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a) L’identité psychoneurale (ou identité psychophysique, ou identité de l’esprit et du corps)

3) L’argument de la causalité mentale

Dans l‟exemple de la douleur, nous ressentons « un sentiment d‟affliction passager et le souhait de s‟en débarrasser »149

par retrait du membre douloureux (la main qui s‟est fait piquer par exemple). Nous pouvons dire que l‟état mental N = douleur entraîne le retrait de la main en « empruntant » la chaîne des évènements neurophysiologiques (chaîne causale).

La théorie psychoneurale postule donc une identité entre état neural N et évènement mental (la douleur) afin d‟affirmer qu‟il n‟y a qu‟une seule cause au retrait de la main. Si ce n‟était pas le cas, il y aurait deux causes, une neurale et une mentale (douleur), qui présideraient au retrait de la main.

Se pose alors le problème de l‟identité. Que signifie « identité » psycho- neurale (identité entre états mentaux et processus cérébraux) ?

148

Kim J. op. cit., p. 109.

« Lorsque X est identique à Y, on a qu‟un seul objet » et ils partagent les mêmes propriétés. Il suffit de trouver une seule propriété que n‟auraient pas X ou Y, pour pouvoir dire qu‟ils ne sont pas identiques150

.

Le physicalisme des occurrences postule que « tout évènement qui possède une propriété mentale possède aussi une certaine propriété physique »151.

Le physicalisme des types postule que « les propriétés mentales sont des propriétés physiques »152.

Pour faire comprendre la différence entre physicalisme des occurrences et physicalisme des types, Kim donne l‟exemple suivant :

(1) Chaque objet qui a une couleur a une forme (semble vrai) (2) Les couleurs sont identiques aux formes (semble faux)

La proposition (1) correspond au physicalisme des occurrences, alors que la (2) correspond au physicalisme des types.

Mais l‟argument me semble spécieux car l‟auteur assimile couleur à propriété mentale et assimile la forme à une propriété physique. D‟un point de vue neuronal, la perception d‟une forme ne peut être plus physique ou moins mentale que la perception d‟une couleur. La démonstration vacille avec cet exemple.

Est problématique dans le physicalisme des types, une fois de plus, l‟identité entre évènement mental et évènement physique. L‟identité psycho-physique reste hasardeuse.

Quant au physicalisme des occurrences, il se rapproche dangereusement de l‟associationnisme.

Il me semble que l‟épistémologie, à l‟œuvre ici, s‟embrouille quelque peu et ne fait que substituer un signifiant à la place d‟un autre signifiant, à la manière d‟une métaphore, sans cerner le problème central qu‟elle s‟est posée, à savoir celui de l‟identité psycho-neurale. La difficulté reste donc entière.

D‟après Kim, le physicalisme des occurrences serait un physicalisme non réductionniste, qui refuse de réduire états mentaux et états physiques ; et le physicalisme des types est une variété de physicalisme réductionniste qui postule que la disparition des états

150 Kim J. op. cit., p. 112 151

Kim J. op. cit., p. 114

mentaux « n‟entraînerait aucune diminution des vertus descriptives de notre langage ; le langage de la physique sera en principe adéquat et suffisant pour décrire la totalité des faits »153.

Nous sommes en droit de nous demander en quoi le fait de décrire des évènements mentaux en termes de langage de la physique (ou des mathématiques) change quoi que ce soit à la subjectivité du ressenti du sujet. Cette position physicaliste extrême éradique toute subjectivité du sujet, et ce faisant, pourquoi cela serait-il plus explicatif ou plus « scientifique » ou plus « vrai » ? Nous passons d‟une description « naïve » des phénomènes à un formalisme plus rigoureux en apparence (encore faudrait-il que ce formalisme soit consistant logiquement). Est-ce par ce changement de référence descriptive que l‟explication est plus « vraie » ? Mais qu‟est-ce que la vérité dans la science ?

Par ailleurs, il faut bien un sujet parlant pour dire ce qu‟il ressent. A-t-on déjà entendu un insecte parler de sa douleur, ou du fait qu‟il voyait du rouge ? Et que peut-on dire de l‟enregistrement de l‟activité de ces neurones, à part faire des corrélations avec des variables expérimentales contrôlées par un expérimentateur humain ?

Ces quelques réflexions sur le physicalisme des types amènent plusieurs remarques : - l‟identité neuro-psychique signifie que les états mentaux devraient survenir dans

n‟importe quel système nerveux suffisamment complexe, des insectes à l‟homme en passant par les limaces de mer154 ;

- on devrait pouvoir créer des machines complexes (à base de silicium) capables de rivaliser avec les êtres vivants dans leurs compétences cognitives et donc, avec des états mentaux ;

- à chaque architecture neurale en activité devrait correspondre un état mental particulier (il reste à faire la science qui ferait le pont entre architecture neuronale et propriétés mentales) ;

- d‟autre part, dans le cadre du physicalisme des types, la formalisation mathématique des réseaux de neurones et l‟implémentation dans des machines (robot, neurocomputing) devraient être poussées au maximum sans s‟interroger sur

153 Kim J. op. cit., p. 118 154

Voir par exemple : Koch C., Laurent G. 1999. Complexity and the nervous system. Science, vol. 284, p. 96-98.

la modélisation des états mentaux ou de la subjectivité. Cette position définit la science en tant qu‟explication formalisée des phénomènes observés. Cette formalisation fait office de preuve et de dévoilement du réel. Le symbolique recouvre le réel, le savoir de la science devient vérité absolue.

- tous les arguments contre le physicalisme des types émis dans les années soixante et soixante-dix155 ont battu en brèche les théories de l‟identité et ont ouvert la voie à un physicalisme non réductionniste, le fonctionnalisme.

Or il se trouve que la plupart des chercheurs en neurosciences acceptent de façon spontanée le physicalisme des types qui pourrait se condenser dans une seule formule : « le cerveau crée la pensée ».

b) Le fonctionnalisme

La théorie de l‟identité psychoneurale a laissé place, sous l‟influence d‟Hilary Putnam en particulier, au concept de « la réalisation multiple des états mentaux ». Celle-ci s‟appuie sur un principe simple : si les états mentaux existent, ils doivent s‟incarner dans un organisme biologique (des organismes les plus « simples », tel un insecte par exemple, au plus complexe tel l‟humain) ou des machines (robots, androïdes, calculateurs). Tout système suffisamment complexe, et quelle que soit sa chimie (carbone ou silicium), peut réaliser des activités mentales.

C‟est de ce principe que se supporte l‟analogie entre le cerveau et l‟ordinateur et qui ouvre l‟approche computationnelle des activités mentales. Si les états mentaux résultent de processus de calcul, peu importe le support d‟implémentation et l‟architecture des machines qui les soutiennent. L‟implémentation peut aussi bien se faire sur des machines qui utilisent des tubes à vide, des puces au silicium ou des neurones biologiques. Ce principe détermine l‟approche fonctionnaliste de l‟esprit.

Dans cette approche, les états mentaux relèvent plus de la programmation et de l‟architecture du traitement de l‟information que des matériaux qui constituent les machines

155

Putnam H. 2002. La nature des états mentaux. Philosophie de l’esprit, vol. 1, Paris, Vrin, p. 269-287.

ou les organismes. Mais dès lors se pose la question de la catégorisation des phénomènes psychiques et de la subjectivité.

Reprenons l‟exemple de la douleur évoqué par Kim : qu‟est-ce que la douleur pour un humain, un insecte et un androïde ?

Le physicaliste des types parlera de l‟activation des fibres C (ou un système équivalent), c'est- à-dire de l‟état d‟un système physique à un moment t.

Le comportementaliste dira que c‟est en observant le comportement de retrait, de fuite ou de cri que l‟on déterminer si tel organisme exprime de la douleur (c‟est un peu plus dur pour une machine !).

Pour un fonctionnaliste, la douleur est un état mental causal résultant de stimuli sensoriels (lésions tissulaires) et provoquant une réponse comportementale sauvegardant l‟organisme.

Le fonctionnalisme est une vue plus générale et plus sophistiquée du comportementalisme : les états mentaux jouent un rôle causal sur le comportement ainsi que sur d‟autres états mentaux, c‟est donc une approche holiste de l‟activité mentale. Mais dans cette approche, nous n‟avons toujours pas d‟explication du rôle causal des états mentaux, ni de leur nature.