• Aucun résultat trouvé

II – NEUROSCIENCES ET HYSTÉRIE

2. Neurophysiologie et la dualité émotions cognition

Le système limbique est le support des réactions émotionnelles136 et particulièrement l‟amygdale (voir planche 1.D) qui est un élément central des structures impliquées dans le contrôle des émotions. Elle reçoit des connexions des cortex somesthésiques et sensoriels. Elle est connectée au cortex orbito-frontal (impliqué dans la prise de décision), à l‟hippocampe (impliqué dans la mémoire) et aux noyaux gris centraux (thalamus, striatum, noyau caudé entre autres). Elle est aussi connectée à l‟hypothalamus et à des structures du tronc cérébral, indiquant par là son rôle dans le déclenchement des réactions végétatives et

endocriniennes émotionnelles. « Ainsi, l‟amygdale, par ses connexions, serait le lieu d‟intégration de la composante émotionnelle des informations véhiculées par les voies sensitives et sensorielles dont elle permettrait, en lien avec la mémoire, d‟en dégager la signification et de moduler les réponses biologiques et comportementales. ».

Les modifications somatiques dues à l‟état émotionnel font retour, via le nerf vague et le bulbe, vers l‟amygdale (et l‟insula). Puis de là vers les cortex frontal, temporal et pariétal.

Ce qui a fait dire à William James que ce sont les réactions viscérales provoquées par un stimulus qui engendrent, dans un deuxième temps, le vécu émotionnel subjectif. Plusieurs conceptions de cette « conscience » des états émotionnels peuvent être envisagées137 :

1. Les émotions sont la cause des réponses somatiques

2. Les émotions et les réponses somatiques sont concomitantes 3. Les réponses somatiques sont la cause des émotions

4. Dans cette dernière vue plus récente, tous les composants du système nerveux et des réponses viscérales qui traitent des émotions sont en interaction. L‟importance est déplacée sur l‟interprétation qui est faite du stimulus à l‟origine des émotions ressenties.

Il existe dans ces conceptions du vécu émotionnel une dualité entre « cerveau viscéral » (limbique) et « cerveau cognitif » (cortex) qui se redouble d‟une dichotomie entre sensation et perception de l‟émotion. Le soma n‟étant au fond qu‟un témoin, un révélateur de l‟état émotionnel, voire une machine aux ordres du cerveau permettant de s‟éloigner ou de se rapprocher du stimulus émotionnel. Le corps, comme vécu subjectif de l‟émotion, acteur intéressé au premier plan par l‟émotion, passe derrière la pensée-cerveau corticalisée. La représentation de la perception devient prééminente sur le vécu corporel de l‟émotion. Le soma devient une sorte d‟appendice, d‟indicateur sensoriel qui spécifie ou qui confirme la présence d‟une émotion dans le champ de la perception. La psyché est enrobée et nourrie de soma protecteur. Ce dualisme soma Ŕ psyché fait fi du corps.

Une autre difficulté surgit quand on s‟aperçoit de ce que les physiologistes entendent par émotions des composantes primitives, voire instinctuelles des comportements : par exemple la faim, la soif, la peur, l‟agressivité. On est loin des affects ou des colorations émotionnelles qui forment la subjectivité du sujet.

137

J.Panksepp. 1998. Affective neuroscience. The foundation of human and animal emotions. Oxford University Press, pp33.

Voici comment Panksepp définit les émotions138 : Dans la perspective des neurosciences de l‟affectivité, une définition des émotions doit être opérationnelle aussi bien dans le domaine des neurosciences que dans celui de la psychologie et du comportement. L‟auteur relève sept critères pour définir une approche opérationnelle des émotions :

1. Il existe des circuits nerveux déterminés génétiquement et qui répondent automatiquement aux nécessités vitales de l‟organisme.

2. Ces circuits sont responsables de différents comportements Ŕ en activant ou inhibant des programmes moteurs et les changements hormonaux afférents Ŕ, permettant une adaptation de l‟organisme aux conditions de l‟environnement ; comportements qui ont été sélectionnés par l‟espèce au cours de l‟évolution.

3. Ces circuits de l‟émotion font varier la sensibilité des systèmes sensoriels impliqués dans les comportements.

4. L‟activité des circuits neuronaux impliqués dans les émotions dure au-delà de la présentation des stimuli (rémanence de la perception).

5. Les circuits de l‟émotion peuvent être activés par des stimuli « émotionnellement neutres ».

6. Il existe des interactions entre les circuits des émotions et les circuits responsables de fonctions élaborées comme la prise de décision et la conscience.

7. Les circuits des émotions doivent être capables d‟engendrer des affects. Ceci implique que les affects émergent des interactions des systèmes précédents et des circuits nerveux qui sous-tendent les mécanismes du « soi ».

Ces axiomes appellent quelques commentaires :

Le point 5 est particulièrement sensible. Il indique que les processus émotionnels peuvent être engendrés par des stimuli « neutres » émotionnellement. Cela sous- entend que ces « stimuli neutres » peuvent engendrer par « contiguïté » et par association avec des traces mnésiques des vécus émotionnels. Nous pouvons le rapprocher avec l‟idée freudienne du déplacement et de la condensation des traces mnésiques.

Les affects sont vus comme une subjectivation par le sujet des émotions (point 7). Nous retombons ici dans une dichotomie, voire un dualisme entre l‟objectivité des émotions (dans le sens où elles sont référées à l‟activité de circuits neuronaux) et la subjectivité des

affects (en tant qu‟ils seraient construction du sujet qui parle à la première personne). Une fois de plus, la dualité se retrouve entre processus sensoriels objectifs et processus perceptuels subjectifs, entre le réel des circuits neuronaux, et des mécanismes physiologiques, et le ressenti psychique des affects qui finalement serait imagination, représentation, voire hallucination du réel. Le sujet est donc agi par des mécanismes neuro-physiologiques (image de l‟inconscient dit cognitif) et la psyché « invente » une réalité subjective et une interprétation des sensations et de la situation. La psyché, la subjectivité deviennent une sorte d‟épiphénomène, une excroissance secondaire parasitant éventuellement les processus moteurs et cognitifs (point 6).

Le point 6 montre aussi que les émotions sont séparées de la conscience, elles sont vues comme une de ses composantes. La difficulté d‟intégrer la subjectivité des affects dans une théorie consistante en neuroscience se déplace alors vers une théorisation de la conscience, enjeu des neurosciences depuis les années 2000.

Si nous comparons cette conception des émotions avec les résultats de nos analyses précédentes, nous notons une apparente contradiction dans notre interprétation : d‟un côté existe une dualité entre « cerveau cognitif » et « cerveau viscéral » où le soma est relégué au second plan, de l‟autre côté la psyché devient un épiphénomène des mécanismes neurologiques.

Schématisons cette situation :

Le cerveau cognitif occupe une place centrale dans ce schéma. Il est capable de moduler les émotions, voire de les engendrer par son action sur le cerveau « viscéral ». Cette modulation des émotions se ferait par un contrôle cortical sur les aires du cerveau limbique. Ce que la neuropsychologie appelle : la cognition sociale.

« Cerveau cognitif » Psyché « Cerveau viscéral » Soma Émergence Psychosomatique