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Nomenclature, Classification et Phylogénie

Vu l’importance en nombre et l’extrême diversité des P450s exprimés dans le monde vivant, sans méthodologie stricte, on risquerait de se perdre dans un brouillard d’informations. Ainsi, il a été convenu de répertorier chaque P450 selon une nomenclature particulière. Cette dernière a été arbitrairement choisie, en fonction du degré d’identité entre chaque P450. Un autre regroupement a pu également être décrit, reposant cette fois-ci sur la fonctionnalité des P450s, et plus précisément, la manière dont ces derniers reçoivent les électrons nécessaires à leurs activités. On parlera alors de classification. Bien évidemment, ces deux éléments permettent d’apporter suffisamment d’informations pertinentes à la réalisation d’un modèle d’évolution, qui peut être décrit par la phylogénie.

1.2.1 Nomenclature

Depuis 1989, une appellation systématique des P450s a été mise en place, périodiquement mise à jour depuis (Nebert et al., 1989a et b, 1991a ; Nelson et al., 1993, 1996). Cette nomenclature utilise le symbole CYP (ou Cyp chez la souris et la drosophile) comme abréviation pour le terme cytochrome P450 (aussi bien ADNc, ARNm que protéine), symbole qu’on retrouve en italique (CYP) lorsqu’il fait référence au gène. La lettre P qui est parfois trouvé après un gène informe quant à lui qu’on a affaire à un pseudogène. Il a donc été convenu que les CYPs soient classés en fonction de leur degré de similitude dans leur séquence primaire2 (séquence en acides aminés) (voir aussi le site internet de David Nelson à l’adresse http://drnelson.utmem.edu/CytochromeP450.html) comme suit :

- Appartiennent à la même famille (désigné par un chiffre arabe, CYP1, CYP2, …), les CYPs ayant un degré de similitude supérieur à 40% ;

- A la même sous-famille (représentée par une lettre majuscule, CYP2B, CYP2C, …), les CYPs ayant un degré de similitude supérieur à 55%

- Enfin, les isoformes appartenant à une même sous famille sont différenciés par un chiffre arabe (CYP2C8, CYP2C9,…).

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Il existe des cas particuliers pour les CYP responsable du métabolisme des stéroïdes où l’ancienne nomenclature subsiste : le nombre juste après CYP correspond alors au numéro de l’atome du substrat où s’opère la réaction de monoxygénation. C’est le cas pour le CYP 19 par exemple.

Alors que ce système fut initialement mis en place de façon arbitraire, ce choix de classification par degré de similitude s’est révélé être assez judicieux et approprié, compte tenu qu’il permet de séparer les différentes familles et sous-familles de façon satisfaisante dans la majorité des cas. Bien évidemment, certains regroupements demeurent inexacts.

En se basant sur cette similitude entre les séquences et dans certains cas en tenant compte des activités catalytiques, il a donc été possible de déterminer si deux gènes étaient issus ou non d’une duplication de gènes phylogénétiques. En raison du nombre de familles devenu très important, un niveau supplémentaire de regroupement est requis. Les clans font alors leur apparition et rassemblent les familles qui appartiennent à un même groupe (issu d’un même gène ancestral) d’après de nombreux arbres phylogénétiques établis auparavant (Nelson, 1999). Ces clans sont désignés par le chiffre le plus petit des familles qu’ils regroupent ou par le chiffre de la famille majoritaire. Ainsi, le clan 2 regroupe la famille de CYP2 de même que les familles CYP1, 17, 18 et 21.

Outre cette classification standard, les divers CYP se distinguent aussi par deux autres critères : leur spécificité de substrat et la classe de molécules entraînant l’augmentation de l’expression. Néanmoins, bien que les CYPs puissent se distinguer par leur spécificité au substrat, cette dernière caractéristique peut être chevauchante comme il a été déjà mentionné précédemment : un CYP peut ainsi métaboliser plusieurs substrats et un substrat peut être métabolisé par plusieurs CYPs. On peut donner à titre d’exemple le cas de la morphine qui peut être soit métabolisée par les CYP3A4 et 2C8 (Projean et al., 2003). Un aperçu des CYPs et de leurs substrats est disponible sur le site Internet

http://www.edhayes.com/startp450.html.

1.2.2 Classification

Les CYPs catalysant principalement des réactions de mono-oxygénation, un apport d’électron au substrat est donc nécessaire. Ces électrons sont fournis par le NADPH ou le NADH. Ainsi, les CYPs ont été divisés en plusieurs grandes classes selon différents critères, tels que la façon dont les électrons sont transportés du NAD(P)H au site catalytique. A ce jour, deux nomenclatures sont utilisées pour différencier ces CYPs : (a) une ancienne nomenclature comprenant seulement 4 classes, adoptée de tous, et (b) une plus récente décrit par Hannemann en 2006 qui distingue 10 classes. L’intérêt de cette dernière nomenclature est discutable, mais semble être plus rigoureuse pour départager certains regroupements qui hébergent des cas particuliers. Néanmoins, dans ce manuscrit, c’est la classification en 4 classes qui sera utilisée.

1.2.2.1 Classification à 4 classes

Figure 1-7 Partenaires de transfert d'électrons des CYPs (d’après Paine et al., 2005). La classe I comprend les P450s mitochondriaux (A), la majorité des P450s solubles (B) et certains systèmes fusionnés, dont le CYP RhF est un représentant (C). La classe II comprend les P450s du RE (D) et les P450s qui incluent la ferredoxine à deux flavines comme P450BM3 (E) Fx : ferredoxine, FxR : ferredoxine réductase, CPR : CYP réductase

Dans la classification originale, on distingue deux classes majoritaires de transfert d’électrons (Paine et al., 2005) (cf. Figure 1-7). Deux autres classes sont également rencontrées, mais beaucoup plus rarement.

- La classe I fait intervenir dans la chaîne de transfert d’électrons des enzymes à centre fer- soufre. Les électrons du NAD(P)H sont prélevés par une ferrodoxine réductase à flavine (FAD) puis transmis à une ferrodoxine à centre fer-soufre Fe2S2. Cette ferrodoxine transfère ensuite

les électrons au P450 pour permettre la catalyse. Cette classe contient la très grande majorité des P450s bactériens et les P450s mitochondriaux. Il conviendrait d’ajouter à cette classe des nouveaux systèmes identifiés récemment comme le P450RhF (Roberts et al., 2002), qui est une protéine de fusion contenant une réductase à flavine et FMN, une protéine type ferredoxine à centre fer-soufre et le cytochrome P450.

- La classe II des P450s est la plus commune chez les eucaryotes, à l’origine de réactions catalytiques extrêmement diverses et variés. Les CYPs de cette classe sont trouvés au niveau du RE et requièrent une NADPH-Cytochrome P450 réductase (CPR) qui contient les groupements prosthétiques FAD et FMN. Cette dernière est issue d’une fusion de deux protéines ancestrales : elle montre une partie N-terminale homologue avec une flavodoxine bactérienne à FMN et une partie C-terminale homologue avec une ferrodoxine NADP+

réductase à FAD et avec une NADPH-cytochrome b5 réductase. Dans le système microsomal de P450s, en plus de la CPR précédemment décrite, on retrouve aussi un autre système qui n’est pas spécifique des P450s, faisant intervenir un cytochrome b5. Ce dernier est en mesure de transférer lui aussi des électrons au P450, après avoir reçu ces électrons soit par la CPR soit par la NADH-cytochrome b5 réductase. Dans la nomenclature à 4 classes, le P450BM3 issu de

Bascillus megaterium et la NO-synthase apparaissent toutes deux dans cette classe, ce qui n’est pas le cas dans la nomenclature à 10 classes.

- Le P450nor catalyse la réduction du monoxyde d’azote NO et reçoit ses électrons directement

du NADH, sans protéine intermédiaire (Takaya et al., 1999). Ce P450 est le seul représentant de la classe IV.

- D’autres P450 catalysent des isomérisations ou des déshydratations, et ne nécessitent pas d’apport d’électrons extérieurs ou d’oxygène moléculaire. Les substrats transformés sont généralement riches en électrons, comme des hydroperoxydes ou des endoperoxydes. Bien qu’aucun système de transfert d’électrons ne soit présent, la classe III est tout de même défini et comprend ces systèmes. La récente P450PCIS humaine (qui est une isomérase) fait partie de

cette classe (Strushkevich et al., en attente de publication).

1.2.2.2 Classification à 10 classes

La classification précédemment décrite est la plus connue, et admise de toute la communauté scientifique. Néanmoins, il existe des cas pour lesquels le regroupement tel qu’il a été décrit ne semble pas des plus appropriés, notamment pour des CYPs bactériens. Ceux-ci ont amené Hannemann à proposer une autre classification (Hannemann et al., 2006), toujours basée sur le transfert d’électrons, mais plus adaptée pour ces cas particuliers. Les principaux changements observés, outre le nombre de classes, est principalement la sortie de certains de ces P450s de procaryotes d’une certaine classe (des classes I et II) pour former une nouvelle classe à eux seuls.

Le Tableau 1.3 et la Figure 1-8 qui suivent, résument et illustrent les principales caractéristiques permettant de regrouper les P450s selon cette nouvelle classification.

Tableau 1.3 Classes des systèmes P450s, classées selon la topologie des partenaires redox impliqués dans le transfert d’électrons au CYP (d’après Hannermann, 2006).

Classe / Source Chaîne de transport d’électron Localisation / Remarques

Classe I Bactérienne Mitochondriale

NAD(P)H > [FdR] > [Fdx]a> [P450]

NADPH > [FdR] > [Fdx] > [P450] Cytosolique, soluble P450 : membrane interne des mitochondries

FdR : membrane associée

Fdx : matrice mitochondriale, soluble Classe II Bactérienne Microsomale A Microsomale B Microsomale C NADH > [CPR] > [P450] NADPH > [CPR] > [P450] NADH > [CPR] > [cytb5] > [P450] NADH > [cytb5Red] > [cytb5] > [P450]

Cytosolique, soluble ; Streptomyces carbophilus

Ancrée à la membrane, ER Ancrée à la membrane, ER Ancrée à la membrane, ER Classe III

Bactérienne NAD(P)H > [FdR] > [Fldx] > [P450] Cytosolique, soluble ; Citrobacter braakii

Similaire à la classe II, mais sans l’entité CPR

Classe IV

Bactérienne Pyruvate, CoA > [OFOR] > [Fdx] > [P450] Cytosolique, soluble ; Sulfolobus tokadaii

Classe des P450s thermophiles (ex CYP 119) Classe V

Bactérienne NADPH > [FdR] > [Fdx–P450] Cytosolique, soluble ; Methylococcus

capsulatarus Classe VI

Bactérienne NAD(P)H > [FdR] > [Fldx–P450] Cytosolique, soluble ; Rhodococcus

rhodochrous strain 11Y Classe VII

Bactérienne NADH > [PFOR–P450] Cytosolique, soluble ; Rhodococcus sp. strain

NCIMB 9784, Burkholderia sp., Ralstonia metallidurans

Cas du P450RhF Classe VIII

Bactérienne, fungique NADPH > [CPR–P450] Cytosolique, soluble ; Bacillus megaterium,

Fusarium oxysporum Cas du P450BM3 Classe IX

Seule NADH

dépendant, fungique

NADH > [P450] Cytosolique, soluble ; Fusarium oxysporum

Seul représentant : P450nor Classe X

Indépendant chez la plante/mammifère

[P450] Liée à la membrane, ER

Anciennement la classe III

Abréviation pour les partenaires contenant les centres redox suivants : Fdx (complexe fer-sulfure) ; FdR, Ferrodoxine réductase (FAD); CPR, cytochrome P450 réductase (FAD, FMN) ; Fldx, Flavodoxine (FMN) ; OFOR, 2-oxyacid:ferrodoxine oxydoréductase (complexe thiamine phosphate, [4Fe-4S]) ; PFOR, phthalate-family oxygénase réductase (FMN, complexe [2Fe-2S]).

Figure 1-8 Organisation schématique des différents systèmes de P450s. (A) Classe I, système bactérien ; (B) Classe I, système mitochondrial ; (C) Classe II, système microsomal ; (D) Classe III, système bactérien, ex. du P450cin ; (E) Classe IV, système bactérien thermophile ; (F) Classe V, système bactérien à [Fdx]–[P450] fusionné ; (G) Classe VI, système bactérien à [Fldx]–[P450] fusionné ; (H) Classe VII, système bactérien à [PFOR]–[P450] fusionné ; (I) Classe VIII, système bactérien à [CPR]–[P450] fusionné ; (J) Classe IX, système eucaryote P450nor ; (K) Classe X, système eucaryote indépendant, cas du P450TxA (source Hannemann et al., 2006)

1.2.3 Phylogénie

Pour remonter aux origines des P450s, les chercheurs ont essayé de retracer leur évolution au moyen de techniques phylogéniques. Cependant, la construction d’arbres phylogénétiques n’est pas aisée pour cet enzyme car elle se base sur des matrices de distances calculées à partir d’un alignement multiple en séquences primaires (MSA). Cet alignement dépend fortement du degré de similarité entre séquences utilisées. En raison des divergences en séquence primaire, il est facile de comprendre qu’un alignement multiple qui prendrait en compte tous les P450s serait difficilement réalisable. La classification des P450s en famille et sous famille, basée sur la similitude en séquence, a rendu plus abordable dans un premier temps, la construction d’arbres phylogénétiques ainsi que d’autres formes d’analyses qui étudient l’évolution des relations entre gènes de P450s.

Un nombre très varié de méthodes a été utilisé pour comparer les séquences de P450s conduisant la plupart du temps à des arbres assez proches pour un gène ancestral commun à 2 milliards d’années. La méthode largement utilisée pour investir l’évolution et les relations entre P450s est celle de l’UPGMA (Unweighted Pair Group Method of Analysis) (Nelson et Strobel, 1987 ; Gotoh et Fujii- Kuriyama, 1989 ; Nebert et al., 1991 ; Nebert et Gonzalez, 1987 ). Nebert et Nelson ont également exploré les variations au sein des arbres phylogénétiques produits par le Neighbor Joining (NJ) et l’UPGMA pour 39 séquences, où ils trouvèrent une légère différence entre les deux méthodes principalement en raison des familles de CYP1 et CYP2. Toutes les méthodes d’analyse de séquences ont montré que la forme bactérienne CYP102 (P450BM3) du Bascillus megaterium se regroupe avec les

P450s d’eucaryotes, tandis que les autres formes de procaryotes ségrégent clairement dans des classes différentes. Une des raisons évoquées serait liée à la similitude des partenaires redox partagés par CYP102 et les P450s microsomaux d’eucaryotes comme il a été vu précédemment lors des classifications à 4 formes.

Au final, un arbre simplifié (cf. Figure 1-9) a été proposé où partant d’un gène ancestral commun (il y a 2 milliards d’années) qui se serait dupliqué. Les gènes ainsi créés auraient alors divergé, faisant apparaître progressivement une multitude de familles, sous-familles et d’isoformes de CYP. Au cours de l’évolution, ces gènes qui se sont considérablement diversifiés, ont vraisemblablement participé à l’adaptation des organismes aux changements de biotope. Cette diversification est corrélée au passage d’une atmosphère originellement réductrice à une atmosphère plus oxydante sous l’effet de la production de dioxygène par les organismes photosynthétiques. La pression actuelle en oxygène a

ainsi crû rapidement de façon exponentielle avec le temps. Ceci serait une cause probable de la non linéarité de l’évolution des CYPs.

Figure 1-9 Arbre phylogénique simplifié des cytochromes P450 (d'après Lewis, 2001). Les CYPs (CYP1 à 4) qui interviennent dans le métabolisme des xénobiotiques sont annotés en rouge (où EMX signifie Enzyme du métabolisme des Xénobiotiques). Il est admis que ces familles CYPs ont évolué puis divergé vers le monde animal pour permettre une adaptation et/ou une protection vis-à-vis de composés nouveaux et/ou toxiques synthétisés par les végétaux. Les CYP11A, 11B, 17,19 et 21 interviennent dans la synthèse d’hormones stéroïdiennes en catalysant des réactions d’hydroxylations.