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Les conséquences systémiques de l’incrustation du crédit international dans le financement de la guerre

la construction de nouvelles formes de guerre et de crise par le commerce au loin et le crédit international.

4.2. Les conséquences systémiques de l’incrustation du crédit international dans le financement de la guerre

Cette incrustation du crédit international dans le financement de la guerre avait cette conséquence majeure qu’elle exposait la guerre, et l’État in extenso, à la contrainte métallique que subissait le commerce au loin. Dans la mesure où ces villes carburaient au commerce avec des régions où elles ne pouvaient pas déployer le crédit et où elles ne pouvaient pas proposer des biens européens qui seraient tout aussi désirables pour des populations locales que des produits locaux l’étaient pour les Européens, le commerce au loin devait être soutenu essentiellement par le transfert des métaux précieux vers ces régions (Riemersma 1967, 45). L’approvisionnement en métal devient ainsi crucial pour que Bruges, Anvers, Amsterdam puissent tout simplement penser à faire du commerce dans la région de la Baltique et d’Archangelsk (Braudel 1984 ,III, 89-174; Israel 1989, 44; Dehing, t’Hart 1997, 52), ou les villes italiennes du commerce puissent considérer comme faisable le commerce avec le monde islamique.

Si la contrainte métallique se précisait dans le système peu à peu à partir du XIIe s., son impact était toutefois allégé durant une bonne partie du XIIIe s. durant l’intermède qu’était l’Empire latin de Byzance. Entre 1204 et 1261, les villes italiennes gagnaient ainsi l’accès facile à la Mer Noire et des régions limitrophes qui généraient de l’or pour le commerce byzantin. Pendant 60 ans, le métal semblait ne plus poser de problèmes, au moins pour des Vénitiens et leurs alliées, et après 1260, pour leurs compétiteurs – les Génois, qui financent, à leur tour, la chute du régime latino-vénitien à Byzance, en 1261 (voir notamment Braudel 1984, III, 110; Angel 1930, 202-203).

La fin du XIIIe s. fait néanmoins rentrer le système levantin en crise métallique que les villes italiennes tentent de solutionner en se rabattant sur l’argent, qui commence, désormais, à servir de métal d’échange dans leur commerce avec la zone islamique. Vers les XIVe-XVe s., la contrainte du métal (de l’or essentiellement) mute ainsi en contrainte de l’argent-métal sur le commerce au loin, tant dans le circuit levantin que dans le circuit baltique. À partir des XIVe-XVe s., c’est l’argent-métal, sa disponibilité dans le circuit levantin-baltique, et plus tard l’extrême-oriental, qui va définir ce que Perroy

appelle famine monétaire (Perroy 1949, 170).

L’adaptation des villes du commerce au loin italiennes à la crise de l’offre de l’or commence graduellement à reconfigurer le circuit levantin étendu par l’adjonction des villes du pourtour oriental des Alpes, contrôlant le minage de l’argent dans les Alpes orientales, les Sudètes, les Harz et les Carpates. La chute de l’Empire latin de Byzance fait ainsi incruster pour de bon dans le circuit levantin des villes telles Augsbourg, Nuremberg, et avec eux, Anvers, qui commence à fonctionner comme un port nordique d’évacuation de l’argent-métal dont la production est contrôlée par ces villes allemandes d’hinterland.

Ce report du centre de gravité du circuit levantin étendu vers le circuit d’approvisionnement en argent-métal du pourtour oriental a scellé le sort de grandes foires de la Champagne dans le pourtour occidental, qui avaient commencé leur déclin un peu avant. D’autre part, ce déplacement a sonné le glas pour la Flandre comme le lieu de production du textile (Perroy 1949, 171). Le perfectionnement des techniques d’exploitation des mines en Allemagne par l’application de l’accès à des gisements par le puits vertical plutôt qu’en suivant un gisement à l’horizontale, à partir du flanc de la montagne, ainsi que l’usage du plomb dans le raffinage de l’argent (Ashtor 1983, 441), accroissent encore plus le rendement des mines européennes au cours du XVe et au début du XVIe s. Il reste que ces innovations masquent le fait que les gisements tarissent.

La découverte des gisements de Potosi, en Nouvelle Espagne, ainsi qu’au Brésil, restaure l’offre de l’argent-métal en Europe au cours du XVIe s, si bien que le contrôle du circuit atlantique de l’argent- métal devient vital pour le succès du commerce italien, hollandais ou portugais, de la même façon que le contrôle du circuit japonais de l’argent-métal (Israel 1989, 173,171; Jones 1991, 395,397,400,406; Braudel 1984, III, 206-209). Cependant, après l’emballement initial de la production américaine, très rapidement, à partir des années 1590-1600, l’offre américaine du métal entre en crise séculaire profonde et s’effondre littéralement, en mettant les villes du commerce au loin, aussi bien que les États, devant la contrainte de l’argent-métal sans pareille à la suite de la famine métallique sans pareille s’étalant sur plus d’un siècle (voir les deux graphiques de l’offre de l’argent du Nouveau Monde, dans Braudel 1984, III, 422, par exemple, mais aussi Elliott 2002, 269,200,321-322,326,335,357; Israel 1989, 232,173). C’était, comme le qualifie Elliott, New Spain’s century of depression (Elliott 2002, 292).

Si la crise métallique intensifie dramatiquement la contrainte de l’argent-métal sur la guerre européenne, cette contrainte se trouve aggravée encore plus par le développement du commerce au loin encore plus dépendant de la disponibilité du métal que le commerce levantin- le commerce extrême oriental. Avec le temps, presque la moitié de la production européenne et américaine de l’argent-métal s’en allait en Chine et en Inde (Riemersma 1967, 46).

C’est au bout de ce paroxysme séculaire du XVIIe s. que la ville du commerce au loin parachève la formation d’un certain paquet de mesures palliatives, dont l’ébauche apparaissait justement au XIIe s., dans la phase de démarrage du circuit levantin étendu, alors que la contrainte métallique se cristallisait. Des mesures qui s’avéreront essentielles dans l’articulation plus spécifique de la culture de la guerre européenne de l’État-Nation européen, une fois transplantées de la ville du commerce au loin à l’État du roi, en train de devenir l’État-Nation.

4.3. Les mesures de compensation de la contrainte métallique dans des