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II. DEUXIEME PARTIE :

4.2 Notion d’un scénario pédagogique ouvert (SPO)

4.4 Métamodèle implémentant le modèle rationnel des SPO 4.5 Conclusion

4.1 Introduction

La logique d’adaptation dans les EIAH n’est généralement pas explicitée et formalisée ; quand elle est spécifiée, c’est à un niveau assez technique, ce qui la rend difficile à contrôler et maintenir. Nous voulons par notre travail proposer une approche permettant de spécifier la logique d’adaptation à un niveau « méta », et de la séparer par rapport à l’architecture interne du système qui est complexe. Nous proposons pour cela de concevoir, à un niveau abstrait, des scénarios pédagogiques ouverts (SPO) opérationnalisables sur l’EIAH, et de continuer leur conception pendant l’exécution à travers des adaptations dynamiques.

Ce chapitre est consacré à notre première proposition scientifique : le modèle rationnel des SPO. Nous précisons dans un premier temps ce que nous entendons par SPO. Nous présentons ensuite le modèle rationnel des SPO que nous proposons, puis le métamodèle qui implémente notre modèle rationnel des SPO.

4.2 Notion d’un scénario pédagogique ouvert (SPO)

L’origine des scénarios remonte aux sciences de management, planification militaire et théâtre [Jarke et al. 1998], mais ils ont suscité un grand intérêt selon Wild [Wild 2006] dans le domaine de génie logiciel depuis quelques années. Wild a affirmé qu’il est largement convenu dans la littérature que les scénarios sont assez concrets et suffisants pour communiquer l'essence d'une situation concernant une préoccupation ou un besoin sans qu’il soit nécessaire d'apprendre en détail les techniques complexes de modélisation [Wild 2006].

Carroll a relevé [Carroll 2000] cinq avantages à l'utilisation des scénarios dans des contextes de conception :

1) ils évoquent la réflexion dans le contexte du travail de conception ; 2) ils sont à la fois concrets et flexibles ;

3) ils offrent de multiples points de vue ; 4) ils peuvent être abstraits et classés ;

5) ils promeuvent le travail orienté communication.

La notion de scénario pédagogique a connu un fort essor, tout particulièrement dans le domaine des EIAH, avec l’apparition de l’approche centrée activité, où l’enseignant est désormais considéré comme « scénariste ». Le bénéfice de l'utilisation des scénarios pédagogiques pour approcher l’ingénierie des EIAH, comme l’indique Hummel [Hummel et al. 2004], réside dans le fait que l'attention principale est mise sur les activités d'apprentissage qui doivent être réalisées pour atteindre les objectifs pédagogiques

[Vantroys et Peter 2005].

Cependant, Park et Lee évoquent une question centrale et persistante qui concerne la mise à disposition d'environnements pédagogiques et les conditions sous-jacentes qui peuvent satisfaire « individuellement » des différents objectifs éducatifs et des capacités d'apprentissage [Park et Lee 2001]. Les approches pédagogiques qui sont destinées à répondre aux besoins des apprenants, individuellement, relèvent de ce que l’on désigne par « enseignement adaptatif » (en anglais « Adaptive instruction ») [Como et Snow 1986]. Plus spécifiquement, l'enseignement adaptatif se réfère à des interventions éducatives visant à bien assimiler les différences individuelles chez les apprenants tout en aidant chaque apprenant à développer les connaissances et les compétences nécessaires pour apprendre une tâche.

D’après Park et Lee [Park et Lee 2001] :

« Adaptive instruction is generally characterized as an educational approach that incorporates alternative procedures and strategies for instruction and resource utilization and has the built-in flexibility to permit students to take various routes to, and amounts of time for, learning [Wang et Lindvall 1984] ».

La flexibilité d’un scénario pédagogique peut donc être assurée par la définition de différentes alternatives. Quant à la notion de flexibilité, on trouve dans la littérature des travaux qui relèvent du domaine de la gestion des processus de travail (Workflow),

[Schonenberg et al. 2007] considèrent que l’une des caractéristiques clés de déroulement efficace des processus est leur capacité de faire face à la fois aux changements prévus et imprévus de l'environnement de leur exécution. Cette qualité des processus - qualifiée de flexibilité - reflète leur capacité de s’adapter en faisant varier des parties du processus concernées par le changement en cours, cela tout en conservant la structure essentielle des parties qui ne sont pas concernées par ce changement

[Schonenberg et al. 2007].

En outre, les auteurs ont distingué quatre types de flexibilité d’un processus que nous avons présentés dans (cf. section 2.1.3.3) [Schonenberg et al. 2007] :

 Flexibilité par conception : pour le traitement des changements prévus dans le contexte d'exécution, où les stratégies de soutien peuvent être définies en amont, au moment de la conception. (Nous qualifions ce type de flexibilité de proactif. En revanche, les trois types suivants sont réactifs).

 Flexibilité par déviation : pour la manipulation des comportements imprévus occasionnels, où la différence avec les comportements attendus est minimale.

 Flexibilité par sous-spécification : pour le traitement des changements prévus dans le contexte d'exécution, où les stratégies ne peuvent pas être définies au moment de la conception initiale, parce que la stratégie finale n'est pas connue à l'avance ou qu’elle n'est pas applicable.

 Flexibilité par changement : pour la manipulation des comportements imprévus occasionnellement, où les différences nécessitent des adaptations de processus, ou bien pour la manipulation des comportements souvent imprévus.

Schonenberg et al. concluent en affirmant que la flexibilité des processus vise alors à améliorer leur capacité à s’adapter aux évolutions des contextes d'exécution sans nécessiter une redéfinition complète des spécifications initiales. Par conséquent, « un processus ne peut être considéré comme flexible que s’il est possible de le changer sans avoir besoin de le remplacer complètement » [Schonenberg et al. 2007].

Naturellement, dans les situations de conception, le concepteur dispose, au départ, d’une représentation mentale incomplète et imprécise de l’objet à concevoir [Eastman 1969] [Simon 1973]. L'incomplétude de la représentation laisse selon P. Rabardel [Rabardel 1995]

l’artefact inachevé et ainsi « ouvert » sur de multiples possibles. Rabardel affirme qu’il s'agit d'une « incomplétude construite, recherchée, gérée et maintenue, en tant que telle, par un sujet compétent voire expert, en tant que moyen de gestion de la complexité des situations :

– au plan synchronique, l’incomplétude fournit le "jeu" nécessaire pour que les différentes modalités de régulation de l'action puissent être articulées, coordonnées en temps réel afin de gérer la singularité imprévisible des situations ;

– au plan diachronique, l’incomplétude permet le traitement de problèmes de niveaux différents, à des moments différents. Le flou maintenu à un niveau de traitement limite les contraintes répercutées à d'autres niveaux ».

La conception des scénarios pédagogiques requiert des modalités de conception qui ne sont pas classiques [Cottier et El-Kechaï 2009]. Les spécifications ne doivent pas s’arrêter à la phase d’instanciation, elles doivent être continuées durant l’exécution en permettant aux usagers de faire les ajustements nécessaires. Notre choix d'adopter l'approche instrumentale

[Rabardel 1995] comme source d’inspiration se trouve ici conforté. Cette approche ouvre en effet une perspective élargie et productive pour étudier les pratiques de conception en design pédagogique [Henri 2007]. Cette approche suggère une continuation de la conception des artefacts dans l’usage. Les usagers doivent être capables d’agir sur les artefacts préétablis (scénarios prédictifs) et d’élaborer leurs propres instruments(scénarios effectifs). Les artefacts proposés doivent être suffisamment ouverts pour permettre un double processus de genèse instrumentale : instrumentation et instrumentalisation.

Rabardel affirme que : « une certaine anticipation des usages fonde certes la conception des artefacts, mais leur complexité est telle, la diversité des possibilités est si grande, que seule une faible partie d’entre elles peut être anticipée. C’est dans la mise en œuvre des systèmes que les instrumentalités potentielles émergent, se révèlent ou s’inventent, sont conçues le plus souvent par les utilisateurs eux-mêmes » [Rabardel 1995].

Dans la pratique, l’enseignant ne suit pas aveuglément des scénarios prédictifs qui ne constituent qu'une base de départ pour lui [Zarraounandia 2006b]. L'attitude des apprenants ne peut pas être prévue dans le détail pendant la phase de conception, mais elle peut être supervisée et ajustée pendant le déroulement de la session sur la plateforme d’apprentissage. Selon Rogalski [Rogalski 2003], l’enseignant dans son activité doit gérer un « environnement dynamique ouvert ». « Dynamique » parce que l’apprentissage des apprenants évolue même sans intervention de l’enseignant, on parle alors d’évolution spontanée. « Ouvert » parce que l’enseignant ne peut prévoir ni l’évolution spontanée des apprenants ni l’effet de ses interventions [Roditi 2003].

Nous considérons alors qu’Il est nécessaire de penser à concevoir des scénarios que l'on pourrait qualifier d'ouverts, donnant la possibilité aux usagers d'effectuer eux-mêmes la conception et l'adaptation. À notre sens, la question posée par l'ingénierie d'un scénario pédagogique n'est donc plus seulement de produire un modèle correspondant à une spécification donnée, mais d’élaborer un modèle adaptable, souvent en cours d'usage, en fonction de l'évolution du contexte et des besoins des usagers. L'activité de conception est donc située et continue dans le processus d’usage. Elle ne se réduit pas à l'acte de modélisation préalable de l'artefact qui est exogène au contexte réel de son usage, elle se poursuit dans l'activité des usagers eux-mêmes [Cottier et EL-Kechaï 2009]. Cela passe par l'élaboration puis l'utilisation de modèles endogènes aux contextes d’usage.

Les scénarios que nous considérons alors comme ouverts visent à ce que les apprenants apprennent avec beaucoup plus de souplesse et de liberté en choisissant par exemple le cheminement convenable en fonction de leurs contextes d’apprentissage correspondants. Un problème inévitable surgit alors car dans certains cas une liberté totale ou trop importante peut nuire à l'objectif pédagogique, il y a nécessité de protéger peu ou prou un noyau insécable du scénario. Selon Pernin et Lejeune : « un scénario ouvert ou adaptable décrit dans les grandes lignes les activités à réaliser et permet de déléguer aux acteurs humains les choix ne pouvant être anticipés sans nuire à la qualité des objectifs d'apprentissage poursuivis » [Pernin et Lejeune 2004].

À notre sens, pendant le déroulement d’un scénario ouvert, certains éléments obligatoires doivent être pris en compte, mais leur organisation est libre. Par exemple, les rôles doivent réaliser des activités pour atteindre leur but en toute liberté. Les rôles doivent être libres d'agir dans le cadre des règles, le déroulement du scénario peut toujours diverger et connaître des variantes (ou alternatives selon [Park et Lee 2001]). Prévoir un certain nombre

d’éléments obligatoires est cependant nécessaire, c’est ce qui permet de conserver une cohérence du scénario sans avoir à être trop dirigiste [Ouraiba 2010].

Dans le domaine des scripts d'apprentissage collaboratif, Dillenbourg et Tchounikine

[Dillenbourg et Tchounikine 2007] [Tchounikine 2008] ont confirmé qu'un script doit être flexible, c’est-à-dire adaptable par les apprenants et/ou les enseignants, pour éviter de décrire plus que le nécessaire (overscripting), ce qui inhibe des mécanismes naturels d'interaction et limite la collaboration entre les membres des groupes. Nous partageons l'idée de ces auteurs qui consiste à distinguer deux parties dans un script flexible (scénario ouvert à notre sens), contraintes extrinsèques et contraintes intrinsèques. La partie extrinsèque définit l'espace dans lequel le script doit pouvoir être adaptable par les enseignants et / ou étudiants. La partie intrinsèque crée les limites de la flexibilité, c'est-à-dire ce qui ne peut pas être modifié sans que le script perde sa « raison d'être ».

Sur notre terrain de la scénarisation pédagogique, de manière analogue à [Dillenbourg et Tchounikine 2007] [Tchounikine 2008], nous distinguons deux catégories d'éléments constitutifs d'un scénario pédagogique ouvert. La première catégorie est rigide au contraire de la seconde qui est adaptable en comportant des éléments modifiables (points ouverts). Cette dernière catégorie comporte des points de variation qui permettent de spécifier différentes manières opportunes de dérouler une session d’apprentissage que l'on désigne par « variantes ». Un point de variation peut être n’importe quelle entité du scénario pédagogique : une activité ou étape d’apprentissage, un rôle, un attribut ou une propriété, etc. La représentation des différentes variantes d’une session d’apprentissage consiste à les combiner dans un seul artefact intégré, nommé « scénario pédagogique ouvert - SPO ». Grâce à cet artefact l’enseignant concepteur peut rassembler plusieurs variantes d'un même scénario qui correspondent à certaines variations du contexte d’utilisation.

Quant à la notion de contexte, Simondon qualifie le contexte d’utilisation comme : « un milieu que l'être technique crée autour de lui-même et qui le conditionne comme il est conditionné par lui. Ce milieu à la fois technique et naturel peut être nommé milieu associé »

[Simondon 1958]. Notons que, Zarraonandia [Zarraonandia et al. 2006] le confirme aussi plusieurs définitions et différentes notions du terme contexte et « context-aware » peuvent être trouvées dans la littérature de l’informatique [Pasco 1998] [Schilit 1994] [Chen 2000] [Dey 2001]. La définition de Dey est la plus partagée : « le contexte correspond à toutes les informations qui peuvent être utilisées pour caractériser la situation d'une entité. Une entité est une personne, un lieu, ou l'objet que l'on considère pertinent pour l'interaction entre un utilisateur et une application, y compris l'utilisateur et l'application eux-mêmes » [Dey 2001].

Dans le domaine des EIAH, Pernin définit le contexte comme : « une configuration particulière, organisationnelle et temporelle, des moyens humains et matériels, construite à partir des moyens offerts de façon générale par le dispositif de formation » [Pernin 2007]. À notre sens, le contexte d’enseignement/apprentissage peut être caractérisé par les informations qui influencent l’exécution de SPO. Ces informations décrivent l’environnement et les différentes circonstances de la situation d’enseignement/apprentissage en considération, telles que : les contraintes à respecter, les indicateurs calculés avant, lors et/ou après le déroulement d’une session d’apprentissage, les ressources disponibles et les supports mis en disposition, les compétences et habitudes des enseignants impliqués, les profils des étudiants concernés (informations biographiques, pré-requis et compétences, motivations, préférences, etc.), les conditions d’accessibilité, le type d’institution de formation et sa culture, etc.