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Partie I – Cadre de l’étude

Chapitre 3 Cadre morphologique et paléogéographique

Au cours du Quaternaire, la structure géologique du Massif armoricain a été modelée sous l’influence du climat, des variations eustatiques et des évènements tectoniques pour donner les paysages que nous connaissons actuellement. Un aspect important de l’évolution du Massif armoricain au Quaternaire, du point de vue de ses conséquences sur les activités paléolithiques, est l’impact de la variation du niveau de la mer au gré des oscillations climatiques sur la géographie régionale et par-là même sur l’accessibilité du silex que l’on ne trouve que sur les fonds de la Manche.

3.1 – Géomorphologie du Massif armoricain

3.1.1 – Aspects généraux

Le relief actuel du Massif armoricain oppose une région centrale profondément incisée et découpée, à signature continentale, à une région périphérique extrêmement plane, à signature marine (Bonnet, 1998).

Ainsi, la partie centrale du Massif armoricain est caractérisée par trois grands domaines d’altitudes supérieures à 200 mètres, le Plateau Ouest Armoricain (380 m maximum) sur lequel sont implantés les sites préhistoriques étudiés ici, le Bocage Normand (420 m maximum) et la Gâtine (295 m maximum), qui sont séparés par des zones de plus basses altitudes comme la Dépression de Rennes (Fig. 11). Ce domaine de reliefs marqués est auréolé d’une vaste surface à pente régulière jusqu’à l’isobathe – 130/140 m. Il s’agit d’une surface d’aplanissement érosive qui tronque aussi bien le socle cadomo-hercynien que les formations mésozoïques.

Cependant, la limite entre ces deux types de reliefs, le domaine continental incisé et la surface d’aplanissement marine, ne correspond pas à la ligne de côte actuelle. Ces deux domaines sont séparés, dans la partie occidentale de la Bretagne, par deux escarpements importants : l’Escarpement Sud Armoricain et l’Escarpement Nord Armoricain (Fig. 11). Dans la partie orientale de la Bretagne, la transition se fait de manière progressive (Bonnet, 1998).

3.1.2 – Le domaine de la Bretagne septentrionale

La zone d’implantation des sites étudiés dans le cadre de ce travail de recherche correspond au Plateau Ouest Armoricain, au niveau sa côte nord actuelle. Ce plateau est séparé de la Dépression de Rennes à l’est par la zone de failles de Quessoy/Nort-sur- Erdre qui traverse de part en part le Massif armoricain selon une orientation nord- ouest/sud-est (de Saint-Brieuc à Nantes) (Fig. 11).

Des études géomorphologiques récentes ont mis en évidence, à partir de l’analyse de l’incision fluviatile, une surrection différentielle au Pléistocène du Plateau Ouest Armoricain par rapport à la Dépression de Rennes à la faveur du jeu de la zone de failles de Quessoy/Nort-sur-Erdre (Bonnet, 1998 ; Bonnet et al., 2000 ; Lague et al., 2000). Le Plateau Ouest Armoricain est actuellement de 30 à 90 mètres plus haut que la

Dépression de Rennes dont les altitudes moyennes ont peu varié pendant le Quaternaire. Cette surrection n’est pas homogène ; elle croit d’est en ouest, de sorte que le Léon, partie la plus à l’ouest de la Bretagne, est surélevé par rapport au Trégor. La vitesse de surrection relative estimée du Plateau Ouest Armoricain varie de 0,06 à 0,04 mm.an-1 (Bonnet et al., 1998).

Fig. 11 – Morphologie du Massif armoricain (modifié d’après Bonnet, 1998 et Menier, 2004). Cette surrection modérée s’accompagne d’un basculement vers le sud-est du Plateau Ouest Armoricain à la faveur de mouvements verticaux le long de l’Escarpement Nord Armoricain selon une vitesse d’environ 0.14°/Ma (soit environ 0.1° de basculement depuis 0.7 Ma) (Bonnet, 1998). Ce basculement induit une asymétrie latitudinale dans le relief de l’ensemble du Massif armoricain avec une pente régionale vers le sud, accompagnée d’une migration vers le nord de la ligne de partage des eaux qui suit désormais le Cisaillement Nord Armoricain (Guillocheau et al., 2003). Si ce basculement est bien également à l’origine du changement des directions d’écoulement

collaborateurs (2001), alors il serait postérieur à 300 000 ans et antérieur à 8 110 ans ± 200 ans (Proust et al., 2001).

Cette déformation pléistocène du Massif armoricain est due à une compression nord- ouest/sud-est qui est probablement la conséquence de la convergence de l’Afrique avec l’Eurasie initiée dès le Miocène supérieur (flambage lithosphérique « alpin ») (Bonnet, 1998 ; Bonnet et al., 2000 ; Guillocheau et al., 2003).

La superposition de ces mouvements tectoniques, surrection et basculement, fait de la partie du Plateau Ouest Armoricain située au nord du Cisaillement Nord Armoricain (CNA), les plateaux du Léon et du Trégor où sont implantés les sites étudiés, la zone de surrection maximale du Massif armoricain.

D’une altitude actuelle d’environ 90-100 m s’abaissant doucement vers la Manche, la topographie des plateaux du Léon et du Trégor se caractérise par de nombreux bassins versants, aux profils très incisés et de petites tailles (Bonnet, 1998). Le début de l’incision hydrographique du Massif armoricain est situé au début du Pléistocène moyen, au Cromérien (0,7-0,5 Ma) d’après l’âge des plus hautes terrasses incisées de la Vilaine (Monnier et al., 1981 ; Jumel et Monnier, 1990 ; Bonnet, 1998 ; Bonnet et al., 2000). Ce réseau de drainage, strictement en érosion, se surimpose en fait à un réseau antérieur d’âge Mio-Pliocène, actuellement comblé et fossilisé (Bonnet, 1998).

Envahies par la mer de nos jours, les embouchures des vallées fluviales, comme le Trieux et le Jaudy dans le Trégor oriental ou bien le Jarlot et la Penzé dans le Léon oriental, forment des paysages caractéristiques de rias qui échancrent une côte essentiellement rocheuse et particulièrement découpée (Auvray et al., 1976 ; Chantraine

et al., 1986).

Cette topographie terrestre incisée se poursuit en mer jusqu’à l’isobathe – 60/65 m, laissant émerger une multitude d’îles et d’îlots (Lefort, 1970 ; Chauris et al., 1998). Au- delà de cette plate-forme à écueils, s’étend une vaste surface d’aplanissement marine en pente régulière de direction sud-est/nord-ouest jusqu’à l’isobathe – 130/140 m (Boillot, 1961 ; Lefort, 1970) ; la seule exception à la planitude de ce plateau continental est la présence d’un cordon de fosses creusées dans les marnes liasiques du Jurassique et les craies du Crétacé qui s’étire depuis le Cap de la Hague jusqu’à l’extrémité de la Bretagne et qu’emprunte un large réseau paléofluviatile né de la confluence de la Seine, de la Somme et de la Solent dans le fond de la Manche orientale en période de régression marine (Boillot, 1964 ; Lericolais, 1997). Le Trieux, non loin des sites du Goaréva, de Karreg-ar-Yellan et de La Trinité, constituait probablement un sous- affluent de ce paléo-réseau de drainage (cf. fig. IV.7 dans Menier, 2004 d’après Quesney, 1983).

Le passage entre le Plateau Ouest Armoricain et la surface d’aplanissement de la Manche au large du Trégor et du Léon se fait brutalement à la faveur de l’Escarpement Nord Armoricain, actuellement sous la mer à seulement quelques kilomètres de la côte. Le pied de cet escarpement correspond à l’isobathe – 100 m au large du Léon (Fig. 11). Sa hauteur est maximale à cet endroit et elle s’amenuise progressivement vers le nord- est jusqu’à n’être plus perceptible dans la bathymétrie à l’est de la zone de failles de Quessoy/Nort-sur-Erdre. C’est pourquoi, au niveau de la Dépression de Rennes, le passage entre la prolongation du socle armoricain émergé et la surface d’aplanissement de la Manche se fait de manière progressive, suivant une légère pente vers le nord (Bonnet, 1998).

3.2 – L’évolution du trait de côte au Quaternaire et ses

conséquences sur les possibilités d’approvisionnement en silex

Comme nous venons de le voir, le trait de côte actuel n’a aucune signification morphogénétique. Il ne correspond pas aux véritables limites géologiques du Massif armoricain dont les marges occidentales sont actuellement immergées sous la Manche et sous l’Atlantique. Cette limite entre le domaine continental et le domaine sous-marin du Massif armoricain a fluctué dans le temps en fonction de divers facteurs, notamment en fonction des variations climatiques et de la variation du volume des océans consécutive. Au cours du Quaternaire, le Massif armoricain est en zone périglaciaire et est donc particulièrement sensible aux oscillations climatiques.

Aussi, les sites archéologiques actuellement en position littorale, comme ceux étudiés ici, ne l’étaient pas forcément à l’époque de leur occupation. Or, il est important de resituer les sites dans leur environnement d’origine en tentant d’estimer la position du rivage marin à l’époque de leur occupation pour une meilleure compréhension des comportements humains préhistoriques. En effet, la localisation du trait de côte a une influence importante sur plusieurs points (Cliquet et Monnier, 1993) :

• les territoires exploitables, surtout en terme de cynégétique : lors des régressions, de vastes plaines propices à la présence de grands herbivores sont dégagées tandis qu’en période de haut niveau marin, les ressources marines peuvent être exploitées ; • les types d’habitats potentiels : abris en pied de falaise marine ou d’anciens écueils,

grottes d’abrasion marine ;

• la disponibilité en matières premières lithiques, notamment siliceuses, et leur mode d’approvisionnement : en position primaire sur les affleurements ou à proximité, en position secondaire dans les cordons littoraux.

Ce dernier point joue bien évidemment le rôle le plus important dans le cadre de notre problématique.

3.2.1 – Causes de la variation du niveau marin

A l’échelle du Quaternaire, le principal facteur de la variation du niveau marin est la variation du volume des eaux océaniques liée à celle du volume des glaciers continentaux (inlandsis), elle-même contrôlée par l’alternance des cycles Glaciaire- Interglaciaire et de leurs oscillations climatiques (glacioeustatisme) (Keraudren, 2002). Les périodes froides s’accompagnent d’une extension des surfaces continentales englacées (inlandsis et glaciers de montagne). Cette rétention d’eau sous la forme de glace entraîne un abaissement du niveau marin (régression). Au cours des périodes de réchauffement climatique, ces surfaces englacées sont en retrait et l’eau ainsi libérée contribue à l’augmentation du volume des océans (transgression). De plus, ces fluctuations thermiques entraînent la dilation (période chaude) ou la contraction (période froide) de l’eau (thermoeustatisme), ce qui contribue également, de l’ordre de dizaines de centimètres (Wigley et Raper, 1987), à la variation eustatique (Pomerol et Renard, 1997). L’origine première de la variation du niveau marin est donc d’ordre climatique.

isostatique qui fait que l’accumulation de la glace sur les continents entraîne leur enfoncement : en réponse à cette surcharge et afin de rétablir l’équilibre isostatique, l’asthénosphère (structure visqueuse comparable à du magma qui constitue une partie du manteau) migre en profondeur vers les zones périglaciaires qui vont alors être en surrection. Inversement, lors de la fonte des glaces continentales, ce magma reflue sous les régions déglacées qui donc se soulèvent, tandis que les zones périglaciaires s’affaissent. Ce phénomène est cependant en partie compensé par l’hydro-isostasie : les fonds marins et lacustres s’enfoncent à leur tour sous le poids de l’eau issue de la fusion des glaces, tandis qu’ils se retrouvent en surrection lorsque l’eau est retenue dans les glaces (Pomerol et Renard, 1997).

Lors des périodes glaciaires, le Massif armoricain se trouvait en bordure des inlandsis nordiques dont l’extension maximale atteignit le sud de Londres. Il pourrait donc avoir été atteint par les bourrelets glaciaires tout comme l’ensemble des côtes françaises de la

Manche (Wingfield, 1995 ; Lambeck, 1997). Cependant, les modélisations

géophysiques et les observations de terrains tendent à montrer que le rebond glacio- isostatique et l’affaissement hydro-isostatique de la plate-forme continentale suite à la fonte des glaces du dernier maximum glaciaire auraient un impact minime, bien que positif, sur les côtes armoricaines dans leur ensemble (Devoy, 1995 ; Wingfield, 1995 ; Lambeck, 1997). Par contre, ils pourraient être responsables de mouvements différentiels pluri-métriques d’une région à l’autre par le rejeu de failles verticales (Baize, 1998). C’est ainsi que certains attribuent à des mouvements verticaux d’origine isostatique, le basculement latitudinal du Massif armoricain dont témoigne notamment l’enfoncement plus prononcé du monument néolithique d’Er Lannic dans le Golfe du Morbihan par rapport aux monuments mégalithiques immergés du Léon et du Trégor pourtant 500 ans plus jeunes (Giot, 1990). Pourtant, les modalités et l’échelle de temps selon lesquelles s’opère le soulèvement du Massif armoricain sont clairement incompatibles avec une origine glacio-isostatique (Bonnet et al., 2000) et une origine tectonique liée à la compression lithosphérique de l’Europe doit plutôt être retenue (Bonnet, 1998 ; cf. §I-3.1.2).

L’association de ces phénomènes régionaux, auxquels se surimposent, à une échelle plus locale, l’effet de la sédimentation et de l’érosion, peut également induire des mouvements eustatiques, modulant ainsi les effets des fluctuations glacioeustatiques (Giot, 1990). Il est ainsi particulièrement difficile, compte tenu de tous ces paramètres influant sur les mouvements eustatiques, de resituer avec précision la position du rivage marin à une époque donnée pour une région donnée.

3.2.2 – Estimation du niveau marin à l’époque de l’occupation des sites

étudiés

Plusieurs types de données nous permettent tout de même d’avancer une estimation de la position des rivages à l’époque de l’occupation des sites étudiés malgré le nombre et la diversité de paramètres pouvant engendrer localement des variations glacio- eustatiques.

Nous disposons notamment de courbes eustatiques tirées des courbes isotopiques de l’oxygène qui retracent les variations du niveau marin au cours du temps à l’échelle mondiale. Les courbes isotopiques sont établies à partir des variations du rapport des isotopes stables de l’oxygène (18O/16O ; δ18O) mesuré sur les tests carbonatés des

foraminifères conservés dans les sédiments océaniques de profondeur ou bien sur les bulles d’air contenues dans les glaces polaires. Les variations du δ18O des tests des foraminifères reflètent les variations de températures de l’eau de mer et témoignent donc des fluctuations climatiques au cours du temps (Emiliani, 1955). Ainsi, quand la température des eaux océaniques augmente, le δ18O des tests des foraminifères augmente tandis que celui de la glace des calottes polaires diminue et inversement. Il a été reconnu que ces variations se font à l’échelle mondiale et sont indépendantes de la localisation géographique des carottes analysées (Shackleton et Opdyke, 1973 ; Pisias et

al., 1984). Les stratigraphies isotopiques tirées de l’analyse des carottes sédimentaires

marines sont à la base de la constitution de la chronologie climatique dite « isotopique » divisée en stades (épisodes chauds) et interstades (épisodes froids) (Emiliani, 1955, 1966 ; Shackleton et Opdyke, 1973 ; Shackleton, 1977 ; Pisias et al., 1984 ; Martinson

et al., 1987).

Ces enregistrements isotopiques peuvent être considérés comme une estimation approximative du volume d’eau stocké sous la forme de glace sur les continents et par- là même celui des eaux océaniques (Shackleton et Opdyke, 1973 ; Shackleton, 1977). Ces auteurs suggèrent ainsi qu’un changement du δ18O de 0,1 ‰ correspond à un changement du niveau de la mer de 10 mètres. Cependant, l’interprétation de ces courbes de variations isotopiques en terme de variation du niveau marin est en fait plus complexe et elle nécessite notamment de s’affranchir de la composante isotopique liée à la température des eaux profondes et à l’hydrologie locale pour ne garder que celle attribuable au seul volume des glaces (Shackleton, 1987, 2000 ; Jouzel et al., 2002 ; Lea

et al., 2002 ; Waelbroeck et al., 2002). Nous obtenons ainsi des courbes glacio-

eustatiques assimilables à des courbes de variations de niveaux marins (courbes eustatiques) si l’on admet que le volume des océans et la composition des glaces sont restés constants au cours du temps et qu’il existe une relation linéaire entre la masse des glaces continentales et celles des eaux océaniques.

L’observation de plusieurs de ces courbes de reconstruction du niveau marin établies à partir de différentes techniques basées sur des enregistrements haute-résolution des isotopes stables de l’oxygène (Fig. 12) nous permet d’estimer le niveau moyen des mers à l’époque de l’occupation des sites étudiés, c’est à dire vers la fin du sous-stade isotopique 5a et le début du stade 4. Lors de l’optimum climatique du stade 5a vers 80 000 ans, le niveau de la mer culmine entre + 10 et – 20 mètres selon les reconstructions établies ; la glaciation weichsélienne s’amorçant, il descend ensuite entre – 48 et – 70 mètres lors de la transition entre le sous-stade 5a et le stade 4 pour atteindre sa régression maximale lors du stade 4 vers une altitude comprise entre – 70 et – 85 mètres. Les sites étudiés prennent donc place dans une dynamique marine régressive relativement rapide.

L’ensemble des sites étudiés se trouve actuellement en position d’estran, c’est à dire sous le niveau actuel des plus hautes mers. Ceci implique nécessairement un niveau marin inférieur à l’époque de leur occupation. Dans le cas du site du Goaréva situé sur l’île de Bréhat, une régression d’au moins 10 mètres par rapport au niveau actuel est nécessaire pour pouvoir accéder à l’île à pied depuis le continent. L’absence de vestiges organiques sur les sites, du fait des conditions de conservation particulières des sols armoricains, ne permet pas d’observer une exploitation du milieu marin et/ou littoral et d’en déduire une éventuelle proximité du rivage.

Fig. 12 – Courbes de variation du niveau marin pour le dernier cycle climatique. Calage chronologique des stades isotopiques marins à partir de la courbe isotopique de référence SPECMAP (Imbrie et al., 1984 ; Martinson et al., 1987).

Par ailleurs, il faut noter l’absence d’indice d’occupation humaine attribuée au Paléolithique moyen, et ce malgré des prospections intensives, sur les îles d’Ouessant et de Guernesey séparées respectivement du continent par des fonds supérieurs à – 50 et – 40 mètres, alors que les îles dont l’accès à pied nécessite une régression moins importante, de – 30 mètres au maximum, comme Jersey, Batz, Groix ou bien encore Belle-île ont été occupées (Monnier, 1988). Ceci indiquerait que la mer ne serait jamais descendue en dessous de – 40 mètres durant le Paléolithique moyen, ou du moins, si une telle régression a bien eu lieu, le climat était alors si froid que les populations ont préféré déserter la région pour s’implanter sur des territoires au climat plus favorable. La position du site moustérien de la Mondrée dans le Cotentin constitue également un indice important pour connaître la position du rivage à l’époque de l’occupation des sites étudiés. Aujourd’hui complètement submergé, le site se trouve à – 20 mètres N.G.F. Les analyses palynologiques ont permis d’attribuer cette occupation à un interstade éémien (5c ou 5a) avec des arguments allant plutôt en faveur d’une attribution au sous-stade 5a (Coutard, 2003).

Ces informations à l’échelle régionale nous permettent d’avancer l’hypothèse d’une ligne de rivage située entre les isobathes – 20 mètres et – 40 mètres lors de l’occupation des sites étudiés.

D’autres types d’informations viennent compléter ces données comme l’étude des terrasses marines et des lignes de rivages (plates-formes d’abrasion ou formes

d’accumulation telles que des cordons de galets) formées lors des stationnements prolongés de la mer. Dans le Massif armoricain, les lignes de rivages des périodes plus froides que l’actuel sont submergées et seules les terrasses liées à des hauts niveaux marins de rangs interglaciaires sont observables au-dessus de la ligne de côte actuelle (exemple du Val de Saire dans le Cotentin [Coutard, 2003]). Toutefois, des études de morphologie sous-marine ont permis de reconnaître des paléorivages submergés.

Sur les fonds de la Manche au large du Trégor, J.-P. Lefort (1970) a ainsi reconnu trois plates-formes d’abrasion marine entaillées dans le socle granitique et volcanique et séparées par des abrupts particulièrement nets entre – 14 et – 25 m, – 28 et – 42 m, – 46 et – 50 m. Ces plates-formes parallèles à la bathymétrie « ne peuvent s’expliquer que par une érosion littorale lors d’un stationnement prolongé de la mer à des niveaux plus bas que l’actuel » (Lefort, 1970) et sont donc interprétées comme des estrans submergés. L’amplitude altimétrique des ces platiers fossiles s’explique par le fort marnage qui caractérise actuellement la Manche et qui paraît avoir été aussi important par le passé. Ces paléo-estrans sont datés du Quaternaire par comparaison avec les niveaux d’accumulation de galets découverts par Hommeril dans le Golfe normano- breton et dont les altitudes correspondent (Hommeril, 1967 cité dans Lefort, 1970) mais nous ne disposons malheureusement pas d’attributions chronologiques plus précises. Des comparaisons sont alors possibles avec les lignes de rivages fossiles de certaines zones intertropicales (Nouvelle-Guinée, La Barbade, Haïti, Les Bahamas…) qui sont constituées par des récifs coralliens et permettent ainsi des datations radiométriques fiables (Uranium/Thorium et ESR) (Keraudren, 2002). Dans ces zones intertropicales, les paléorivages sont tous observables au-dessus du niveau actuel de la mer du fait d’un fort taux de soulèvement. Le taux de soulèvement de ces régions est supposé constant et est calculé à partir de l’altitude d’un paléorivage interglaciaire dont l’âge et le niveau marin initial par rapport au niveau actuel sont connus ; ce paléorivage de référence est généralement celui attribué au dernier interglaciaire stricto sensu, le stade isotopique 5e