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CHAPITRE 3 : Méthodologie

3.7 Contexte d’étude

3.7.2 Contexte de soins

Notre entrée sur le terrain a permis de démystifier la plupart de nos données d’entretiens, notamment sur la manière qu’ont les intervenants de percevoir, d’interpréter, et de gérer le risque au quotidien. Une des particularités du contexte de soins de l’unité des premiers épisodes psychotique est la clientèle hospitalisée. S’y retrouve un nombre majoritaire de jeunes hommes, dont la moyenne d’âge est de 25 ans, majoritairement d’origine haïtienne ou africaine, placés pour la plupart sous la main de la justice, en attente d’un jugement du tribunal administratif du Québec (TAQ) quant à leur libération conditionnelle . La majorité 22

vit dans des conditions de vie difficiles (logement, famille, argent, emploi); font face à des problématiques de toxicomanie, possèdent des antécédents de délinquance, de criminalité et de comportements violents . Le critère d’hospitalisation est d’avoir été diagnostiqué avec un 23

Cette observation va dans le sens des études qui témoignent d’une sur-représentation des hommes noirs dans

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les établissements pénitentiaire, dans les centres jeunesse et dans la marginalité itinérante où les taux de troubles psychiques sont évalués à la hausse (Sterlin 2004). Certaines études montrent le rapport étroit entre certains déterminants sociaux de la santé mentale : l’ethnicité, le niveau socio-économique peu élevé et la présence d’un trouble psychique (Dorvil 2007). Une étude de Williams, Takeuchi et Adair (1992) montre qu’à statut économique semblable dans les couches sociales défavorisées, les Afro- Américains montraient des taux plus élevés de détresse psychologique que les Blancs. Au-delà de ces déterminants sociaux, plusieurs études soulignent l’utilisation abusive et plus punitive par les services publics, pour certains groupes de la société : une surveillance policière ciblée non sur des conduites déviantes, mais sur la couleur de la peau (noire, arabe, autochtone) dans les espaces publics, une détention arbitraire, une brutalité et un l’emprisonnement abusif (Dorvil 2007). Ainsi il est intéressant de s’interroger sur les effets potentiels de cette sur-représentation des hommes noirs dans l’unité psychiatrique (qui pourra constituer une autre recherche), à la fois par l’histoire des hospitalisations (méfaits, types de psychoses) en identifiant la manière dont ces derniers se sont retrouvés dans l’unité (TAQ, signalement, police, tiers, proche, l’individu lui-même) et la manière dont ils sont représentés et pris en charge avant et durant l’hospitalisation : davantage de signalement à la police ? utilisation plus élevée des mesures de contrôle par les intervenants ?

Ces résultats viennent appuyer les nombreuses recherches qui démontrent la relation étroite qui existe entre

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hospitalisation et problème économique (Dorvil 2007). Parmi ces recherches, celle effectuée pour le compte du Ministère des affaires sociales par les chercheurs de l’Université de Montréal « révèle une surreprésentation des individus économiquement inactifs parmi les bénéficiaires de l’urgence psychiatrique. La population inactive (assistés sociaux, chômeurs...) est nettement surreprésentée (52,2%) comparativement au pourcentage des gens économiquement actifs (44,0%) dans la population générale (p < 0,001) du Montréal métropolitain » (Bozzini 1980 cité par Dorvil 2007). De plus, Dorvil (2007) en s’appuyant sur les chiffres de mai 1983 du département de la comptabilité du centre hospitalier Louis-H. Lafontaine, montre que 59% parmi les hospitalisés de 90 jours et plus sont des bénéficiaires de l’aide sociale, et ce, en excluant celles et ceux qui reçoivent leur pension de vieillesse.

premier épisode psychotique ou d’être inscrit depuis moins de 5 ans dans le système administratif de l’hôpital. La majorité des hospitalisations sont associées à des psychoses déclenchées et induites par la forte consommation de drogues. Le principal motif invoqué pour l’hospitalisation est la dangerosité que représente un individu pour lui-même ou pour autrui. Un individu qui fait un épisode psychotique est ramené aux urgences de l’hôpital soit par la police (suite à un signalement par exemple), un proche ou se présente de son propre gré aux urgences.

Un autre point important à mentionner est l’importance que détient la sécurité et la gestion de l’agressivité dans les politiques de prise en charge de la souffrance et dans les pratiques cliniques des soignants au sein de l’unité. L’ambiance générale est à la sécurité, soit par la présence marquée des agents de sécurité mobilisés sur place durant la nuit que par les fouilles « aléatoires » ou parfois « ciblées » sur certains patients susceptibles d’avoir consommé ou de propager des substances sur l’unité. Puisque plusieurs patients sont en droit de sortir de l’unité lorsqu’ils ne sont pas en garde prolongée ou en observation, droit qu’il leur est octroyé par le tribunal administratif du Québec ou par les psychiatres attitrés à l’unité; il arrive souvent que ces derniers consomment dès lors sortie, et ramènent des substances illégales au sein de l’unité, augmentant ainsi le sentiment d’imprévisibilité chez les intervenants quant au risque d’agression. De plus, la surveillance est ponctuée par des pratiques qui visent à demander des tests d’urines, et à priver les individus de certains objets à risque pouvant occasionner des dommages sur eux-même ou sur autrui. Autant, les programmes de prévention développés, que la présence marquée des agents de sécurité sont le reflet, nous croyons, d’une organisation de soins qui priorise la sécurité sur les interventions soignantes. Ce constat va dans le même

sens que les conclusions que tire Coupechoux (2006) dans son ethnographie d’une unité de soins psychiatriques en France : en interviewant plusieurs professionnels, il en est venu à cette conclusion qu’avec la désinstutionalisation et la libération rapide des lits d’hospitalisation, les soignants priorisent dans leurs pratiques davantage la prévention de la crise que le soin psychiatrique et le traitement de la souffrance. Il observe même un renforcement de la sécurité dans les hôpitaux ; une sécurité qui se manifeste en une liaison directe entre les hôpitaux et les commissariats de police (Coupechoux 2006). La question que l’on se pose est à savoir si cette préoccupation pour la sécurité est le résultat d’une réelle augmentation des agressions ou d’un seuil de tolérance plus faible à l’égard du risque qu’il faut à tout prix éliminer ?

En conclusion, dans ce chapitre nous avons dressé les différentes étapes méthodologiques de notre étude, en montrant le devis de recherche qui a été privilégié ainsi que les difficultés qui ont été rencontrées lors de notre demande éthique. La question de l’interdisciplinarité en psychiatrie fut ensuite posée, en lien avec les difficultés rapportées quant à l’évaluation éthique de notre demande. Nous avons ensuite décrit la manière dont nos données ont été récoltées, en explicitant notre stratégie de recrutement. Pour terminer, nous avons dressé le profil personnel des intervenants recrutés et avons décrit brièvement le contexte de soins à l’étude. Le prochain chapitre présente les résultats en fonction des trois thèmes d’analyse qui ont été retenus lors de notre observation participante : 1) les représentations sociales de la dangerosité 2) les perceptions du risque au travail 3) les réactions face au risque perçu. Les données d’entretiens qui y seront présentées, doivent être contextualisées et lues à partir de la description que nous avons faite de l’organisation du contexte de soins et du profil personnel

des intervenants, pour ainsi mieux comprendre les facteurs qui interviennent dans la construction des différentes représentations et stratégies de gestion du risque individuelles.