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CHAPITRE 1 : Dangerosité, risque et construction historique de l’individu dangereux 7

1.5 Danger, risque et modernité

1.5.2 Nouvel espace du risque dans la modernité avancée

Selon Beck (2001), nous assistons, à partir de la seconde partie de la modernité, à une transformation radicale de la notion de risque à double égard : l’augmentation des risques par la technique et l’augmentation des dangers pouvant être soumis à une évaluation rationnelle et objective. Dans la « société du risque » tel que défini par Beck (2001), le risque ne représente plus l’accident, le jeu, la probabilité, la chance, ou la malchance, mais devient la mesure « objectivé» du danger : « le risque ne représente plus l’accident, l’aléa, la chance, la malchance, mais une certaine manière de les faire exister à travers quoi ils trouvent désormais objectivité et valeur » (Ewald 2000 : 64). Le risque se décrit, dans cette conception objectiviste, comme une réalité ontologique existant dans la nature, pouvant être identifié et mesuré scientifiquement (Lupton 1999, cité dans Bérard et al. 2012 : 5). Plusieurs auteurs (Castel 1981,1983, Giddens 1990, Duclos 1987, 1990, 1996, Douglas 2002; Zinn 2008 ) adoptent une 7

position critique quant à la conception du risque actuel qui renvoie uniquement à la mesure du danger : « Now risk refers only to negative outcomes […] Risk is unequivocally used to mean danger from future damage, caused by opponent » (Douglas 1990 : 7) ; et qui sous-tend un discours et une rationalité « objective» transformant tout évènement en risque, tel que le souligne Ewald (2000 : 64) :

« pas de risque sans une certaine forme de calcul, d’analyse, d’expertise […]. Le risque dès qu’il est objectivé quelque part, est doué d’une tendance à proliférer partout. Il obéit à la loi du tout ou rien. Dès lors qu’une population, un domaine sont identifiés comme risques, tout en leur sein tend à le devenir : le risque a une sorte d’allusion d’existence insidieuse, éventuelle, qui le rend à la fois présent et absent, Zinn (2008 : 5) un théoricien du risque va dans le même sens et affirme le lien entre le risque et le danger à

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l'époque actuelle : « risks are primarily understood as real events or dangers which can be approached

douteux et suspect ».

Ainsi, la conception objectiviste du risque, comme une mesure quantitative du danger, permet non seulement une identification plus objective et normative des situations à risque, mais s’utilise comme un argument de poids dans les rapports de forces politiques et dans la légitimation des politiques préventives et de renforcement de la sécurité (Duclos 1996). Ainsi, selon Castel (1983) et Massé (2007) l’identification de certains facteurs de risques : les habitudes de vie, le travail, la famille, le quartier, l’hérédité, etc. ne sert pas uniquement à mettre en garde la population des effets pervers de certaines habitudes ou facteurs de risque, mais permet de justifier des interventions précoces : « la visée première des politiques préventives du XXe siècle n’est pas d’affronter une situation concrète dangereuse, mais d’anticiper toutes les figures possibles d’irruption du danger» (Castel 1983 : 123). Il n’est plus question d’éliminer les risques ou le danger comme autrefois par l’enfermement par exemple, mais bien de les prévenir par des politiques de prévention de la violence (Duclos 1996 ; Sechter 2012). C’est donc davantage en fonction du risque identifié, qu’en fonction d’un dommage à réparer que l’action devient motivée. Beck (2001), cité dans Bérard et al. (2012 : 10) souligne à cet effet :

« En réalité indique-t-il, les risques ne se résument pas aux conséquences et aux dommages déjà survenus. En ce sens, les risques désignent un futur qu’il s’agit d’empêcher d’advenir. Dans la société du risque, le passé perd sa fonction déterminante pour le présent. C’est l’avenir qui vient s’y substituer, et c’est alors quelque chose d’inexistant, de construit, de fictif qui devient la ‘cause de l’expérience et de l’action présente»

dans un monde incertain. Le calcul des probabilités et la promotion des mesures prédictives ont pour but la réduction de l’incertitude et permettent de mieux cerner voire de pondérer les dangers pour en établir le risque d’occurrence. Ian Hacking (1990) parle de domestication du hasard pour décrire la tendance des sociétés actuelles à prendre en charge le risque, par des programmes de réduction des risques visant la tolérance zéro, une tendance qui se met en place aux États-Unis en 1960, au Royaume-Uni en 1980 et qui se développe dans notre propre pays, le Canada, et dans le reste de l’Europe autour des années 2005. Castel (1983 : 123) souligne que « les idéologies modernes de la prévention sont surplombées par une grande rêverie technocratique, rationalisatrice, du contrôle absolu de l’accident conçu comme irruption de l’imprévu : au nom du mythe de l’éradication absolue du risque, elles construisent elles-mêmes une foule de risque nouveau qui sont autant de cibles pour les interventions préventives». P. O’ Malley (2008) en Australie, souligne quant à lui, la place prépondérante des politiques de gestions du risque :

« […] Les paramètres du risque font les régimes de sécurité qui essayent de transformer chacun de nous en un praticien de la prévention du crime et dans certains cas de transformer nos maisons et même nos communautés en forteresses à haute technologie […]L’emprisonnement à grande échelle est pratiqué dans certains États comme une manière de réduire les risques de crimes, cette stratégie étant complétée par l’application de tableaux déterminant la durée des peines sur le fondement du risque, ce qui se substitue à la prise de décision judiciaire » (Cité dans Senon 2009 : 722).