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Nommer les variations du développement du sexe en médecine au XXIe siècle médecine au XXIe siècle

Nommer le sexe et ses variations en médecine francophone

2.2 Nommer les variations du développement du sexe en médecine au XXIe siècle médecine au XXIe siècle

Il s’agit dans cette section de s’intéresser aux différentes dénominations des variations du sexe et à la manière dont elles s’organisent. Se concentrer sur les dénominations s’explique par le fait que le nom est l’outil privilégié par lequel les sujets parlants organisent leur rapport au réel. Comme l’explique Siblot :

Il[le nom] est l’outil linguistique dans lequel la relation du langage au réel est la plus manifeste parce que c’est la fonction même de la catégorie nominale que de la réaliser. (Siblot 1997 : 41)

J’adopte ici une démarche constructiviste et dynamique de la nomination : il ne s’agit pas de considérer que les catégories sont données une fois pour toutes ou que les noms entretiennent un rapport évident et transparent avec les objets qu’ils nomment. Les dénominations nous livrent plutôt les représentations que nous nous faisons du réel :

La relation du nom à l’objet nommé n’est plus alors d’ordre essentiel, mais pratique. Et ce que le nom exprime apparaît comme la seule chose qu’il puisse dire : les rapports du locuteur à la chose. Le nom ne saurait nommer l’objet « en soi » et ne peut délivrer que la représentation que nous nous en faisons ; il dit ce qu’est l’objet « pour nous », dit nos rapports à son égard. (Siblot 1997 : 52)

Dans ce cadre, l’étude des dénominations médicales du sexe et de ses variations informe moins sur la matérialité du sexe que sur la manière dont les médecins la considèrent, l’appréhendent et l’organisent. Leur conception du sexe doit être considérée comme obéissant à une stabilité intersubjective (Kleiber 1997, 2001) :

[…] la conceptualisation ou la modélisation du monde — ce que nous croyons donc être le monde réel — apparaît comme objective, c’est-à-dire ne se trouve pas soumise aux variations subjectives d’un sujet percevant à l’autre, mais bénéficie, étant donné nos structures physiologiques et mentales similaires et également socio-culturelles, d’une certaine stabilité intersubjective à l’origine de ce sentiment d’ “objectivité” que peut dégager ce monde “projeté”. (Kleiber 2001 : 352)

Il ne s’agit donc ni de dire que le sens du sexe est variable d’un·e médecin à un·e autre, ni qu’il est donné par le référent sexe lui-même, mais plutôt de déterminer des domaines de stabilité du sens du sexe pour les médecins.

Par ailleurs, si l’on considère que les catégories utilisées sont orientées par les pratiques et activités au sein desquelles elles sont utilisées (et qu’elles contribuent à construire voire Mondada & Dubois 1995), il faut alors considérer la spécificité de l’activité médicale. La médecine, en tant que domaine de spécialité et en tant que pratique, utilise une langue technique et scientifique. Or, on considère généralement que celle-ci est caractérisée par le fait que la polysémie y est contrôlée, et que les mots utilisés ont une référence stable (Guilbert 1973), contrairement au fonctionnement habituel du langage ordinaire :

Elle [la langue de spécialité] vise l’idéal de l’intellectualisation, c’est-à-dire la précision sémantique, la systématisation conceptuelle, la neutralité émotive, l’économie formelle et sémantique ; elle a donc tendance à définir ses unités lexicales, à contrôler la polysémie et l’homonymie, à supprimer les synonymes, à simplifier et à mieux délimiter les moyens syntaxiques, à neutraliser ou à contenir l’émotivité, la subjectivité. (Kocourek 1991 : 41)

Cette conception de la langue technique comme monosémique et monoréférentielle doit pourtant être nuancée. Mortureux (1995) montre par exemple que selon le genre de discours (ouvrages scientifiques, articles de vulgarisation, dictionnaires, etc.) le sens des termes scientifiques a tendance à changer. Quant à Mondada et Dubois, à propos des langages scientifiques, elles expliquent que :

Les catégories ne sont ni évidentes ni données une fois pour toutes. Elles sont plutôt le résultat de réifications pratiques et historiques de processus complexes, comprenant des discussions, des controverses, des désaccords. (Mondada & Dubois 1995 : 283)

En ce qui concerne le corpus sur lequel je m’appuie pour l’étude des dénominations, il s’agit d’articles adressés aux pairs, et qui constituent donc un seul et même genre de discours. S’ils ne sont pas dégagés de toute controverse, la présentation de ces débats en est rarement au cœur. Aussi, dans des articles qui sont le plus souvent

des études de cas ou des présentations de recherches sur des pathologies, des traitements, ou des pratiques cliniques précises, on s’attendrait à de relatifs consensus sur le choix des termes, et à une relative stabilité des dénominations employées, d’autant plus qu’ils sont concentrés sur une période de temps restreinte (de 2000 à 2014). Comme on va le voir, il n’en est rien.

2.2.1 Instabilités dénominatives

Ce qui frappe à l’étude de la littérature médicale sur les variations du sexe, c’est la variété des dénominations employées. Il n’y a pas de réel consensus quant à une terminologie partagée par le monde médical, ce qui peut paraître étonnant : les communautés scientifiques s’accordent en général sur des termes précis pour parler des objets sur lesquels elles travaillent (Mortureux 2008 : 131). C’est ainsi que les langues techniques emploient précisément le plus souvent des termes, définis comme étant des mots appartenant au lexique d’une spécialité donnée, étant en principe peu connus des non-spécialistes, et se présentant comme la dénomination d’une notion précise (Kocourek 1991 : 97). Si la médecine, tout particulièrement dans son aspect clinique, n’est pas une science technique au même titre que la chimie par exemple, on peut néanmoins la considérer comme ayant un haut niveau de technicité : en effet, elle se préoccupe dans le cas des variations du sexe d’entités comme les chromosomes, les hormones, etc., dont la découverte et l’étude requièrent des connaissances, et par là un langage, techniques.

2.2.1.1 Les dénominations des variations du sexe

Tout d’abord, si l’on considère l’hyperonyme dénommant les différents phénomènes de variations du sexe (le « terme parapluie »), on retrouve une très grande variété de dénominations différentes. Ainsi, dans le sous-corpus constitué des articles généraux sur les variations du sexe (21 articles)60, on relève 22 dénominations différentes, soit plus que d’articles : ADS (anomalie de la différenciation sexuelle*), ambiguïté sexuelle, ambiguïté génitale, anomalies congénitales génito-sexuelles, anomalie de l’appareil génital, anomalie de la différenciation sexuelle, anomalie des organes génitaux externes, anomalie des OGE, anomalie du développement sexuel, anomalie génitale, anomalie touchant les organes génitaux, désordre de la différenciation sexuelle, DSD, état intersexué, hermaphrodismes, intersexualité, « inversions sexuelles », malformation génitale, malformations sexuelles congénitales majeures, pathologies de la

détermination et de la différenciation sexuelle, « réversion sexuelle », troubles du développement du sexe61.

On voit ici l’instabilité dénominative en ce qui concerne les variations du sexe, sur laquelle on peut faire quelques remarques.

Trois sigles seulement sont utilisés : ADS et DSD que l’on retrouve de manière autonome, et OGE (organes génitaux externes), qui s’associe à un substantif explicité. On retrouve seulement deux noms qui constituent des dénominations à eux seuls :

intersexualité et hermaphrodisme ; le reste des dénominations sont des syntagmes nominaux. Il faut s’intéresser à la formation de ces syntagmes. Le noyau du syntagme est presque toujours constitué d’un nom portant le sème /+ anormal/ : ambiguïté, anomalie, désordre, malformation, pathologie, trouble. En ce qui concerne les satellites, on remarque deux tendances : soit le substantif est complété par différenciation, développement, détermination

dénotant un processus, soit par génital, organes génitaux, etc., dénotant une matérialité corporelle. Dans le premier cas, la dénomination est alors moins restrictive, car elle dénote des conditions physiologiques qui ne concernent pas exclusivement les organes génitaux. On remarque que l’adjectivation sexuel·e est presque toujours préférée au complément du nom du sexe alors même qu’elle est plus polysémique. En effet, sexuel·e

peut référer aussi bien au sexe comme organe, qu’au sexe comme pratique, alors même que du sexe désambiguïse le syntagme en ce que le groupe prépositionnel ne peut porter que sur la matérialité corporelle et pas sur la sexualité. L’adjectif sexué·e n’est d’ailleurs jamais utilisé.

Concernant la fréquence et la répartition de ces désignations, c’est ambiguïté sexuelle que l’on retrouve le plus souvent, même si la dénomination est controversée, ce qui fait qu’elle tend à se faire moins fréquente au fil des années 2010. Il faut noter que

différenciation et détermination renvoient à des référents différents : la différenciation sexuelle

renvoie au sexe hormonal et phénotypique (étudié notamment par l’endocrinologie) tandis que la détermination sexuelle renvoie aux chromosomes sexuels (étudiés par la biologie moléculaire). L’emploi plus fréquent de ces syntagmes à partir de la deuxième moitié des années 2000 doit être relié aux remarques faites plus haut concernant la volonté de visibiliser les recherches génétiques et chromosomiques sur le sexe dans la communauté médicale. Dans le même ordre d’idées, on observe après 2008 quelques essais pour former des dénominations à partir de Disorders of Sex Development : troubles du développement du sexe mais aussi le calque désordres de la différenciation sexuelle. Au-delà de ces considérations diachroniques, il est difficile d’associer une dénomination à une spécialité médicale : chacune de celles-ci ne semble pas être employée dans un champ médical spécifique. De plus les articles sont souvent co-écrits par des soignants venant de différentes spécialités, ce qui rend délicat un tel type d’observation. La seule

61 Dans le corpus d’articles de psychologie et de psychiatrie, on retrouve en plus : anomalie de la différenciation du sexe, anomalie du développement des organes génitaux internes et/ou externes,anomalie du développement génito-sexuel, intersexuation, variation anatomique des OGE.

exception reste la psychiatrie et la psychologie, qui utilisent intersexuation encore aujourd’hui.

2.2.1.2 Énoncés métalinguistiques sur le choix des termes

L’instabilité dénominative peut également être observée dans les réflexions métalinguistiques sur le choix des termes. La présence d’énoncés métalinguistiques est récurrente dans la littérature technique et scientifique comme l’explique Kocourek :

Les termes sont en effet expliqués dans les textes et […], par conséquent, nous avons accès à l’hermétisme par le truchement des segments des textes du type métalinguistique au sens large […]. Ces segments définitoires, paradéfinitoires, synonymiques, paraphrastiques, reformulatoires, assignent le sens aux signifiants qui, pour un usager donné, en sont privés. (Kocourek 1991 : 23)

Ainsi on retrouve par exemple :

(1) M32-1

Le terme « hermaphrodisme » couvre toutes les discordances observées entre le phénotype et le génotype sexuel : il est à préférer à celui d’ambiguïté sexuelle qui ne se réfère qu’aux organes génitaux externes.

(2) M65-1

L’« intersexualité », terme récemment remplacé par « troubles du développement du sexe » (DSD), se réfère à des individus avec une différenciation sexuelle somatique atypique.

(3) M132-1

La confusion règne toujours dans ce que les uns et les autres entendent par l’acronyme DSD (disorders of sex development), que l’on pourrait traduire en français par « anomalies congénitales de la différenciation génito-sexuelle ». Cet acronyme a été inventé lors de la conférence de consensus de Chicago en 2005, essentiellement sous les pressions exercées par les associations de patients qui considéraient la terminologie classique comme offensante et irrespectueuse à leur égard. Ainsi, les termes intersexualité, pseudohermaphrodisme, sous-virilisation, sous-masculinisation ou encore ambiguïtés sexuelles ont été condamnés sans appel. Une nouvelle classification des DSD est alors née, basée essentiellement sur le profil chromosomique des patients.

L’auteure de l’énoncé (1) refuse le terme ambiguïté sexuelle (pourtant le plus courant) et choisit hermaphrodisme (déjà critiqué à l’époque de l’article en 2004). Les énoncés (2) et (3) postérieurs à la « controverse DSD » en portent précisément la trace et insistent sur leur choix de DSD par rapport à « intersexualité, pseudohermaphrodisme, sous-virilisation, sous-masculinisation ou encore ambiguïtés sexuelles ». Dans l’énoncé (1), le choix de terme est justifié par l’adéquation du terme et du référent, tandis que dans l’énoncé (3), c’est pour des raisons éthiques (« la terminologie classique [considérée comme] offensante et irrespectueuse ») que le terme

Cette justification double (soit qui met l’accent sur l’adéquation des termes au réel, soit qui se concentre sur les effets des dénominations sur les patient·es) se retrouve également chez les psychiatres et les psychologues chez qui les discours sur les dénominations sont les plus nombreux. Chez certains·es, le changement de dénomination est lié à la nécessité d’englober un plus grand nombre de référents :

(4) M61-1

Le terme d’intersexuation, souvent confondu à tort avec ambiguïté génitale, a été remplacé en 2005–2006 par celui de disorders of sex development (DSD), « troubles du développement du sexe », qui couvre une gamme de troubles plus large: « conditions congénitales dans lesquelles le développement du sexe chromosomique, gonadique ou anatomique est atypique » […]

(5) M69-4

L’intersexualité n’est pas un problème de genre. Les intersexués ne sont pas de genre hermaphrodite, d’où la récusation des termes d’hermaphrodisme et de pseudohermaphrodisme utilisés pour la classification médicale qui stigmatisent l’enfant dans un genre erroné. Le terme proposé est celui de disorders of sex development qui englobe l’ensemble des tableaux regroupés sous le terme d’intersexualité.

Ainsi, l’énoncé (4) insiste sur le fait que DSD « couvre une gamme de troubles plus large », tandis que l’énoncé (5) explique que le terme « englobe l’ensemble des tableaux regroupés sous le terme d’intersexualité » sans porter de confusion quant au genre.

Dans les articles plus récents (postérieurs à la « controverse DSD », l’accent est mis sur les usages de la dénomination en contexte, comme on a pu l’entrevoir dans l’énoncé (5). Il ne s’agit pas d’avoir le mot le plus adéquat pour nommer les variations du sexe, mais de considérer la manière dont ces mots sont reçus par les patient·es et leurs parents. Les réflexions sur les dénominations se chargent alors d’enjeux éthiques :

(6) M73

Nous utiliserons dans le cadre de ce texte le terme « intersexuation » plutôt que « trouble du développement du sexe (DSD) ». Il ne s’agit pas de proposer une nouvelle catégorie d’individus (telle que « intersexuels » par exemple) que l’anomalie congénitale distinguerait ou de sous-entendre un groupe de sujets à la sexualité spécifique (choix d’objet), au même titre que les militants de la cause LGBT.

De manière tout à fait intéressante, l’énoncé (6) met l’accent sur la préférence de la dénomination intersexuation, pour le même type de raisons qui dans l’énoncé (5) faisaient refuser précisément ce terme : en (6), intersexuation est préféré à DSD pour ne pas « proposer une nouvelle catégorie d’individus ou […] sous-entendre un groupe de sujets à la sexualité spécifique », en (5), DSD62 était préféré à intersexualité qui « stigmatise[…] l’enfant dans un genre erroné ». Les connotations attachées aux termes désignant les variations du sexe ne sont donc pas les mêmes selon les auteur·es,

62 On peut d’ailleurs noter que passer par l’acronyme (souvent d’une expression en anglais) permet également de neutraliser la dimension sexuelle des dénominations.

qui fournissent des justifications inverses. Il faut noter que les articles dont sont issus ces énoncés datent respectivement de 2008 et 2009 ; il ne s’agit pas d’une évolution terminologique, mais bien d’une difficulté profonde à nommer les variations du sexe et s’accorder sur la meilleure dénomination à employer. On note par ailleurs que le terme

DSD est refusé en (6) car il relierait l’intersexuation à des questions de minorités sexuelles. Je reviendrai sur ce point au chapitre 3.

Par ailleurs, on note que si dans un premier temps la dénomination DSD/ADS

est valorisée, elle est immédiatement remise en question dans la seconde moitié des années 2010 (l’énoncé (7) provient d’un article datant du début de l’année 2010, le (8) date de 2012) :

(7) M94-1

Ce discours est dérangeant à tel point que, depuis quelques années, la nomination même du trouble fait l’objet de différends entre patients, familles et médecins. [...] Si ambiguïté sexuelle fut la nomination usuelle jusqu’à ces dernières années, désormais c’est la désignation anglo-saxonne qui prévaut : DSD, disorder of sex development, ou française : ADS, anomalie de la différenciation sexuelle.

(8) M109-3

Aujourd’hui, il nous semble que l’expression « anomalie du développement sexuel » est équivoque et non adaptée. Ainsi, ‘anomalie’ est un terme dont la connotation sociale est normative et de facto stigmatise. « Développement sexuel » quant à lui est potentiellement générateur et témoin d’une confusion, d’une ambiguïté que la traduction française rend avec plus d’acuité. En effet, comment ne pas risquer de superposer « développement sexuel » et « développement (psycho)sexuel » au sens freudien ?

La dénomination ADS (traduction siglée de disorders of sex development) est considérée en (7) comme une possibilité de mettre fin aux « différends entre patients, familles et médecins » ; dans l’énoncé (8) le terme est considéré comme « potentiellement générateur et témoin d’une confusion, d’une ambiguïté ». Le terme

DSD semble donc poser les mêmes problèmes de connotation négative que les termes qu’il devait remplacer précisément pour cette raison.

Au-delà de cette instabilité dénominative, il faut noter que les variations du sexe ne sont jamais définies. Je n’ai en effet trouvé aucun énoncé définitoire dans le corpus (au sens de Riegel (1987) et de ce qu’il appelle « définition naturelle »). Elles sont parfois décrites, comme on le verra plus loin. Mais il n’y a pas de définitions de ce que sont l’intersexualité ou les ambiguïtés sexuelles ou de n’importe quel autre terme hyperonymique. Ceci va à l’encontre de ce qu’on attend d’ouvrages scientifiques, qui habituellement définissent les termes utilisés (Kocourek 1991 ; Mortureux 1995).

Les variations du sexe sont donc nommées de multiples manières ; cette prolifération dénominative est sujette à des énoncés métalinguistiques dont les

pratique technique, réclamerait une relative stabilité dans les termes et que ceux-ci soient définis, on voit qu’en ce qui concerne les variations du sexe, c’est plutôt le flou et l’instabilité qui prédominent.

2.2.2 Taxonomies des variations du sexe et dénominations des différentes conditions intersexes

Les articles médicaux présentent d’intéressantes variations dans les dénominations des différentes conditions intersexes qu’ils exposent et qui sont organisées en taxinomies.

2.2.2.1 Taxonomies des variations du sexe

Si les articles généralistes sur les variations du sexe ne définissent pas ces dernières, ils s’organisent autour de classements des différentes conditions intersexes. Les variations du sexe sont alors divisées en groupes de pathologies, eux-mêmes subdivisés en sous-groupes. Ainsi, se créent dans les articles médicaux des relations d’hyperonymie ; c’est à travers celles-ci (et pas à travers des énoncés définitoires) qu’on peut entrevoir ce que nomment les dénominations des variations du sexe. On peut considérer qu’il s’agit là de taxonomies des variations du sexe, même si celles-ci sont en fait peu contraintes par des niveaux de taxons préétablis comme le sont généralement les taxonomies scientifiques (Tillier 2005). En effet, les catégories superordonnées des variations du sexe sont extrêmement variables, et on peut considérer qu’il s’agit de taxonomies assez peu rigoureuses et proches (par leur variabilité) de celles qu’on trouve dans le langage ordinaire (Gerhard-Krait & Vassiliadou 2015). Il faut préciser que ces taxinomies ne sont pas retrouvées en tant que telles textuellement ; chaque taxon étant généralement accompagné d’un petit paragraphe explicatif, que pour plus de lisibilité je ne reproduis pas ici et que j’étudierai dans la section suivante.

Au sein du même numéro de la revue Pédiatrie et Puériculture de 2002 on retrouve par exemple :

(9) M16-1

Intersexualités/ambiguïtés sexuelles Pseudo-hermaphrodismes féminins Pseudo-hermaphrodismes masculins

o Insuffisance de production de testostérone

o Déficit en 5 α-réductase

o Anomalies de la réceptivité aux androgènes

o Pseudo-hermaphrodismes masculins idiopathiques

o Hommes à utérus Anomalies gonadiques

o Dysgénésies gonadiques

10) M20-1

Principaux cadres pathologiques comportant une ambiguïté sexuelle Anomalie génitale isolée

o caryotype 46XX (ou pseudo-hermaphrodisme féminin) § hyperplasie congénitale des surrénales

§ 46XX et SRY

§ virilisation d’origine maternelle

o caryotype 46XY (ou pseudo-hermaphrodisme masculin) § insensibilité aux androgènes

§ déficit enzymatique en 5 α-réductase § mutation du gène SRY

Syndromes polymalformatifs

On note que les dénominations sont variables : anomalies de la réceptivité aux androgènes et insensibilité aux androgènes nomment par exemple le même phénomène. Le deuxième article (10) fait apparaître un niveau de taxons supplémentaire (Anomalie génitale isolée, syndromes polymalformatifs) ; le taxon anomalies gonadiques n’apparaît pas dans ce classement, tout comme hommes à utérus qui étaient présents dans le premier (9). Ces exemples (que l’on pourrait répéter) font apparaître la variabilité des taxonomies des variations du sexe. Il semble alors intéressant d’étudier l’organisation et les relations hyperonymiques des composants ces taxinomies, dans leurs variations.