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NOTION DE REPRESENTATION SOCIALE ET METHODES

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 22-35)

NOTION DE REPRESENTATION SOCIALE

ET METHODES D’ETUDES

Etudier les représentations d’un groupe social nécessite de définir le concept de représentation, et notamment de représentation sociale, et de le positionner par rapport à des notions proches telles que fantasmes, croyances ou préjugés. Une fois délimités les contours des différents concepts, les méthodes d’études utilisées en anthropologie médicale seront décrites, afin de situer la démarche de cette étude dans un contexte plus général.

II-1. Représentation

La représentation désigne l’interprétation d’un phénomène ou le modèle personnel d’organisation des connaissances par rapport à un problème particulier. Les représentations sont donc une forme de connaissance pratique, qui constitue notre système de références. Elles dérivent de nos savoirs et apprentissages antérieurs et se construisent par influences multiples - milieu culturel, social, familial, scolaire, professionnel, médias, perceptions

évoluent dans le temps, en fonction des générations, voire au sein d’une même génération et diffèrent selon les lieux.12, 13

II-2. Représentation sociale

Directement issu des travaux d’E. Durkheim, le concept de représentation sociale a reçu son élaboration théorique de S. Moscovici en 1961. Selon D. Jodelet14 (1993), il désigne l’interprétation collective d’un phénomène, « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. ». Cette forme de connaissance est parfois appelée « savoir de sens commun », par opposition au « savoir scientifique » : les représentations sociales peuvent ainsi déformer la réalité scientifique des faits. Elles sont « socialement élaborées », c’est-à-dire qu’elles sont construites en commun par relais social et se transmettent d’un individu à l’autre. « En concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social », elles aident à maîtriser notre environnement trop complexe en le simplifiant, en le découpant en catégories et permettent de rattacher l’inconnu au connu. Elles facilitent la communication entre les individus qui partagent ces représentations, mais la complexifie entre ceux qui ne la partagent pas.

Situées à l’interface entre le psychique et le social, les représentations sont des processus d’interprétation et de symbolisation du réel. Les images produites par ce processus, appelées représentations mentales, participent secondairement à la construction des représentations sociales, lesquelles influencent en retour les représentations mentales d’un sujet.

Les représentations sociales englobent des concepts, des objets physiques ou sociaux, des catégories. Qu’elles correspondent ou non à des vérités, elles sont utilisées dans les

opérations prédicatives et attributives et structurent les modes d’être. Elles émaillent les discours politiques et religieux et tous les domaines de la pensée sociale. 15

Appliqué au domaine de la santé et de la maladie, le concept désigne, selon C. Ehrlich12, « l’élaboration psychologique complexe où s’intègrent en une image signifiante, l’expérience de chacun, les valeurs, et les informations circulant dans la société » sur la santé et la maladie. Elle parle à la fois des états (c’est-à-dire de la santé ou de la maladie) et des personnes (c’est-à-dire des malades) ou de leurs comportements.

II-3. Analyse différentielle du concept de représentation sociale

15

Le concept de représentation sociale doit être différencié de plusieurs autres concepts avec lesquels il entretient des relations étroites : les représentations mentales, les fantasmes, la figurabilité, les stéréotypes et préjugés, enfin les croyances.

II-3.1. Représentations mentales

Selon P. Mannoni15, les représentations mentales sont des entités de nature cognitive reflétant, dans le système mental de l’individu, une fraction extérieure à ce système. Il s’agit de la production d’une image que le sujet élabore en utilisant ses facultés cognitives. Ce sont des images chargées émotionnellement que l’on se représente ou que l’on représente à l’autre dans la perspective d’informations intellectuelles. Par sa faculté de mentalisation, l’Homme, contrairement à l’animal, a la possibilité de se détacher du monde perceptif pour vivre dans un univers physiquement absent, mais psychologiquement présent.

II-3.2. Fantasmes

Les fantasmes sont des produits de l’imagination, du monde imaginaire et de ses contenus, dans lesquels se retranchent volontiers le névrosé et le poète. C’est une élaboration proche du rêve qui aurait une réalité psychique. Cette notion est largement développée par la psychanalyse pour laquelle le fantasme est en relation avec un noyau résistant de l’inconscient du sujet, dont il serait l’émanation du désir.

II-3.3. Figurabilité

Il s’agit encore d’un concept psychanalytique qui se définit comme « le produit du travail psychique diurne comparable au rêve, avec son parcours régrédiant aboutissant à une perception interne proche de l’hallucination »16. Il s’agit de rassembler des éléments épars de l’expérience psychique sensorielle et perceptive d’un sujet afin de permettre un début de reconstruction de lien entre ces éléments. Ce processus de mise en cohérence permet une réélaboration progressive des représentations mentales et un nouvel ancrage du sujet dans la réalité de son histoire. La figurabilité apparaît comme une possibilité pour le psychisme de lutter contre le morcellement. Ce concept complexe permet d’éclairer l’importance de l’élaboration psychique des représentations pour le sujet.

II-3.4. Préjugés et stéréotypes

Les préjugés et les stéréotypes sont des élaborations de groupe qui reflètent à un moment ou un autre le point de vue prévalent dans un groupe relativement à certains sujets :

faits, situations, personnes. Elles ont pour vocation de produire une image qui vaut dans tous les cas, et une idée, non pas fondée sur des données précises, mais sur des anecdotes.

Le préjugé est un jugement pré-élaboré qui s’impose aux membres d’un groupe. Il relève de la convention sociale, l’adhésion à cette convention sociale se faisant de manière automatique sans passer par le filtre de la critique. Le préjugé peut aller de l’expression verbale à la discrimination, voire à la violence dans les cas extrêmes.

Le stéréotype est un cliché stable, constant, peu susceptible de modifications. Il est un facilitateur de communication et économise un exposé long. Il se place au niveau des attitudes et correspond à l’attitude spécifique envers une personne ou une chose, négative ou positive, fondée sur une croyance imposée par le milieu et pouvant résister à l’information.

Préjugés et stéréotypes sont des éléments constitutifs du système de pensée et participent au système de représentation. Certains éléments constitutifs des stéréotypes ou des préjugés entrent dans les représentations sociales. Une même représentation peut ainsi faire appel à un ou plusieurs préjugés ou stéréotypes.

II-3.5. Croyances

L’univers des croyances auxquelles l’Homme adhère est immergé dans l’irrationnel. En effet, le besoin de croire de l’être humain est tel qu’il ne se préoccupe guère des justifications scientifiques, ni des démonstrations rationnelles, susceptibles de rendre compte des contenus de ses croyances. Trois mécanismes psychologiques expliquent ce penchant de l’Homme vers la croyance : 1) le fonctionnement binaire de l’esprit humain : le besoin d’un double produit les représentations du dieu, de l’âme, du démon 2) l’idée de la Mère-Nature

P. Mannoni15 propose une schématisation résumant l’articulation des différentes notions. Les représentations sociales se trouvent en aval par rapport aux représentations mentales ou psychiques et aux fantasmes, lesquels jouent le rôle d’organisateurs des schèmes cognitifs. En revanche, elles se présentent en amont des clichés, stéréotypes, superstitions, croyances, mythes, contes, dont elles sont constitutives.

II-4. L’anthropologie médicale comme étude des

représentations

L’anthropologie médicale peut être considérée comme l’étude des représentations de la santé. Si l’anthropologie générale, dont elle fait partie, étudie le comportement de l’homme au sein de la société, l’anthropologie médicale est fondée sur le postulat que la maladie, fait universel, est gérée et traitée, suivant des modalités différentes selon les sociétés et que ces modalités sont liées à des systèmes de croyances et de représentations, déterminés en fonction de la culture dans laquelle elle émerge. Depuis les travaux fondateurs de W. Rivers17 en 1924, l’anthropologie médicale a connu divers courants, qu’on peut grossièrement regrouper en deux grandes écoles : l’école de F. Laplantine et l’école américaine d’A. Kleinman et A. Young.

F. Laplantine, dans son ouvrage Anthropologie de la maladie 18, part du constat que l’étiologie de la maladie, dans notre société, est souvent réduite à la seule étiologie scientifique, prétendument indemne de représentations, tandis que le point de vue du patient est souvent négligé. La société dans ses difficultés à interpréter la maladie comme phénomène social doit admettre que la maladie est une expérience ne relevant pas uniquement du spécialiste, mais de chaque être humain. L’ouvrage de F. Laplantine vise à

analyser la maladie à la fois comme connaissance objective, en y intégrant toutefois l’imaginaire de la médecine, à la fois comme expérience subjective vécue par le malade et par le médecin. Il propose ainsi différents modèles étiologiques interprétatifs de la maladie selon que la maladie est considérée comme une entité extérieure nécessitant une action thérapeutique externe, ou comme une rupture de l’équilibre physiologique ou psychologique appelant une réponse plus individuelle.

Le courant américain de l’anthropologie médicale conçoit la maladie comme une expérience psychosociale. A. Kleinman19 souligne l’importance du savoir populaire sur la santé et la maladie. Il distingue à ce propos trois termes anglais pour maladie :

- disease : maladie appréhendée par le savoir médical, c’est la notion biomédicale de maladie.

- illness : maladie éprouvée par le malade, ce sont les expériences et perceptions socialement dévalorisées dérivant de la maladie.

- sickness : terme neutre à rapporter selon le contexte à la notion médicale de maladie ou à sa dimension psychosociale.

A. Young20 insiste sur le concept de sickness qui donne à la maladie une dimension sociale et culturelle.

Finalement, l’anthropologie médicale évoluera selon deux tendances complémentaires :

- l’ethnologie de la santé qui utilise les méthodes et connaissances de l’anthropologie pour éclairer la pratique médicale comme fait de culture,

- l’anthropologie de la maladie, qui naît dans les années 1980 avec A. Zempleni21

et A. Augé22, et s’intéresse aux logiques symboliques et sociales des représentations dans les systèmes cognitifs de la maladie. Le corps et les substances sont ainsi relégués au deuxième

dispositifs de remise en ordre, qui constituent la guérison. Ainsi la maladie n’est plus un phénomène isolé, mais un événement pathologique dans l’ordre social.

II-5. Méthodes d’investigation des représentations sociales

L’étude des représentations sociales s’est considérablement développée depuis une dizaine d’années, mais remonte à S. Moscovici23 en 1961. D. Jodelet dans son ouvrage14 de 1989 donne un aperçu de ses recherches. Il distingue deux types de recherches :

- Celles reposant sur l’analyse de documents, d’archives et sur l’enquête. Pour S. Moscovici, il s’agit d’analyser la façon dont un discours dit « savant » se transforme en un discours de sens commun, c’est-à-dire passe d’un système de concepts théoriques à un système de représentation. Il utilise ainsi divers documents et journaux pour étudier les représentations sociales de la psychanalyse, objet peu courant, abstrait et émergeant.

-

Les recherches expérimentales qui portent sur la structure des représentations et sur les conditions de transformation d’une représentation. Elles reposent sur la théorie du noyau central élaborée par C. Flament en 1979 et développée par J.C. Abric24 en 1984. C’est ce dernier type d’approche qui sera utilisé dans cette étude et que nous allons donc à présent détailler.

II-6. La théorie du noyau central selon J.C. Abric

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II-6.1. Le noyau central

Le noyau central un sous-ensemble de la représentation, composé d’un ou de plusieurs éléments dont l’absence déstructurerait ou donnerait une signification radicalement différente à la représentation dans son ensemble. Le noyau central de la représentation est celui qui résiste le plus au changement. Il est constitué d’éléments non négociables, stables, cohérents entre eux. Ces éléments ont une fonction organisatrice et génératrice, et donnent une orientation générale à la représentation sociale (valeur de l’objet, bien ou mal). Si on prend l’exemple du SIDA, un des éléments centraux est le mode de contamination de la maladie : par exemple, les malades transfusés et hémophiles sont bien considérés, contrairement aux toxicomanes. Si les éléments centraux changent, la représentation change aussi.

II-6.2. Les éléments périphériques

Les éléments périphériques sont des éléments moins centraux de la représentation sociale. Ils jouent deux rôles importants : décrypter la réalité et faire tampon. Dans leur premier rôle, ils permettent à l’individu de comprendre et de mieux maîtriser les événements qui surviennent en leur assignant une signification. Leur fonction de tampon intervient quand un événement vient contredire le système de représentation. Les éléments périphériques déforment, changent, mais n’affectent pas le contenu global et l’orientation générale de la représentation sociale. Ils sont en relation entre eux, négociables - c’est-à-dire non spécifiques et non caractéristiques de la représentation sociale - ils peuvent évoluer, être incohérents, et

représentation entrera en conflit avec celui de l’individu Y qui, au contraire, croit en son intérêt. Si Y est considéré comme sérieux par X, et qu’il lui démontre que la psychanalyse permet de mieux comprendre l’être humain, un élément nouveau peut venir s’ajouter au système de représentation de X, par exemple : « dans certains cas, la psychanalyse peut être utile ». Il s’agit d’un élément périphérique qui ne remet pas en cause le noyau central.

Il existe des liens forts entre le noyau central et la périphérie, la périphérie permettant au noyau central de rester stable. Toute représentation est en effet affectée si un seul élément du noyau central change. Si un élément périphérique change, il se produit souvent une diffusion sans réelle conséquence. Les éléments périphériques donnent une grille de lecture et ont un rôle de défense du système central.

En effet, l’Homme qui par nature aime la stabilité et ne supporte pas de ne pas pouvoir prédire les événements, tend à chercher des causes et des conséquences à ce qu’il observe, ce qui lui permet de défendre le noyau central de ses représentations, alors même que la réalité le contredit.

Chaque cognition est ainsi composée d’un système central, organisateur, stable, disposant d’une orientation, et d’un système périphérique qui sert au décryptage et fait office de tampon entre la réalité extérieure et la représentation sociale qui constitue la réalité intérieure.

II-6.3. Méthode d’étude des représentations sociales selon J.C. Abric

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J.C. Abric explique que « la méthode d’étude des représentations sociales doit s’articuler en quatre phases :

- recueil du contenu explicite de la représentation, - recherche de la zone muette,

- contrôle de la centralité. »

II-6.3.1. Le recueil du contenu explicite de la représentation

Une représentation peut être recueillie par les méthodes classiques d’entretiens, de questionnaires ou de focus groups25.

II-6.3.2. Recherche de la zone muette

Si la quasi-totalité des études sur les représentations repose sur la production verbale des individus ou des groupes, on peut se demander si les individus expriment tout ce qu’ils pensent. Ainsi, certaines pensées pourraient être cachées à l’investigateur parce qu’elles risqueraient de nuire à l’image de celui qui les élabore. C’est ce que J.C. Abric appelle la zone muette qui peut être définie comme « un sous-ensemble spécifique de cognitions ou de croyances qui, tout en étant disponibles, ne sont pas exprimées par les sujets dans les conditions normales de production et qui, si elles étaient exprimées pourraient mettre en cause des valeurs morales ou des normes valorisées par le groupe ».

Le problème est que certains éléments du noyau central peuvent se trouver dans la zone muette et donc échapper à l’investigateur. Ils constituent la face cachée et non avouable de la représentation, et en quelque sorte sa partie non légitime.

Pour connaître la représentation effective, il est donc indispensable de découvrir cette zone muette au moyen de techniques, visant à diminuer la pression normative s’exerçant sur la personne interrogée. La première technique, dite de « substitution », vise à réduire la pression normative en réduisant le niveau d’implication : on demande à l’interrogé de donner l’opinion d’autres personnes. La deuxième technique, dite de « décontextualisation normative », vise à réduire la pression normative en plaçant le sujet dans un contexte éloigné

de son groupe de référence, lui permettant d’exprimer plus librement sa pensée, en réduisant les risques de jugement négatif de la part de son interlocuteur.

II-6.3.3. Recherche de la structure de la représentation et du noyau central Deux techniques peuvent être utilisées :

- l’évocation hiérarchisée qui consiste à demander à la personne interrogée de citer spontanément les items qu’il associe au concept étudié, puis à les hiérarchiser selon deux indicateurs : la fréquence avec laquelle chaque item est cité, et l’importance que lui accorde la personne interrogée. Les items fréquents et importants déterminent la zone du noyau central. Les items fréquents, mais considérés comme peu importants, regroupent les éléments périphériques les plus importants. Ce sont les éléments de première périphérie. Les items peu cités, mais considérés par certaines personnes comme importants, constituent la zone des éléments contrastés qui permet de révéler l’existence d’un sous-groupe minoritaire, porteur d’une représentation importante. Les items peu cités et peu importants constituent la zone de deuxième périphérie.

- les questionnaires de caractérisation, que nous n’avons pas utilisés et que nous ne détaillerons pas ici.

II-6.3.4. Contrôle de la centralité

Afin de vérifier que les éléments recueillis préalablement font effectivement partie de la zone du noyau central, différentes techniques peuvent être mises en œuvre :

- la technique de la « mise en cause » décrite en 2002 : les éléments centraux sont par définition non négociables, leur mise en cause va donc nécessairement entraîner un processus de réfutation.Les éléments périphériques, eux, souffrent la contradiction. Leur mise en cause

ne constitue pas « un risque » pour la représentation et n’entraînera pas de processus de réfutation chez les sujets.

- « L’induction par scénario ambigu » (ISA) décrite en 1993 : « Elle repose sur l’idée qu’une représentation est un processus actif de construction de la réalité. On va donc chercher quels sont les éléments dont le sujet a besoin pour reconnaître un objet de représentation et le différencier d’autres objets proches. »

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 22-35)

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