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La normalisation des pratiques exceptionnelles de génération du crédit à l’État sous le régime britannique.

la construction de nouvelles formes de guerre et de crise par le commerce au loin et le crédit international.

4.7. La normalisation des pratiques exceptionnelles de génération du crédit à l’État sous le régime britannique.

Le principal corollaire de cette normalisation de l’exceptionnel sous l’influence des facteurs structurels tels l’extension de la plage de flottement du papier-crédit dans le système et la guerre était l’apparition d’un nouveau type d’État hégémonique. Le propre de son hégémonie venait non seulement de la maîtrise du crédit à long terme par le recours à des méthodes d’exception, mais aussi de la facilitation systémique du crédit. Dans les systèmes construits autour du crédit et dépendant du crédit, l’hégémonie serait de plus en plus définie par le fonctionnement de la puissance hégémonique dans le rôle de prêteur-en-dernière-instance systémique. Le genre d’activités commerciales dans lequel une puissance excellera lui donnera naturellement plus de facilité de fonctionner effectivement en tant que prêteur-en- dernière-instance systémique par rapport à une autre puissance ayant développé des préférences pour une activité commerciale à cyclicité plus courte.

Si l’on peut concevoir que le prêteur-en-dernière-instance est une fonction qui apparait dans des systèmes économiques dépendant du crédit dans lesquels cette fonction reflète une capacité inégale des créditeurs d’offrir du crédit en cas de stress financier, cette capacité inégale du crédit peut refléter aussi la longueur des cycles de crédit. L’extension de la plage du flottement du crédit va forcer naturellement des centres qui développeront une préférence pour des activités à cyclicité plus longue à assumer pendant plus longtemps la sécurisation métallique du crédit qu’ils émettent en flottement dans le système. La longueur de la cyclicité du crédit qu’ils émettent prédisposera naturellement le centre qui aura émis le plus de crédit à un plus long terme à être le dernier où la convertibilité métallique du papier devra cesser dans le système. La longueur du cycle de crédit poussera donc certains centres à fonctionner dans le paradigme de prêteur-en-dernière-instance systémique. La fonction de prêteur-en-dernière-instance est définie dans de tels systèmes par le volume de crédit à assurer métalliquement et sa temporalité.

D’autre part, plus grande est la préférence pour les activités à plus longs termes, plus il y a des possibilités qu’elles impliqueront une aire géographique plus grande. Le prêteur-en-dernière-instance qui émergerait dans ce genre de systèmes économiques à cyclicité longue du flottement de crédit aura une dimension de plus en plus globale, à mesure que s’étendent ses réseaux du commerce au loin et de

production industrielle que le crédit d’un centre commercial devra alimenter.

De prime abord, le prêteur-en-dernière-instance qui émerge ainsi n’est pas tenu par obligation quelconque d’assurer métalliquement le crédit autre que le sien en cas de crise systémique, mais l’ampleur géographique des ses circuits commerciaux et industriels, l’imbrication avec d’autres centres du crédit font en sorte que naturellement il aura à assumer, pour son propre intérêt, la sécurisation du crédit d’autres centres financier, le cas échéant. Cette donne apparaissait d’une manière assez résiduelle dans le temps de la domination de la Wisselbank d’Amsterdam, alors que les Hollandais commerçaient du Japon et de la Chine, via l’Inde, jusqu’à l’Angleterre, la Baltique et les Amériques. Cependant, l’effondrement de la Wisselbank d’Amsterdam ainsi que des banques centrales de Venise et de Gênes, posait Londres sur cette orbite nolens volens, indépendamment du fait que la complexification de la gamme d’activités à cyclicité longue prédestinait Londres à assumer ce rôle systémique.

Dans le cas de figure où il y a prédisposition originelle, comme dans le cas de la Banque d’Angleterre, à la détention minimale du métal, la faiblesse des avoirs métalliques forcera donc naturellement le pas vers la surémission des billets de banque centrale pour sécuriser le crédit-papier en flottement de plus en plus à long terme dans le système. Cette dérive vers la normalisation de l’exceptionnel par la Banque d’Angleterre, la dissociation de la valeur du papier émis contre le métal, consacrera la Banque d’Angleterre comme prêteur-en-dernière instance systémique.

Plus que toute autre prêteur-en-dernière-instance, celui-ci dans la version britannique était défini par la tendance à l’émission de billets de banque contre une quantité minime de métal en réserve et en circulation. La normalisation de l’exceptionnel à la anglaise transforme le prêteur-en-dernière-instance d’un endroit où le métal est disponible en dernier dans le système, en un endroit où l’on trouvera du papier faisant office du liquide- les billets de banque centrale (hégémonique, de prime abord), plutôt que du métal comme tel. Le papier-crédit en flottement commencera à être sécurisé sous le régime anglais par un papier de banque émis par la banque centrale (hégémonique) en non plus par le métal.

La facilité déconcertante avec laquelle cette stratégie viciée de surémission du papier de banque, par rapport aux avoirs métalliques pouvait rester sans conséquence majeure pour Londres restait un fruit des conditions exceptionnelles après l’élimination d’Amsterdam, Gênes, Venise comme centres du crédit

systémique. L’incapacité d’avoir un crédit quelconque d’envergure en Europe postnapoléonienne, avec les réserves métalliques épuisées par la guerre, incrustait un niveau de tolérance, autrement impensable, dans les activités, autrement abusives, de la Banque d’Angleterre et coupait court tout mouvement de panique et d’assainissement systémique. Soit on faisait quelque chose avec Londres, soit rien ne se faisait du tout. La dégringolade de Paris comme centre de crédit alternatif sur le continent a encore renforcé ce biais après 1871. La vitalité de l’économie britannique générant rapidement du capital, avec son industrialisation secondaire, permettait d’augmenter encore plus le niveau de tolérance au stress financier, mais la situation restait malsaine tout-de-même.

Le modèle britannique avait de l’attrait dans le contexte post-napoléonien en Europe, et ce qui plus est, la Grande Bretagne-même avait de la difficulté de changer de mode de fonctionnement au plan du crédit. La conception qu’on pouvait se dispenser du métal dans la sécurisation du crédit privé par la banque centrale qui ne contrôlait pas son émission permettait de rendre viable le système profondément perturbé par la guerre. Ces facteurs faisaient que dans le siècle suivant la consolidation de ce régime particulier de neutralisation de la contrainte de l’argent-métal dans l’État britannique, dont nous avons parlé dans les chapitres précédents, on peut voir subséquemment le clonage du modèle d’État concocté en Grande Bretagne dans d’autres États à travers le système.

L’État moyen ’normal’ du XIX e s., devient tout aussi que la Grande Bretagne au début du XVIIIe s., un État à banque centrale, ménageant la dette d’État qui fonctionne sur le principe de dette perpétuelle nationale, un État industrialisé à la britannique par l’application de l’industrialisation britannique de dernier cri- l’industrialisation lourde. Cette diffusion systémique du modèle britannique, c’est-à-dire le régime le plus réussi et efficace d’allègement de la contrainte de l’argent-métal sur la guerre, allait constituer une autre facette, postérieure, de la normalisation de l’exceptionnel. Celle-ci touchait désormais non seulement la puissance hégémonique-même, la transformant en une forme exceptionnelle de prêteur-en-dernière-instance, mais aussi le système.

4.8. De la normalisation de l’exceptionnel dans la pratique de la banque