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Partie II – Étude des matières premières

Chapitre 1 Notions de mécanique générale des matériaux et grands principes de la

des roches dures

Dans un premier temps de l’étude, il nous semble nécessaire de rappeler brièvement les grands principes mécaniques auxquels la taille des roches dures obéit et de préciser ainsi la terminologie qui sera employée dans la suite de la partie. Pour une revue plus détaillée à ce sujet, nous pourrons nous référer notamment à des ouvrages spécialisés en ingénierie mécanique (p. ex. Bles et Feuga, 1981 ; Grolier et al., 1991 ; François et al., 1995a et b) mais également aux travaux des nombreux auteurs qui ont étudié plus précisément les processus mécaniques liés à la taille des roches et à la formation des éclats (p. ex. Crabtree, 1972a et b ; Speth, 1972, 1974 ; Cotterell et Kamminga, 1979, 1987 ; Tsirk, 1979 ; Texier, 1982, 1984 ; Bertouille, 1984, 1989 ; Cotterell et al., 1985 ; Volkov et Guiria, 1991 ; Pelcin, 1997a ; Baker, 2003).

1.1 – La taille : mécanique de la rupture

Les roches taillées par les Hommes de la Préhistoire, les roches dites « dures », sont des corps doués d’élasticité mais également fragiles : « soumises à une contrainte mécanique, la limite de rupture y est atteinte avant la limite élastique, sans qu’apparaisse avant rupture, une phase plastique, comme c’est le cas dans les corps ductiles » (Bertouille, 1984). Cela signifie que, sous l’action d’une contrainte2 inférieure à une certaine valeur, la roche présente un comportement élastique : elle reprend sa forme initiale après suppression des sollicitations qui ont provoqué sa déformation. Mais au-delà d’une certaine limite que l’on nomme limite d’élasticité, la contrainte mécanique entraîne alors une déformation irréversible : la rupture (que l’on qualifie alors de « fragile »). La valeur de ce seuil de rupture est une caractéristique intrinsèque du matériau et est par conséquent propre à chaque échantillon étudié. Elle

2 Ensemble des forces affectant un corps matériel et tendant à le déformer (p. ex. en traction σ = F/S)

dépend de l’homogénéité, de la continuité et de l’isotropie du matériau (Domanski et

al., 1994). Une roche est homogène si ses constituants sont répartis régulièrement de

manière à ce qu’un échantillon de la roche présente les mêmes constituants et les mêmes propriétés que le tout ; le degré de continuité d’une roche est fonction de la proportion de joints, de fissures et d’espaces poreux et il détermine la cohésion de la roche et donc la propagation d’une contrainte (Domanski et al., 1994) ; enfin, une roche est isotrope si ses propriétés ne dépendent pas de la direction de sollicitation suivant laquelle on les évalue (Foucault et Raoult, 2005).

Les lois de comportements qui régissent les roches relèvent donc des théories de l’élasticité, théories dominées par la loi de Hooke qui montre que dans le cas d’une contrainte uniaxiale, la déformation dans la direction de la contrainte est proportionnelle à la contrainte appliquée (ε = σ/E où E est le module élastique de Young cf. infra). Ces lois s’appliquent normalement à des matériaux homogènes, isotropes, à réponse linéaire et élastique jusqu'à la rupture. Or, les roches ne correspondent pas toujours à ce modèle (qui n’existe d’ailleurs pas dans la nature). La rupture des roches est en effet influencée par leur structure, leur texture et les défauts qu’elles peuvent présenter. Cependant, et bien que ces propriétés aient une influence sur le phénomène de rupture, elles restent relativement peu marquées de façon que l’on peut tout de même appliquer ces lois de l’élasticité linéaire isotrope aux roches sans erreur appréciable (Bertouille, 1989). Grâce à leur structure vitreuse, l’obsidienne et le silex sont les roches qui se rapprochent le plus de ce corps élastique idéal (Bertouille, 1989 ; Cotterell et Kamminga, 1987).

Dans le cadre de la taille des roches dures par percussion, la rupture intervient suite à l’application dynamique d’une charge par impact en un point : deux corps élastiques, le percuteur et le nucléus, rentrent en contact ponctuel et se déforment localement (« s’écrasent ») de manière à former une aire de contact non nulle (« surface elliptique de Hertz », Bertouille, 1989). Nous sommes ici dans le cadre d’un cas particulier du

contact élastique de Hertz entre une « sphère »3, le percuteur, et une surface

« plane »3, le nucléus (Speth, 1972). Le choc subi est assimilable à une force de compression appliquée durant un temps très court. Les contraintes induites par ce choc sont concentrées dans cette petite surface autour du point de contact et leur intensité décroît rapidement lorsque l'on s'en éloigne. Elles sont compressives, avec des forces de cisaillement, dans et au-dessous de cette aire de contact, tandis qu’en dehors, il s’agit de forces de traction qui décroissent progressivement depuis leur valeur maximum qui se situe au bord du cercle de contact (Speth, 1972).

On peut distinguer deux phases dans la rupture : une phase d’initiation et une phase de propagation (François et al., 1995b). L’énergie nécessaire à l’initiation de la rupture est beaucoup plus importante que pour sa propagation (Baker, 2003).

Pour qu’il y ait rupture, il faut que la contrainte appliquée localement soit suffisamment grande pour vaincre les forces de cohésion du matériau (Grolier et al., 1991). Pour cela, il faut que le facteur d’intensité de contrainte4 (KI5) atteigne la valeur critique (KIC) qui

est appelée la ténacité à la rupture (Cotterell et Kamminga, 1987 ; Grolier et al., 1991). Cette résistance à la rupture que représente donc la ténacité est une constante physique du matériau qui est fonction de ses qualités élastiques, c’est à dire de sa capacité à se déformer élastiquement (de manière réversible) sous l’effet et dans le sens d’une contrainte déterminée. Elle dépend donc de l'intensité des liaisons atomiques ou moléculaires, de la microstructure (arrangement des atomes au sein du matériau) ou de la présence de défauts dans la structure.

La ténacité à la rupture est considérée comme étant la propriété mécanique la plus importante des matières premières exploitées pour la taille préhistorique (Cotterell et Kamminga, 1987). Une roche offrant une faible ténacité sera « facile » à tailler dans le sens où elle n’opposera pas une grande résistance et ne nécessitera donc pas une énergie importante pour produire des enlèvements. Le contrôle du détachement des éclats, c’est à dire de la propagation de la rupture, sera également grandement facilité par l’homogénéité et la continuité de la roche.

L’effort de l’impact entraîne dans un premier temps la formation d’une fissure circulaire superficielle juste à la frontière de la zone de contact entre le percuteur et la surface de débitage du nucléus. Si la charge appliquée est supérieure à la charge critique de fissuration, c’est à dire à la résistance du matériau, cette fissure circulaire augmente jusqu’à atteindre une taille critique à partir de laquelle elle se propage alors soudainement en un cône de Hertz à travers le matériau (ce qui donne le bulbe ou conchoïde de percussion). Les matériaux fragiles étant généralement moins résistants à la traction qu’à la compression, la rupture s’effectue donc d’abord par arrachement (même si le champ de contrainte dominant est compressif), quand la contrainte élastique dépasse la limite élastique du matériau à la frontière de la zone de contact (Speth, 1972 ; Cotterell et Kamminga, 1987 ; Bertouille, 1989).

Ce type de rupture est appelé fracture conchoïdale en raison de l’aspect morphologique qu’elle produit, en positif sur les produits de débitage et en négatif sur la surface du nucléus, et qui offre une ressemblance avec un coquillage bivalve (bulbe ou conchoïde de percussion prolongé par des ondulations concentriques).

L’onde produite par l’impact du percuteur contre la surface du nucléus ne s’est donc pas transmise instantanément dans toute la masse mais s’est propagée de proche en proche vers l’extrémité du matériau opposée à celle qui a reçu le choc. Cette onde de propagation qui a engendré la rupture est composée en fait de deux types d’ondes différentes :

- une onde longitudinale (de compression-traction) qui progresse dans la direction de la contrainte et dont l’intensité maximale s’étend le long de la ligne d’impact et décroît à partir d’elle en partant dans toutes les directions ;

- une onde transversale (de cisaillement) qui avance perpendiculairement à la direction de la contrainte.

La vitesse de ces deux types d’ondes sont des caractéristiques de la matière (pour une charge et une longueur de fissure déterminées) et leur mesure permet d’obtenir deux constantes physiques, le module de Young, ou module d’élasticité longitudinal (noté

5 K

I=facteur d’intensité de contrainte (K) en mode d’ouverture de fissure (I). Il s’agit de l’un des trois

modes fondamentaux de rupture avec le mode II (mode de cisaillement) et le mode III (mode de déchirement). La percussion directe au percuteur dur correspond au mode I.

E), et le coefficient de Poisson, ou coefficient d’allongement transversal (noté ν), qui caractérisent les qualités élastiques d’un matériau.

1.2 – L’utilisation des outils : mécanique du contact

Lors de son utilisation, un outil6 lithique est amené à être en contact avec un autre corps et à être en mouvement relatif avec lui de manière répétée. Cette interaction mécanique entre deux surfaces de contact, ou interfaces, donne naissance à des phénomènes macroscopiques importants tels que le frottement et l’usure qui en résulte (François et

al., 1995b).

L'usure désigne précisément la dégradation des surfaces en contact sous l'effet du frottement. Ses mécanismes sont souvent de nature très complexe et sont particulièrement variés (par adhésion, par fatigue, par corrosion…). Dans le cas de l’utilisation des outils lithiques, les deux corps en contact sont a priori des matériaux de duretés différentes : il se produit donc principalement des phénomènes d’usure par abrasion. L’usure par abrasion est un phénomène de nature essentiellement mécanique qui résulte de la pénétration d’une surface par une autre. Elle produit alors un déplacement de matière qui se manifeste par des polissages, des griffures, des rayures ou des sillons accompagnés ou non d’une émission de fins débris (François et al., 1995b).

L’abrasion peut donc provoquer une perte de matière et un ensemble de transformations géométriques et physico-chimiques des surfaces soumises au frottement, c’est à dire tout un ensemble de transformations irréversibles particulièrement nuisibles au niveau du tranchant actif de l’outil ayant pour conséquences notables une perte d’efficacité et une diminution de sa durée de vie.

Le degré d’usure par abrasion dépend de plusieurs facteurs comme par exemple la charge appliquée, la distance parcourue, l’état géométrique des surfaces en contact (rugosité) et leur mouvement relatif (cinématique).

La principale caractéristique mécanique des matériaux en jeu dans l’usure est la dureté, qui correspond à la résistance à la pénétration locale du matériau considéré. L’usure d’un matériau est en effet à peu près inversement proportionnelle à sa dureté, mais le rapport de proportionnalité varie avec sa structure. Elle va varier en fonction notamment de la forme et de la résistance des grains ; la taille importante de ces derniers aggrave d’ailleurs l’abrasion (au-dessus d’une taille critique voisine de 0,1 mm) (Lamy et Remond, 1988). Lorsque la charge est importante, l’effort de frottement peut également aboutir à des fractures dans les zones de fort cisaillement et à une décohésion des grains de la roche.

L’étude des phénomènes d’usure est particulièrement complexe et leur compréhension n’est d’ailleurs pas encore complètement acquise ; elle relève du domaine de la Tribologie. Cependant, le paramètre physique de dureté, en tant que résistance à la pénétration, nous permet tout de même d’apprécier, dans une certaine mesure, la résistance d’une roche à l’abrasion.

Quelle que soit la roche taillée, la rupture fragile obéit toujours aux mêmes lois mécaniques. Par contre, les conditions d’initiation et de propagation de cette rupture vont varier d’une roche à l’autre selon sa ténacité et ses qualités élastiques. Ce sont notamment l’énergie nécessaire pour provoquer la rupture, mais également la morphologie et les dimensions des éclats produits (c’est à dire la propagation de la rupture), qui vont dépendre de ces paramètres physiques et mécaniques propres à chaque roche taillée. Le caractère de dureté, en tant que résistance à l’abrasion, joue quant à lui un rôle essentiel dans le cadre de l’utilisation des outils lithiques. Pour qu’une roche offre une bonne aptitude tant à la taille qu’à l’utilisation, il s’agit donc de trouver un bon compromis entre la fragilité à la taille (faible ténacité) et la résistance à l’usure (grande dureté).

Chapitre 2 – Méthodes d’étude des matières