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Dans le cadre des entretiens, les deux gérantes ont estimé que la connaissance des futurs partenaires est essentielle au départ du groupement d’employeurs. Encore une fois, des différences importantes existent entre les deux groupements analysés.

Esprit coopératif – Impulsion de la création

Le cas de Paysans & Artisans est particulier. En effet, la coopération et les liens très étroits entre les producteurs et la coopérative sont intrinsèques au projet Paysans & Artisans. Il faut souligner également que la nature du projet est directement issue et très semblable à la petite agriculture paysanne française qui a vu naître le groupement d’employeurs agricole en France. Les acteurs de la coopérative sont d’ailleurs bien au courant de l’existence de ce dispositif par leurs connexions avec le monde agricole paysan français.

Encore une fois, le rôle des gérants a été déterminant. Ces derniers ont une vision d’ensemble du projet et c’est d’eux, plus que des producteurs eux-mêmes, qu’est venue l’impulsion de création du groupement d’employeurs. Cependant, ils s’appuyaient sur le réseau de la coopérative et sur les relations très denses entre producteurs qu’elle met en place.168 Dans ce cadre, il a donc été relativement facile de créer un nouveau pilier dans la coopération. Pour rappel, le groupement d’employeurs n’est arrivé qu’après la mise en place de la coopérative (respectivement 2013 et 2016).

Dans le cadre de Ferm’Emploi, il ressort de l’entretien que la gérante « baigne dans l’esprit collaboratif depuis des années. » Tout d’abord, son père a lui-même « perdu beaucoup de temps et d’énergie dans le coopératif avec des fortunes diverses »169. Ensuite, la gérante, dans un emploi antérieur, a travaillé au sein d’une structure dont l’une des missions est précisément le développement de synergies entre agriculteurs. Enfin, elle a également cocréé une coopérative chargée d’actions à destination des acteurs du développement rural. C’est aussi dans ce contexte

167 Ministère français du Travail et de l’Emploi, « Etudes prospective sur le thème les groupements d’employeurs, acteurs de la sécurisation des parcours professionnels ? », Op. cit., pp. 33 - 35

168 Les producteurs sont tous coopérateurs de la coopérative et se voient très régulièrement dans ce cadre.

55 pour rappel qu’elle a pris connaissance du groupement d’employeurs que le RWDR170

promouvait auprès de son public.

La gérante de Ferm’Emploi est donc fermement convaincue de la nécessité de coopérer dans le cadre agricole. Il y a là une ouverture à l’esprit coopératif qui n’est pas présente dans l’esprit de tous les agriculteurs wallons selon elle. Il faut noter que les membres du groupement se connaissaient mais n’avaient pas vraiment d’activités en commun (pas de CUMA ni collaborations ponctuelles).

Logique entrepreneuriale – le partage des travailleurs

Les trois membres du groupement d’employeurs Ferm’Emploi n’ont pas un projet commun comme il existe chez P&A. Leurs exploitations agricoles ont des business models différents. Chaque membre s’inscrit dans une logique entrepreneuriale propre qui a ses débouchés, ses réseaux de vente et son mode de production particulier.

Dans ce contexte, la gérante estime qu’il n’aurait pas été possible de partager des travailleurs sans verrouiller très solidement les conditions d’emploi de ceux-ci (volume horaire, tâches prédéfinies) dès le départ. Chaque producteur peut très vite être tenté, lors d’une période de haute activité, d’utiliser de manière plus importante les travailleurs pour des tâches annexes.171

Elle-même est donc celle qui anime le groupe et fait respecter les engagements pris au départ. Sans cette discipline, le travailleur peut vite se retrouver accaparé chez un producteur ou un autre et, au final, cumuler un grand nombre d’heures de travail. Cette notion d’horaires fixes a été déjà observée dans des groupements d’employeurs français. En effet, Elyakime note « que les tâches dévolues aux salariés des groupements d’employeurs dans les exploitations agricoles [sont] plutôt spécifiques : elles peuvent être tournées vers des activités à temps partiel en permanence, spécifiques de l’élevage bovin (ou même granivore), des grandes cultures ou des activités moins spécialisées comme celles des grandes cultures avec élevage herbivore.»172

Il ressort également de l’entretien l’une des caractéristiques notées par Naedenoen (voir première partie et seconde partie : opportunités), les producteurs profitent de l’espace créé par le groupement pour développer leur relation et évoquer d’autres problèmes plus spécifiques à leurs exploitations.

170 Réseau wallon de développement rural

171 Petit encart de l’auteur : ce genre de demande à volume horaire variable peut commencer, par exemple en période de fenaison, par la phrase suivante : « Dis, tu viendrais bien me remplacer une ou deux heures au champ pour que je puisse aller manger (ainsi que faire la traite et peut-être soigner le bétail) ».

56 Chez Paysans & Artisans, le nombre de travailleurs et le fait que les gérants soient finalement les personnes qui organisent l’emploi du temps peut permettre d’appréhender le volume de travail de manière plus souple. Un producteur, faisant face à une augmentation substantielle de son travail, peut être renforcé par d’autres travailleurs du GE ou par des bénévoles. La taille permet également des ajustements plus libres.

Notion de réseau - Enseignements

Dans les deux cas, le groupement d’employeurs est né dans un contexte de coopération présent, voire très développé. Pour Paysans & Artisans, nous avons vu que le coopératisme était présent et très dense lors de la création du groupement.

Chez Ferm’Emploi, il s’est construit (et se construit toujours) autour d’une personne particulièrement imprégnée de ce concept. Notons également que sans l’ouverture d’esprit des deux autres producteurs et leur accord sur la méthode de départ, le GE n’aurait pas vu le jour. En réponse à la question de la densité du coopératisme dans l’agriculture, la gérante semble totalement en accord avec les constats posés dans la première partie. Elle-même estime que peu d’agriculteurs wallons partagent la sensibilité coopérative. Cependant, elle estime que les mentalités peuvent aussi évoluer en même temps que le renouvellement de la profession. Elle a pointé à son niveau l’apparition et la multiplication de certaines initiatives qui avaient disparues ou n’existaient pas il y a quelques années, comme des groupements d’achats pour des ressources matérielles agricoles.

Rôle des organisations patronales

Dans le cas de Ferm’Emploi, la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA), qui soutient le développement du groupement d’employeurs, a fourni trois personnes de support pour la création du groupement. Dans le cadre de l’entretien, il semble que cette collaboration n’ait pas été très fructueuse.

D’une manière générale, la FWA soutient l’emploi dans le secteur agricole via de l’information vers ses membres ou la mise en place du service de remplacement (SRA).173 Cependant, que ce soit dans l’approche du renforcement du coopératisme ou du développement de l’emploi dans le secteur, l’organisation patronale semble laisser à ses membres le soin de prendre l’initiative pour la concrétisation de leur projet. Que ce dernier soit coopératif ou marchand, ils peuvent

173 Fédération Wallonne de l’Agriculture, « Dossier emploi en agriculture », Site de la FWA, Namur

57 fournir une aide ponctuelle à la demande des acteurs du GE mais ne s’impliquent pas.174 L’organisation semble concevoir son rôle comme étant le relais des préoccupations du secteur auprès des autorités politiques pour que ces dernières mettent en place des mesures appropriées. Ainsi, dans le dossier relatif aux CUMA, la FWA plaide auprès des autorités publiques pour qu’elles « encouragent le développement de ce genre de structures en privilégiant l’encadrement et en renforçant les soutiens aux investissements. »175

Dans le cadre de P&A, l’appui du CRGEW a été noté mais il n’y a pas eu, à notre connaissance, d’autres organisations professionnelles qui soit intervenuent.

La littérature française met pourtant en exergue le rôle d’impulsion des structures de ce type. En effet, il est relevé que « les CRGE, les Chambres de commerce, les DIRECCTE, les experts, sont très souvent des relais d’information essentiels pour « donner l’idée »du GE en réponse à une problématique. »176