006 France, 2Mullin et al., 2010 États-Unis, 3Bernal et al., 2010 Espagne (échantillons collectés au printemps seulement), 4Chauzat et al., 2009 France, 5Pareja et al., 2011 Uruguay, 6Lambert et al., 2013 France.

POLLEN MIEL CIRE ABEILLE

Molécule Réf. échant. positifs (%) concentration moy. (µg/kg) échant. positifs (%) concentration moy. (µg/kg) échant. positifs (%) concentration moy. (µg/kg) échant. positifs (%) concentration moy. (µg/kg) Fipronil 1 12,4 (n=81) 1,2 2 0,3 (n=350) 28,5 1,4 (n=208) 12,8 1,4 (n=140) 1535 3 3,7 (n=845) 2 4 12,4 (n=185) 1,2 9,1 (n=187) 0,5 5 6,5 (n=31) 70 non précisé 160 métabolite sulfone 1 3,7 (n=81) 1,2 4 12,4 (n=185) 1,7 9,1 (n=187) 0,4 métabolite désulfinyl 1 11,1 (n=81) 1,3 4 12,4 (n=185) 1 9,1 (n=187) 1,2 Imidaclopride 1 49,4 (n=81) 1,2 2 2,9 (n=350) 39 1 (n=208) 8 4 57,3 (n=185) 0,9 29,7 (n=239) 0,7 26,2 (n=187) 1,2 3 50 (n=6) 377 6 0,8 (n=128) 1,35 2,1 (n=141) 0,14

métabolite acide 6-chloronicotinique 1 44,4 (n=81) 1,2

4 57,3 (n=185) 1,2 29,7 (n=239) 1,2 26,2 (n=187) 1

métabolite oléfin 2 0,3 (n=350) 554 métabolite 5-hydroxy-imidaclopride 2 0,3 (n=350) 152

royale est consommée par les larves durant les premiers jours de leur développement et par les reines tout au long de leur stade larvaire (Tautz, 2009).

L’utilisation de technologies analytiques sensibles est essentielle pour rechercher des résidus de molécules insecticides dans les matrices de la colonie. De faibles concentrations de pesticides de l’ordre du µg/kg peuvent désormais être détectées grâce à deux techniques de chromatographie aux limites de détection très basses : la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS) et la chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC/MS-MS) (Johnson et al., 2010; Mullin et al., 2010).

2.2.2.1. Contamination par de multiples résidus

En France, un suivi des résidus de pesticides présents dans différentes matrices (pollen, cire, miel et abeille) récoltées dans 125 colonies a été effectué entre 2002 et 2005. Seuls 12 % des échantillons étaient négatifs pour les 41 molécules recherchées et les échantillons positifs contenaient de 1 à 9 molécules insecticides différentes (Figure 8) (Chauzat et al., 2009), attestant de la présence possible de multiples molécules. Parmi les insecticides les plus fréquemment détectés dans le pollen se trouvent l’imidaclopride, retrouvé dans un échantillon sur deux, le fipronil et leurs métabolites respectifs (Tableau 1) (Chauzat et al., 2006, 2009). L’imidaclopride et son métabolite, l’acide 6-chloronicotinique, ont également été fréquemment retrouvés dans le miel (29.7 %) et dans les abeilles (26.2 %) à des concentrations de l’ordre de 1 µg/kg (Tableau 1) (Chauzat et al., 2009). Une étude française plus récente a confirmé la présence de multiples résidus de pesticides dans le miel, le pollen et les abeilles prélevés à l’intérieur des colonies (Lambert et al., 2013).

Aux États-Unis, plus de 120 pesticides et métabolites différents ont pu être détectés dans près de 900 échantillons correspondant à diverses matrices prélevées dans les colonies (Mullin et al., 2010). La moitié des échantillons (49,9 %) contenaient au moins un pesticide systémique et la quasi-totalité des échantillons (92,3 %) étaient contaminés par deux pesticides ou plus. En considérant les matrices pollen et cire, les analyses ont mis en évidence la présence de deux pesticides ou plus dans 98,4 % des 609 échantillons, trois ou plus dans 91 %, des échantillons et quatre ou plus dans 80 % des échantillons. Dans la matrice pollen, en moyenne sept molécules différentes ont été détectées au sein d’un même échantillon avec un maximum de 31 molécules. Les molécules les plus fréquemment rencontrées dans cette matrice sont des insecticides appartenant aux classes des pyréthrinoïdes, des organophosphorés, ainsi que des herbicides ou encore des fongicides. Ce taux élevé de contaminants relativement divers dans la nourriture souligne le risque que ces molécules interagissent et affectent sévèrement la santé des abeilles. Les néonicotinoïdes et les phénylpyrazoles ont été globalement détectés dans un faible nombre d’échantillons. Parmi les néonicotinoïdes, le thiaclopride a été le plus

fréquemment retrouvé dans le pollen (5,4 % des échantillons) à une concentration moyenne de 24 µg/kg. Les insecticides neurotoxiques imidaclopride et fipronil ont été détectés dans le pollen à des concentrations légèrement plus élevées, 39 µg/kg et 28,5 µg/kg respectivement. Les échantillons d’abeilles contenaient généralement moins de résidus de pesticides que le pollen, cependant, de très fortes concentrations de l’insecticide fipronil ont été mesurées, atteignant en moyenne des valeurs de plus de 1500 µg/kg.

2.2.2.2. Contamination et pratiques agricoles

En Uruguay, des colonies présentant un effondrement de leur population d’abeilles localisées à proximité de cultures de soja ayant été traitées avec du fipronil par pulvérisation se sont révélées être contaminées par de fortes concentrations de cet insecticide (Pareja et al., 2011). Les échantillons d’abeilles récoltés dans ces colonies contenaient en moyenne 160 µg/kg de fipronil. Le fipronil n’a été détecté que dans 6 % des échantillons de miel mais à des concentrations relativement élevées, atteignant en moyenne 70 µg/kg. Dans cette étude, des matrices prélevées dans des colonies effondrées proches de cultures de tournesol traitées à l’imidaclopride étaient également fortement contaminées par ce néonicotinoïde. Ainsi, des concentrations d’imidaclopride de 377 µg/kg et de 60 µg/kg en moyenne ont été mesurées dans la cire et la propolis respectivement. Toutefois, la molécule n’a pu être détectée dans les échantillons d’abeilles et de miel de ces colonies.

Une étude française a pour la première fois relié la contamination des matrices apicoles à la fois au contexte paysager environnant les colonies mais également à la période de prélèvement (Lambert et al., 2013). Les résultats ont ainsi montré que les ruchers situés dans des paysages de grandes cultures étaient les plus contaminés, toutefois aucune différence significative n’a pu être détectée. Les plus fortes contaminations ont été constatées au printemps qui correspond à une période de traitement intense des cultures et à une forte activité de butinage. De la même façon, une étude réalisée en Espagne en 2010, a permis de mettre en évidence du fipronil dans seulement 3,7 % des échantillons de pollen collectés au printemps et jamais dans ceux collectés en hiver (Bernal et al., 2010). La contamination des matrices de la ruche par les insecticides semble donc fluctuer en fonction de la saison considérée.

Même si l’ampleur de la contamination par les insecticides peut varier en fonction de la saison ou du paysage considéré, il apparaît que les différentes matrices apicoles sont toutes susceptibles de contenir une multitude de molécules contaminantes. Dans ce contexte, l’ensemble des stades de développement et des castes présents au sein de la colonie est constamment exposé aux insecticides, que ce soit par contact (cire) ou par voie orale (pollen, miel). De plus, de nombreuses études montrent

Tableau 2. Toxicité aiguë du fipronil, du thiaclopride, de l’imidaclopride et de ses métabolites envers A. mellifera suite à une administration orale ou topique (doses létales 50 %, DL50 en ng/abeille). Le moment où la mortalité a été mesurée (24 ou 48 h après traitement) est indiqué lorsque précisé dans la littérature. 1EFSA, 2013b, 2Decourtye et al., 2005, 3Schmuck et al., 2001, 4Decourtye et al., 2003, 5Nauen et

al., 2001, 6Suchail et al., 2001, 7Iwasa et al., 2004, 8Kievits & Bruneau, 2009.

Molécule Référence DL50 voie orale (ng/abeille) DL50 voie topique (ng/abeille) Fipronil 1 4,17 5,93 2 6 (48 h) Imidaclopride 3 3,7 – 40,9 (48 h) 59,7 – 242,6 (48 h) 4 30,6 (48 h) 5 41 6 57 (48 h) 7 17,9 (24 h) métabolite oléfin 6 28 (48 h) 5 > 36 métabolite 5-hydroxy-imidaclopride 4 153 (48 h) 5 159 6 258 (48 h) Thiaclopride 8 17 320 (48 h) 7 14 600 (24 h)

que les insecticides sont détectés en concentrations très variables. Il semble nécessaire de connaître l’impact de ces insecticides sur l’abeille mellifère, en fonction du mode d’administration et de la concentration des molécules.