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NERVEUX CENTRAL 1 Elaboration des modèles d’auto-immunité dans le SNC

a. Les outils expérimentaux

L’étude du système immunitaire chez les vertébrés nécessite des modèles animaux appropriés. Le choix de l’animal dépend de sa pertinence pour atteindre un but de recherche particulier. Dans la plupart des recherches en immunologie, la souris est l’animal expérimental de choix. Elle est facile à manipuler, elle est génétiquement bien caractérisée et elle a un cycle de reproduction rapide. Un autre aspect très avantageux chez la souris pour les immunologistes : la création de souches consanguines qui réduisent les variations expérimentales provoquées par les différences dans le génome des animaux expérimentaux. Des animaux génétiquement identiques sont ainsi produits par croisement de souris de même souche. De cette façon, l’hétérozygotie des allèles normalement rencontrée chez les souris accouplées au hasard est remplacée par une homozygotie au niveau de tous les locus. Ces modèles servent ainsi à étudier, aux vues de la syngénie de ces animaux, les caractères immunologiques dans un contexte génétique fixé.

Des dysfonctionnements auto-immuns semblables à certaines maladies auto-immunes humaines peuvent être induits expérimentalement chez certains animaux. Plusieurs méthodes, génétiques ou cellulaires, sont aujourd’hui disponibles.

Au plan génétique, nous pouvons citer les transferts de gènes isolés et clonés grâce à l’utilisation des techniques d’ADN recombinant. L’expression et la régulation de ces gènes ont été étudiées en les introduisant dans des cellules de mammifère en culture et plus récemment dans des lignées germinales d’animaux. Ce qui nous intéresse ici est le transfert de gènes clonés dans des embryons de souris qui permet la création de souris transgéniques et l’étude de la fonction du gène in vivo. En construisant un transgène avec un promoteur

particulier, il est ainsi aisé de contrôler l’expression de ce transgène donné. Par exemple, les souris transgéniques porteuses d’un transgène lié au promoteur de la MOG expriment le transgène dans le SNC au niveau des oligodendrocytes, mais pas dans les autres tissus. Étant donné qu’un transgène est intégré dans l’ADN chromosomique des embryons de souris au stade d’une cellule, il sera intégré à la fois dans les cellules somatiques et dans les cellules de la lignée germinale. Les souris transgéniques résultantes pourront donc transmettre le transgène à leur descendance comme un trait mendélien. Toute une variété de telles lignées transgéniques sont couramment disponibles et largement utilisées dans la recherche immunologique. Parmi ces dernières figurent des lignées porteuses de transgènes qui codent des immunoglobulines, des récepteurs T, des molécules de CMH de classe I ou de classe II, de nombreuses cytokines avec divers antigènes étrangers.

Cependant une des limitations des souris transgéniques est que le transgène est intégré au hasard dans le génome. Ceci signifie que certains transgènes s’insèrent dans des régions de l’ADN qui ne sont pas transcriptionnellement actives et où donc le gène ne pourra pas être exprimé. Pour contourner cette limitation, une technique a été développée, permettant à un gène choisi d’être dirigé vers des sites spécifiques au génome d’une souris. L’utilisation essentielle de cette technique a été de remplacer un gène normal par un allèle mutant ou une forme altérée du gène, invalidant ainsi la fonction du gène. Les souris transgéniques qui portent un tel gène invalidé sont appelées souris knock-out. Outre cette délétion d’un gène sélectionné, il est aussi possible de remplacer le gène endogène par une forme mutée de ce gène. Comme dans la stratégie d’invalidation d’un gène, des constructions d’ADN qui portent des mutations d’un gène particulier peuvent être échangées avec le gène endogène. Ce sont les souris knock-in. Récemment, en plus de ces délétions de gènes par criblage, de nouvelles stratégies expérimentales qui permettent la délétion spécifique d’un gène à étudier dans un tissu précisément choisi ont été élaborées. Ces techniques s’appuient sur l’utilisation de recombinases spécifiques de sites provenant de bactéries ou de levures. Le système le plus fréquemment utilisé est le sytème Cre/lox. La recombinase Cre, isolée du bactériophage P1, reconnaît un site spécifique de l’ADN de 34pb connu sous le nom de loxP et catalyse la recombinaison. Par conséquent les séquences d’ADN flanquées par loxP sont reconnues par Cre et l’évènement de recombinaison se traduit par la délétion des séquences d’ADN intercalées. La réelle innovation de cette technique est que l’expression du gène de la recombinase Cre peut être contrôlée par l’utilisation d’un promoteur spécifique de tissu.

Sur le plan cellulaire, une technique de transfert adoptif peut permettre d’étudier des populations isolées de cellules in vivo. Pour cela, plusieurs outils sont nécessaires comme les cultures primaires de cellules immunes dérivées du sang ou des organes lymphoïdes, les lignées cellulaires lymphoïdes clonées ou hybrides, ou encore l’utilisation de l’irradiation pour détruire le système lymphoïde ou hématopoïétique (suivant la dose d’irradiation utilisée).

b. Applications au SNC

i. Généralités

Si parmi les modèles animaux de maladies auto-immunes du SNC, les modèles spontanés, malheureusement peu nombreux, sont théoriquement les plus intéressants pour l’analyse des mécanismes lésionnels dans leur ensemble, d’autres modèles n’en restent pas moins utiles pour la compréhension des phénomènes d’auto-immunité, la mise au point et l’évolution de nouvelles approches thérapeutiques.

L’on peut citer par exemple les modèles de transfert à l’animal par des injections d’anticorps humains, ou les modèles induits par l’injection d’un auto-Ag, provoquant une activation et une prolifération de ces lymphocytes avec une réaction auto-immune au site anatomique de l’antigène. Il existe également des systèmes de croisement où des souris knock-out sont créées déficientes pour un gène. Il existe ainsi des souris déficientes en LT- CD4+ ou en LT-CD8+, pour des cytokines… Leur croisement avec des souris développant une pathologie auto-immune peut permettre d’approcher le rôle des gènes invalidés. Cependant, les plus utilisés restent les modèles transgéniques pour le TCR ou le BCR. Les gènes codant pour les récepteurs T ou les immunoglobulines correspondantes peuvent être séquencés et introduits par transgénèse dans le génome des animaux, ces animaux pouvant, spontanément ou secondairement après injection des antigènes, développer des phénomènes auto-immuns.

Avant de citer différents modèles animaux, il est intéressant de souligner que c’est grâce à un modèle animal de lapin d’une maladie auto-immune non pas du SNC mais du système nerveux périphérique que le mimétisme moléculaire (un des mécanismes plausibles de l’explication de la cause des maladies auto-immunes) a été décrit.

ii. Quelques exemples

En ce qui concerne l’auto-immunité du SNC, nous connaissons aujourd’hui plusieurs maladies auto-immunes qui affectent cet organe et qui sont sujettes à des recherches sur des modèles animaux.

Pour citer un exemple de maladie auto-immune du SNC spontanée nous pouvons décrire les modèles animaux donnant une neuropathie optique spontanée ou la maladie de DEVIC. En effet, pour plus de 50% des animaux MOG35-55-TCR Tg (souris transgénique pour

le TCR reconnaissant l’épitope 35-55 de la MOG), il y a développement de cette maladie spontanément (Krishnamoorthy, Lassmann et al. 2006). Cette neuromyélite optique de Devic ou NMO a également été caractérisée par immunisation de Rats Norway . Les cerveaux, nerfs optiques et moelles épinières de ces rats ont été étudiés par histochimie et les résultats ont montré chez ces animaux immunisés avec la MOG développaient une névrite optique sans atteinte encéphalique. L’expression de l’aquaporine-4 (AQP4) et du principal marqueur astrocytaire était diminuée dans les nerfs optiques atteints et augmentée dans certaines régions médullaires démyélinisées. Cet anticorps anti-AQP4 a également été détecté dans le plasma des rats malades dirigés contre différentes structures de l'AQP4. Ce modèle remplit donc les critères actuels de NMO et est associé à la présence d’anticorps anti-AQP4. Ce modèle de NMO induit par la MOG est ainsi un outil intéressant pour étudier le lien entre l’AQP4 et la démyélinisation et évaluer de nouvelles thérapeutiques immunomodulatrices ou immunosuppressives.

Un autre exemple d’une maladie auto-immune qui atteint le système nerveux central est le lupus érythémateux disséminé (LED) où il existe également des modèles animaux de maladie spontanée. En effet si les souris de souche NZB sont croisées avec des souris NZW alors la génération issue de ce croisement développera un LED spontanément. L’analyse des modèles animaux murins (souris SCID déficientes en LT et LB) a permis de montrer que l’injection d’autoanticorps anti-ADN double-brin provenant de patients lupiques provoquait une protéinurie et des dépôts glomérulaires d’immunoglobulines chez certaines de ces souris.

L’un des premiers modèles de maladie auto-immune induite expérimentalement décrit a été découvert par hasard en 1973 lorsque des lapins ont été immunisés avec des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine isolés des anguilles électriques. Les animaux développaient rapidement une faiblesse musculaire semblable à celle rencontrée dans la myasthénie. Les

auteurs ont montré que cette myasthénie auto-immune expérimentale se développait lorsque les anticorps contre le récepteur à l’acétylcholine bloquaient la stimulation du muscle par l’acétylcholine au niveau de la jonction neuro-musculaire. Dans l’année qui a suivi, ce modèle a prouvé sa valeur lorsqu’on a découvert que les auto-anticorps dirigés contre ce récepteur étaient la cause de la myasthénie chez l’homme.

L’EAE dont nous avons décrit les mécanismes d’induction et les similarités avec la SEP dans le chapitre précédent est un autre modèle animal qui a considérablement augmenté la compréhension de l’auto-immunité. L’immunisation de souris avec les protéines mineures de la myéline du SNC injectées avec de l’adjuvant de Freund entraîne une affection démyélinisante, apparentée à la SEP. Des souris transgéniques pour un récepteur T spécifique d’un peptide de la myéline ont un développement quasi normal. Si on injecte le peptide MOG spécifique à ces souris transgéniques, elles développent une maladie fulgurante démyélinisante alors que les souris non transgéniques sont peu touchées. Les premières souris ainsi transgéniques pour les gènes réarrangés du TCR (appelées souris TCR transgéniques) ont été utilisées simultanément par deux groupes en 1988 (Kisielow, Bluthmann et al. 1988). Différentes souris TCR transgéniques ont ensuite été développées comme modèles de maladies auto-immunes. Ces différentes souris TCR transgéniques expriment un TCR réarrangé spécifique d’un auto-antigène. Par exemple, les souris BDC2.5 et

NY4.1 ont servi à la compréhension des mécanismes impliqués dans le déclenchement du

diabète. Ces souris BDC2.5 et NY4.1 expriment chacune un TCR provenant d’un clone LT-

CD4+ spécifique d’un antigène inconnu des îlots de Langherans du pancréas, présenté dans le contexte de la molécule du CMH I-Ag7 (Katz, Wang et al. 1993). Diverses souris TCR transgéniques ont été établies dans le but d’offrir un modèle spontané d’EAE, afin de se rapprocher des conditions conduisant au déclenchement de la SEP. Alors que le ou les auto- antigènes reconnus dans les modèles transgéniques de diabète auto-immun ne sont pas connus, les LT provenant des souris TCR transgéniques générés comme modèle de SEP reconnaissent des antigènes du SNC bien définis. En effet, ces souris expriment chacune un TCR différent provenant de clones LT CD4+ spécifiques d’épitopes immunodominants des protéines associées à la gaine de myéline (MBP et PLP). En fonction du modèle, les souris développent une maladie spontanée à partir de 6 semaines ou le plus souvent à partir de 4 à 5 mois. Les souris transgéniques pour un TCR spécifique de la MBP développent une maladie avec une incidence de 0 à 14% (Goverman, Woods et al. 1993; Lafaille, Nagashima et al. 1994; Liu and Wraith 1995). Un plus grand pourcentage (40%) de souris transgéniques pour un récepteur spécifique de la PLP développe spontanément l’EAE (Waldner, Whitters et al.

2000). La maladie se caractérise par l’infiltration des LT exprimant le transgène dans le SNC, la formation de foyers inflammatoires et de plaques de démyélinisation. Lorsque ces souris sont immunisées avec le peptide spécifique, elles développent une maladie plus sévère et plus rapide que les souris non transgéniques.

Cependant, l’incidence de la maladie n’atteignant jamais les 100% dans tous ces modèles, l’on peut suggérer, comme pour les maladies auto-immunes humaines, un rôle non négligeable de l’environnement dans le déclenchement de la maladie. De plus, des études sur des souris de fond génétique Rag déficiente, où tous les LT expriment le TCR transgénique sans association avec des chaînes TCRα endogènes réarrangées, suggèrent que les LT ayant d’autres spécificités peuvent contrebalancer le pouvoir pathogénique des LT réactives.