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Nous reprenons d’abord certains résultats de recherches sur la notion de nombre décimal autour duquel s’organisent des praxéologies d’approximation décimale dans l’EMS.

Nous présentons brièvement ensuite les principaux résultats de travaux de recherche en didactique des mathématiques sur la notion de nombre réel, en particulier via les écritures décimales illimitées présentes dans l’EMS en France durant la période des Mathématiques Modernes.

II.1. Nombre décimal

a. Epistémologie du statut numérique de l’objet nombre décimal

Pour la conception de situations d’enseignement des nombres décimaux et rationnels dans la scolarité obligatoire française, Brousseau (1987) effectue une analyse épistémologique de l’objet nombre décimal :

Pour organiser une genèse expérimentale qui donne un sens convenable à la notion de décimal, il faut faire une étude épistémologique afin de mettre en évidence les formes sous lesquelles le décimal s’est manifesté et leur statut cognitif. (Brousseau 1987, p. 450)

Brousseau (ibidem) présente quelques conclusions de son analyse épistémologique qui mettent en lumière différentes conceptions historiques des décimaux, selon lesquelles : - Le « décimal » porte un statut paramathématique (Chevallard 1981) à l’époque de l’antiquité (Egyptiens -2500, Babyloniens -1900 ans, Chinois -13e siècle) :

[…] cette structure est mobilisée implicitement dans des usages et des pratiques, ses propriétés sont utilisées pour résoudre certains problèmes, mais elle n’est pas reconnue, ni comme objet d’étude, ni même comme outil. (Ibid., p. 451)

- Le « décimal » prend un statut protomathématique grâce à l’invention de Al Uqlidisi vers 952 :

Il n’est tout d’abord qu’un outil consciemment utilisé, reconnu, désigné, mais que son inventeur Al Uqlidisi, vers 952, ne traite pas comme un objet d’étude (Abdeljaouad, 1978). (Op. cité, p. 451)

- Le « décimal » accède au statut de notion mathématique grâce à Stevin (1585) :

Les décimaux apparaissent comme une production achevée de cette théorie ; ils deviennent alors un objet de connaissance susceptible d’être enseigné et utilisé dans les applications pratiques, les calculs, la constitution de tables. (Ibid., p. 452)

Le statut de notion mathématique permet à Stevin d’utiliser le terme « nombre (réel) » pour toute sorte de quantités :

Pour Stevin, « les quantités irrationnelles, irrégulières, inexplicables, sourdes et absurdes » sont des nombres (réels) parce que toutes sont approchables par les nombres décimaux […] (Ibid., p. 452)

Dans cette conclusion de Brousseau, nous constatons aussi le rôle important de la notion d’approximation. La notion de convergence d’une suite numérique permet d’assurer une approximation décimale d’aussi près que l’on le veut des quantités rationnelles ou irrationnelles : cette notion n’est pas encore présente chez Stevin, puisqu’elle n’émergera qu’à la fin du 19° siècle avec Cauchy. C’est pourtant elle qui permet d’envisager l’unification des nombres dans l’ensemble des réels.

b. Caractéristiques de l’ensemble D des nombres décimaux

En étudiant les définitions et constructions de D soit comme extension de N soit comme restrictions de Q ou de R, Brousseau (1987) met en évidence les caractéristiques de D contre N, Q ou R. Ces caractéristiques guident les choix des situations d’enseignement des nombres décimaux et celles de constructions des nombres réels à partir des nombres décimaux.

- L’ensemble D se distingue de N par l’ordre dense7 (non discret) contre l’ordre discret.

Par exemple, « n est le successeur de 17 » a une solution dans N, mais pas dans D. (Op. cité, p. 449)

Si on veut fonder D+ contre N il faut donc une situation où l’on a besoin que chaque élément ait un inverse, et où on a besoin d’un ordre dense. (Op. cité, p. 442)8

- L’ensemble D est dense dans Q ou dans R.

D approche Q ou R parce que, pour tout réel, quelle que soit la tolérance que l’on s’accorde, il existe toujours un décimal dont la distance à ce réel soit inférieure à la tolérance choisie. (Op. cité, p. 450).

Cette caractéristique permet de construire R à partir de la structure de D plus commode dans la pratique que celle de Q :

D hérite des facilités de calcul que l’on trouve dans N, mais Q les a perdues, en particulier pour les différences, les comparaisons, le calcul sur les intervalles. (Op. cité, p. 449)

Du point de vue didactique, ces facilités calculatoires de D héritées de N fonde des praxéologies d’approximation décimale dans l’EMS.

c. Difficultés de l’enseignement des nombres décimaux dans l’EMS en France • Place des nombres décimaux

En analysant des « fragments biographiques de l’institution EMS relativement au Numérique » de la période classique (1854/1947) à la période contemporaine (1985/1995), Bronner (1997) constate que les nombres décimaux jouent toujours, en tant que savoir à enseigner, le rôle de fondations dans l’enseignement des système des nombres à partir de la Réforme des Mathématiques Modernes (1968/1978) (voir son tableau à la page 176). • Difficulté sur l’acquisition de l’ordre dense dans l’ensemble des nombres décimaux A propos de l’ordre dans les nombres décimaux, Izorche (1977) et Margolinas (1985) proposent aux élèves des classes 3e et 2e les questions suivantes :

Pouvez vous donner, s’il en existe, un nombre réel qui soit compris entre 2,746 et 2,747 ? (Izorche 1977, question 5, p. 19)

Ecris le meilleur encadrement possible avec trois chiffres après la virgule : ... < 4,1 < …

(Margolinas 1985, deuxième partie de la question 3, p. 41)

Izorche et Margolinas constatent, dans les analyses a posteriori de ces questions, une difficulté concernant :

- les problèmes d’intercalation décimale entre deux bornes décimales

7 Nous adoptons désormais le terme d’« ordre dense » de Brousseau (1987) pour désigner un ordre « non discret ».

- d’encadrement décimal par des décimaux qui obligent de quitter D39 (cas de

Izorche) ou de passer de D1 à D3 (cas de Margolinas) : seulement 46,8% des élèves

réussissent dans la question d’Izorche et seulement 27,2% des élèves parviennent à donner l’encadrement optimum dans la question de Margolinas.

Margolinas explique cette difficulté par le fait que les élèves mobilisent un ordre de N – c’est-à-dire un ordre discret – dans la comparaison de deux décimaux en les ramenant dans un même Di : absence de l’ordre dense de D.

L’ordre dans D pose de nombreux problèmes aux élèves. Rappelons que nous nous situons maintenant dans les étapes de résolution de problèmes où les écritures non décimales n’interviennent plus.

[…] on a pu constater autant en entretien individuel que dans les réponses nulles, une tendance à ne travailler que dans l’ordre de N, à un isomorphisme près. En cela nous confirmons les résultats de Izorche, en les appliquant à d’autres ensembles que Di. (Op. cité, p. 110)

Margolinas conclut aussi à une difficulté pour établir la relation « emboîtée » entre les Di,

c'est-à-dire D1 ⊂ D2 ⊂ D3 … qui est nécessaire pour les problèmes d’intercalation décimale

entre deux bornes décimales et d’encadrement décimal par des décimaux.

Le travail de Izorche nous avait montré les difficultés que rencontrent les élèves dans les questions faisant intervenir plusieurs Di. Tout semblait se passer comme si ces ensembles étaient cloisonnés, et non pas emboîtés.

Dans la question 3 et 5 de notre questionnaire, nous avons forcé les élèves à travailler dans plusieurs Di, et certaines réponses nous amènent à faire des hypothèses sur la nature de la relation entre ces ensembles, pour les élèves. (Op. cité, p. 111)

Dans son travail, Neyret (1995) modélise les types des ordres possibles dans les nombres décimaux par prolongement de l’ordre de N dans la comparaison des nombres décimaux.

9 D

i désigne l’ensemble des décimaux ayant i chiffres décimaux après la virgule. Par exemple, 2,746 appartient à D3.

Soit les deux décimaux : a= a0,a1a2…an et b = b0,b1b2…bm où an et bm non nuls, n < m

Stratégie de

comparaison Description Domaine de validité

Par l’ordre

lexicographique - Comparer a- Si a0 = b0, comparer a0 et b0 1 et b1 Si a1 = b1, comparer a2 et b2 …

Le processus arrête quand ai ≠ bi (0 ≤ i ≤ n) ou i = n +1

Juste dans tout cas

Comparer deux entiers provenant de la troncature

- Supprimer bn+1, bn+2, …,bm de b

- Comparer deux entiers aa1a2...an et bb1b2...bn

Faux dans les cas, par exemple : elle conclut 1,234 = 1,2345 Comparer deux entiers provenant de l’extension - Ajouter (m – n) fois de 0 au a

- Comparer deux entiers { ) ( 2 1 ... 0...0 n m n a a aa − et bb1b2...bm

Juste dans tout cas

Comparer deux couples des entiers - Considérer a = (a0,aa1a2...an ) et b = (b0, bb1b2...bm) - Comparer a0 et b0 - Si a0 = b0, comparer aa1a2...an et bb1b2...bm

Faux dans les cas, par exemple : elle conclut 1,1234 > 1,234 parce que 1234 > 234 Tableau 5. Ordres possibles fonctionnent dans l’ensemble D selon Neyret (1995)

Neyret propose des questions similaires aux élèves à la fin du collège et aux étudiants à l’entrée à l’IUFM (années 1990) avant de concevoir et réaliser une ingénierie didactique dans un système didactique de formation des enseignants.

A la question reprise de celle de Izorche : « Pouvez vous donner, s’il en existe, un nombre réel qui soit compris entre 2,746 et 2,747 ? », l’expérimentation de Neyret montre que près de 20% des élèves et étudiants observés échouent, bien que ce type d’exercice soit souvent présent à l’école primaire et au collège à l’époque.

Neyret propose une autre question « non classique » :

Combien y a-t-il de nombres entre 12,23 et 12,232 ? (Question 4.2, p. 145, Op. cité)

Seulement 31% des étudiants et 36% des élèves répondent par « beaucoup » ou « une infinité ».

A une question similaire à celle de Margolinas :

Encadrez le nombre 4,157 par deux nombres décimaux les plus proches comportant deux chiffres après la virgule :

…………..< 4,157 < ……...

(Deuxième partie de la question 4.1, p. 146)

40% des élèves et 34% des étudiants ne parviennent pas à donner l’encadrement optimum. • Difficulté sur la distinction entre le nombre décimal et l’écriture décimale

Digneau (1989) remarque que, pour les élèves, l’inclusion N ⊂ D ⊂ Q n’est pas évidente :

La première concerne la non-inclusion des différents ensembles de nombres ; la situation semble contradictoire : les élèves reconnaissent facilement que 1 = 1,00 donc 1 est à la fois

entier et décimal ou 1,32 = 100

132 donc D est bien inclus dans Q. Pourtant nombreux sont ceux qui, spontanément, dissocient ces ensembles. (Op. cité, p. 26)

Les travaux de Margolinas (1985), et Perrin (1992) dégagent aussi les difficultés sur la distinction entre les nombres et leurs écritures.

La nature des nombres décimaux, leur place par rapport aux autres ensembles de nombres, la différence entre nombre et écriture d’un nombre sont des questions qui sont loin d’être réglées pour les élèves-instituteurs : les fractions sont difficilement acceptées comme nombre décimal par certains alors que des écritures décimales infinies le sont. (Perrin, 1992, p. 176)

Dans son travail, Neyret (1995) propose la question suivante10 :

Parmi les écritures suivantes, entourez celles qui, pour vous, représentent un nombre décimal : 0,66 ; 3 1 ; 0,6666 ; 2 ; 9 1 ; 3 ; 25 21 ; 8 1 ; 10 1 ; 4 ; 3,14 ; 15,00 ; 5,7418 ; 7 11 ; 100 12 ; 30,06 ; 4 4 ; 0,3 ; 8 ; 75 15 ; 4 15 ; 7 , 3 3 , 1 ; 100

2 . (Question 2, p. 137, Op. cité)

Dans l’analyse a posteriori, presque aucun étudiant et aucun élève ne répondent correctement à la question : ils ne considèrent pas les entiers comme des décimaux. 33% des étudiants et 49% des élèves identifient les nombres décimaux à leur écriture avec la virgule. 58% des étudiants et 42% des élèves considèrent par contre les fractions comme des nombres décimaux, car les décimaux peuvent s’écrire sous forme fractionnaire et la division peut ramener les fractions aux écritures décimales.

• Lien entre rationnel, décimal et écriture décimale par la division euclidienne : difficulté de prise en compte du reste de la division

En posant la question :

Une division a été posée :

192 415 310 1180 28 2,16

Entourez, parmi les égalités suivantes, celles qui sont exactes : (a) 192 415= 2,16 (b) 415 = 2,16 x192 + 28 (c) 415 = 2,16 x192 + 100 28 (d) 415 = 2,16 x192 + 1000 28 (e) 415 = 2,16 x192 + 0,28 (Question 3, p. 139, Op. cité)

Neyret montre dans son analyse a posteriori que 48% des étudiants et 61% des élèves entourent (a) et ne prennent donc pas en compte la reste de la division : il y a donc une tendance d’assimilation de la fraction

192

415 au décimal 2,16 dans la division.

• Pas de changement des rapports institutionnels aux nombres décimaux après l’enseignement au lycée

L’expérimentation de Neyret (1995) lui permet de montrer des « résultats significativement semblables » entre les réponses des deux populations concernées –les élèves à la fin du collège (3e et 2e) et les étudiants à l’entrée de l’IUFM. Cela atteste que les rapports institutionnels et, donc, personnels aux nombres, en particulier aux nombres décimaux, ne sont pas significativement modifiés au lycée.

Au lycée, les ensembles des nombres vont de soi et ne sont pas objets sensibles d’enseignement. D’une manière générale, le domaine numérique est donc considéré comme constitué et par conséquent peu remanié, même si l’introduction d’objets nouveaux peut évidemment modifier par la suite les connaissances des élèves. (Op. cité, p. 149)

Autrement dit, l’enseignement au lycée par la présence d’objets nouveaux, en particulier les objets de l’analyse ne permettent pas de surmonter les difficultés de l’acquisition des caractéristiques des nombres décimaux présentes au collège.

Ainsi les difficultés et les erreurs que l’on peut repérer chez l’une ou l’autre des populations sont de même type pour les exercices que nous leur avons proposés et vont dans le sens des remarques que nous avons faites dans l'analyse des différents questionnaires :

- pas de distinction entre les nombres et leurs écritures, - difficultés à mettre en rapport les différents Di,

- peu d'interrelations entre les différents systèmes de nombres,

- en particulier, difficultés à voir quelle est la fonction des décimaux par rapport aux autres ensembles de nombres. (Op. cité, p. 149)

d. L’obstacle épistémologique de N pour D et son renforcement par des choix didactiques Brousseau (1998) conclut que la connaissance des nombres entiers constitue un obstacle épistémologique pour l’acquisition des autres nombres, particulièrement dans la décimalisation des nombres réels.

Il est compréhensible que ce que les mathématiciens appellent le plongement de N dans un sur- ensemble, fasse disparaître certaines de ces propriétés qui ne sont plus vraies pour tous les nombres, ou même qui ne sont plus vraies pour aucun.

L’élève n’est pas averti de cette rupture, car, ni la culture, et en particulier la tradition, ni l’ingénierie didactique n’ont encore produit les instruments nécessaires […]. Il commet donc des erreurs, et comme elles sont attachées à une certaine manière de comprendre les propriétés des nombres, ces conceptions fausses persistent et on peut observer les effets de la rupture pendant de nombreuses années. (Op. cité, p. 153)

- Le choix didactique sur l’enseignement des nombres réels par la problématique des changements d’unités des mesures renforce didactiquement l’obstacle épistémologique en assimilant explicitement les nombres décimaux aux nombres naturels.

Le fait d’attacher les décimaux à des mesures conduit à les faire considérer par l’enfant comme un triplet (n, p, u) : d’une part un entier n d’autre part une division par 10p, c'est-à-dire un changement d’unité u : 3,25 mètres, c’est 325 cm exprimé en mètres. La pratique de « changements d’unité » font que p et u entretiennent des rapports privilégiés (il suffit de proposer des exercices, où, à la fois, on change d’unité et on multiple par une puissance de 10 pour s’en apercevoir). Le décimal fonctionne comme un entier et n’est plus détachable d’une unité : l’objet n’est pas le décimal, mais la grandeur physique. (Op. cité, p. 131)

- On opère sur les nombres décimaux comme sur des naturels complétés de la virgule.

Cette assimilation aux naturels sera évidemment renforcée par l’étude des opérations sous forme de mécanismes, c'est-à-dire d’action que l’on effectue de mémoire, sans comprendre,

comme dans les naturels, avec seulement un petit complément pour la virgule. (Op. cité, p. 132)

- L’assimilation du décimal comme entier avec une virgule conduit à assimiler l’EDI au nombre décimal.

L’usage et la définition implicite (et parfois explicite) des décimaux les assimile à « des naturels avec une virgule ». En conséquence, l’élève ne considèrera pas les naturels comme des décimaux, alors que 0,3 3 … lui sera classé comme décimal. (Op. cité, p. 132)

e. En résumé

L’avancée cognitive sur la notion de nombre décimal chez Stevin (1585) marque une unification de toutes sortes des nombres (réels). Cette unification est décrite par Brousseau (1987) comme une approximation décimale de tous les nombres, assurée implicitement par la notion de convergence.

Dans L’EMS française contemporaine, l’objet nombre décimal joue le rôle de fondement dans l’enseignement des systèmes des nombres. Car, du point de vue mathématique, le nombre décimal suffit pour construire les autres nombres réels ; du point de vue pratique, il est plus commode que Q dans les praxéologies sur l’ordre et les opérations.

Cependant, de nombreux chercheurs ont montré les difficultés de l’enseignement des nombres décimaux dans l’EMS en France, particulièrement sur l’ordre dense de D, la distinction entre nombres décimaux et leurs écritures, les relations des nombres décimaux à eux-mêmes et aux autres nombres réels.

II.2. Nombres réels

a. Approche épistémologique des nombres réels

• Obstacles épistémologiques sur les nombres réels, en particulier les irrationnels

Bronner (1997) étudie, dans l’histoire, la genèse des rapports aux nombres réels, en particulier à l’objet racine carrée. L’objectif de l’étude épistémologique de Bronner est de mettre en évidence les conditions et les contraintes de la constitution de rapports au savoir nombre réel, en particulier les obstacles épistémologiques de l’acquisition de la notion des nombres réels.

Les rapports aux nombres réels et à la racine carrée sont étudiés, par Bronner, selon les courants historiques et les problématiques suivantes :

- Le courant numéricien et les problématiques du calcul approché ; - Le courant algébrique formel et la problématique du calcul exact ;

- La modélisation des grandeurs (l’approche euclidienne et celle de Descartes) ; - L’arithmétisation des nombres réels.

(Op. cité, p. 10)

L’étude de Bronner montre que le dépassement des obstacles liés à « la crise des incommensurables » représente une problématique centrale dans les différents courants. Les nombres accèdent au statut numérique par l’instauration de nouveaux rapports, « un système axiomatisé de nombres », dans les constructions des nombres réels de la fin du 19e siècle.

Les fondements des théories précédentes, se trouvant mal assurées et trop dépendants de la géométrie, amènent un nouveau rapport au nombre – un système axiomatisé de nombres- qui servira de base aux mathématiques modernes, et notamment au domaine de l’analyse. (Op. cité, p. 45)

Cette citation sous-entend aussi un lien historique, qu’il reste à mettre en évidence, entre la notion de nombre et certaines notions de l’analyse, en particulier la notion de limite. • Hypothèse sur les obstacles communs entre la notion de limite et celle de nombre réel Dans son étude de 1985, Margolinas part de l’hypothèse que des difficultés sur l’introduction de l’analyse au lycée attestées dans les travaux contemporains sur la notion de limite comme Berthelot (1983), Robert (1982), Cornu (1982) et Sierpinska (1985)… peuvent être rencontrées dès l’introduction des nombres réels au collège.

[…] Or de nombreux travaux sur les débuts de l’analyse nous ont montré de graves difficultés […]

Nous avons pensé que certaines erreurs constatées au cours de l’apprentissage de l’analyse réelle pourraient se révéler dès l’introduction des nombres réels. Et que la mise en relation de ces erreurs avec d’autres aptitudes dans le domaine numérique pourrait éclairer leur nature (en particulier : difficulté ou obstacles). (Op. cité, p. 3)

Cela permet à Margolinas d’interroger la nature de ces difficultés : sont-ils des obstacles épistémologiques ou simplement des difficultés ?

• Ecriture décimale et l’infini : mise en commun du rationnel et l’irrationnel

Margolinas (1985) pose la question de la signification d’une notation numérique relativement à la théorie où cette écriture prend place :

Les écritures numériques sont donc souvent les fruits de théories mathématiques. Mais n’en sont –elles pas alors également les « agents » ? Utiliser une notation numérique nous place dans une théorie plutôt qu’une autre. Le choix de l’écriture contient un choix (implicite) d’une conception mathématique des nombres. (Op. cité, p. 6)

Toujours selon Margolinas, la représentation décimale des nombres perfectionnée par Stevin (1585) réunit rationnel et irrationnel via les écritures décimales illimités.

En effet, grâce à la numération décimale, Stevin nous donnera des techniques, tant de calcul approché de racine carré, que de calcul approché de division. Une division qui ne finit pas est elle plus scandaleuse qu’une extraction de racine qui ne finit pas ? Du point de vue de la numération décimale, les fractions ne sont pas moins entachées d’infini que ne le sont les racines. La problématique qui entraîna la « crise des irrationnels » n’a donc plus d’objet. (Op. cité, p. 8).

Cette citation souligne aussi que la « crise des irrationnels » est en fait liée à une problématique de l’infini.

Dans le cas particulier de R, l’ensemble D∞∞∞∞ (présenté par Margolinas) - « Toute suite de

chiffres définie vers la droite et comportant une virgule » (Lebesgue 1975) – permet de représenter les nombres réels. Pour que chaque nombre possède une écriture décimale illimitée unique dans D∞∞∞∞, il faut identifier les écritures du type 1,9= 2,0 (un décimal a

deux écritures décimales illimitées) :

Par ailleurs, si les nombres naturels peuvent s’écrire comme des décimaux et les décimaux comme des rationnels, les rationnels ne peuvent plus s’écrire que dans D∞. Leur écriture n’y est plus unique puisque 1, 9 = 2, 0 . Mais on peut considérer, par exemple, les nombres comportant la période 9 comme « non canoniques » pour avoir une représentation unique. Leur écriture est dans D∞, on peut la rendre finie, car les développements étant périodiques, une simple notation

(comme la barre ci-dessus), ajoutée à la notation décimale permet l’écriture. (Op. cité, p. 9)

La non dénombrabilité caractérisant R par rapport à Q permet à Margolinas de souligner l’impossibilité de représenter les nombres réels (en fait, les nombres irrationnels) par des

écritures décimales « finies » contrairement au cas de la périodicité des nombres rationnels :

Nous avons donc pu écrire, avec une écriture décimale achevé, tous les nombres rationnels, et