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Nature, connaissance et communicabilité de l’archive d’exposition : mise en perspective

Quel constat ?

Il faut attendre la fin de l’année 2015 pour que soit créé un véritable service des archives qui forme, avec l’iconothèque et la bibliothèque, les trois pôles du tout récent service des Ressources documentaires du MAN. L’état des archives est révélateur de la manière dont le musée conçoit l’exposition passée. Bien qu’ayant fait l’objet d’un premier classement et reconditionnement, la nature et le contenu des documents ne sont pas précisément connus.

53 Ainsi le récolement mené sur ces archives a notamment permis de préciser, pour chaque exposition référencée, quelles données l’étudiant, le chercheur ont à leur disposition pour apprécier a posteriori l’exposition. Ce travail d’identification s’est construit en suivant la trame d’un plan de classement, spécifiquement dédié aux archives d’expositions, et devant être utilisé et appliqué par l’ensemble des musées nationaux118. Le plan reprend et classe en différents

domaines (organisation générale, œuvres/prêts, muséographie/scénographie, etc.) l’ensemble des documents produits par la réalisation d’une exposition et susceptibles de se retrouver dans les archives. C’est un modèle à partir duquel les archivistes des musées nationaux sont appelés à décrire et classer leurs archives.

Une démarche parallèle et complémentaire a été employée par le centre Pompidou lorsque ses équipes se sont attaquées à la création du catalogue raisonné des expositions produites par le musée (voir introduction, p. 14-15). L’équipe du Cercle de réflexion sur l’histoire des expositions a créé une fiche-type recensant des informations sur l’identité, la production, la médiation, les documents d’archives et la bibliographie sélective de l’exposition119, c’est-à-dire les données « utiles à celui ou à celle qui voudra écrire l’histoire

d’une ou de plusieurs expositions120 ». Elle remplit deux fonctions. La consultation de cette

fiche, d’abord dans sa forme vierge (celle reproduite en annexe), est en somme l’étape qui précède la consultation des archives et de l’ensemble des autres ressources documentaires disponibles et nécessaires à une compréhension la plus globale et la plus totale possible de l’exposition. Dans un second temps il devient possible de la compléter. L’intérêt d’un tel outil est donc double, d’une part il permet de faciliter l’identification et la localisation de l’information recherchée : dans quel type de document (par exemple le nom du graphiste sur le carton d’invitation ou les dates de présentation de l’exposition sur la liste publiée en ligne), auprès de quel service (aller aux archives de la Direction de la production pour reconstituer la liste des prêteurs ; se rendre au Service des archives et consulter les dossiers de presse pour toute recherche relative aux événements et programmation associée, etc.). Il s’agit ensuite, avant d’en faire l’analyse, de classer le matériel récolté en remplissant la fiche. La portée est assurément didactique, quiconque souhaite se lancer dans l’étude d’une exposition passée est ainsi aiguillé dans sa prospection. La mise à disposition de cette aide témoigne aussi d’une bonne organisation de l’ensemble des preuves produites par l’exposition : où se situent-elles,

118 Voir ce plan de classement en annexe X-1. 119 Voir la fiche en annexe X-2.

54 dans quel service ? Car là se laisse entrevoir l’une des spécificités de chaque exposition créée par institution : elle rayonne, plusieurs services du musée participent à sa réalisation, ce sont alors autant de traces, dispersées, réparties en différents lieux, produites puis conservées par différentes personnes, qu’il faut localiser.

De par sa structure plus réduite, il n’existait pas au MAN de complet éclatement des archives d’exposition dans le sens où chaque service aurait conservé la part de chaque exposition appartenant à son domaine de compétence. Le phénomène est seulement avéré pour les cas les plus récents, avant leur versement dans un dépôt déterminé – aujourd’hui le centre des archives. Si elles sont présentes, peu ou prou classées, l’essentiel des archives d’expositions n’était pas, jusqu’à récemment, communicable au public mais réservé au personnel. Aujourd’hui la situation évolue pour plusieurs raisons liées : la nomination d’un conservateur des archives au sein du musée, chargé d’appliquer et de faire respecter le Code du patrimoine en assurant la protection, l’étude, la mise en valeur, la transmission et la communication de ce patrimoine – une dernière mission renforcée par la loi du 15 juillet 2008, qui a notamment établi le principe de communication immédiate des archives publiques121 ; la volonté du législateur d’ouvrir la consultation de ces documents à tout citoyen en faisant la demande favorise également l’émergence de nouveaux projets de recherche, tel que peut en témoigner ce travail. L’ancienne position du MAN vis-à-vis des archives d’expositions ne lui est en rien spécifique. Nous avons mené une petite enquête en contactant les archivistes d’autres musées nationaux et de quelques musées d’archéologie dans l’objectif d’apprécier quel regard est porté sur ce type particulier de ressource. Des initiatives de mise en valeur ont-elles déjà été lancées ; plus simplement l’archive d’exposition existe-t-elle ? Les musées ayant répondu à la sollicitation122 – un tiers n’ont pas donné de réponse – attestent tous l’existence d’archives.

Certaines sont conservées au sein du musée, quand pour d’autres établissements (musée Gustave Moreau, musée de Cluny par exemple), un versement est effectué aux Archives nationales. Davantage que déterminer les types de documents dont ces archives se composent – ce qui aurait nécessité une investigation beaucoup plus lourde, à la fois difficilement réalisable ici et débordant le cadre de ce sujet –, l’objectif de ce sondage a été d’appréhender le niveau d’attention dont elles bénéficient. Pour le travail préalable de recherche (dans les archives) que nécessite sa constitution, nous avons tout d’abord cherché à savoir – à partir du site internet du musée puis en interrogeant directement les archivistes –, s’il existe une liste des expositions

121 Loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, [en ligne, consulté le 01/07/16

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019198529.

55 passées. Une liste suffisamment complète voire exhaustive, référençant les expositions du musée. Assez logiquement il en ressort que l’existence d’une liste est corrélée à l’existence d’un travail préalable d’analyse des archives d’expositions conservées par le musée. De la simple liste composée du titre et des dates de présentation de l’exposition à celle, plus détaillée, pour laquelle une cotation a même parfois été mise en place et qui énumère précisément les documents disponibles à la consultation (musée Rodin, Cité de la céramique). Les institutions étant dans l’impossibilité d’en fournir sont en effet celles qui avouent, dans l’attente d’un récolement, une méconnaissance de ces fonds (musée de la Renaissance d’Ecouen, musée Magnin,musée de l’Arles antique). Le problème, déjà mentionné, de la dispersion des archives d’expositions dans plusieurs services du musée ou de leur appropriation par les commissaires est également présent (musée Guimet, musée de la Préhistoire des Eyzies-de-Tayac).

Ainsi la situation d’ensemble – même s’il ne s’agit ici que de quelques exemples tirés d’une investigation incomplète – reflète des états et situations pluriels ; des divergences dans le traitement, l’étude de ces documents, une communicabilité encore variable. Si des politiques de valorisation, d’uniformisation, lancées pour les pouvoirs publics, sont déjà en marche, le citoyen a bien entendu un rôle primordial à jouer dans cette entreprise de mise en valeur, tout simplement en témoignant de son intérêt pour ces documents. Selon le principe de l’offre répondant à la demande, l’augmentation actuelle du nombre d’études appliquées à l’exposition, les travaux récents de recherche impliquant de se lancer dans l’examen de plusieurs expositions devrait de facto accompagner et accélérer les efforts d’exploration et d’ouverture de ces archives. Outre le travail effectué au MAN, nous avons nous même pu expérimenter ce phénomène et en tirer des bénéfices123.

La rubrique « expositions passées » des sites internet des musées nationaux

Comme évoqué plus haut, les institutions muséales elles-mêmes œuvrent de plus en plus pour assurer la mémoire de leurs expositions. Sur les sites internet des musées nationaux – qui ont pour la plupart une interface similaire – existe une rubrique spéciale, nommée « expositions passées ». Nous avons dit que l’étude des archives d’expositions conduisait à la création d’une liste, dans bien des cas directement publiée sur le site de l’établissement avec parfois en complément une série de documents de communication (dossier/communiqué de presse)

123 La liste des expositions du musée de Cluny a par exemple été constituée à la suite de notre demande par l’équipe

56 directement consultables124 ou de références, titres d’ouvrage à lire pour aller plus loin. En la

présence de cette fameuse rubrique, plusieurs types d’utilisations et d’appréciation de la portée de cet outil sont observables. Elle peut servir à indexer – comme c’est le cas pour le MAN – les expositions les plus récentes, pas plus de deux, pour un temps court seulement. Aux informations sommaires d’annonce de l’exposition s’ajoutent (ou pas) la possibilité de télécharger des dossiers de présentation plus complets. Elle permet, dans une seconde configuration, de les énumérer de façon beaucoup plus complète et les documents parfois anciens restent consultables (musée Fernand Léger par exemple).

On rejoint ici les questionnements posés en introduction sur les traces de l’exposition, ce qu’il en reste lorsque s’est écoulée sa période de monstration. De nouvelles possibilités s’ouvrent avec l’expansion du numérique, les sites internet offrent des possibilités de stockage et de communication facilitées de ces ressources.

Quels documents, quels manques ?

Attachons-nous au cas du MAN. L’essentiel des archives est conservé au musée mais plusieurs dossiers sont également présents et consultables aux Archives nationales125. Ils concernent en l’occurrence uniquement les expositions réalisées et co-organisées par le Réunion des musées nationaux (RMN). Il s’agit des archives du service des expositions (pour l’organisation générale de l’exposition), du service presse (dossier de presse) de cet établissement ainsi que de quelques dossiers de l’ancienne Direction des musées de France pour les démarches relatives aux prêts d’objets126. Après consultation et comparaison avec les archives du MAN, il en ressort que les documents des Archives nationales se compose, pour ce qu’on a pu en voir, de doublons, présents à la fois à Pierrefitte et Saint-Germain-en-Laye.

La richesse ou la pauvreté quantitative de ces archives dépend de l’ancienneté de l’exposition et de sa taille. Il est évident qu’une exposition-dossier, ayant nécessité un de temps de préparation, des efforts de recherche plus réduits, contienne moins de documents. À l’inverse « Vercingétorix et Alésia » (1994) ou « L’or des princes barbares » (2000), expositions de plus vaste ampleur, sont représentées par plusieurs boîtes d’archives. Pareillement les quelques expositions d’avant 1980 sont plus discrètes. Le temps a joué son rôle destructeur – pertes, tris drastiques, appropriations, etc. –, leurs organisations et structures sont ensuite plus modestes,

124 L’annexe XI-1 les référence. 125 Voir l’annexe X-4.

57 tant en terme de mobilisation d’œuvre que de compétences (personnels, participations scientifiques, installation). Elles impliquent moins d’acteurs, au final moins d’archives. Toutes ne sont pas égales, les facteurs temporel, typologique, de l’exposition impactent leur contenu ; il faut composer avec.

La documentation scientifique fait le plus souvent défaut c’est-à-dire, selon le plan de classement, le point « recherches » du « projet scientifique de l’exposition ». Les sources utilisées par le concepteur, les « preuves » des recherches menées sont absentes. Bien que les ouvrages ayant servi à la conception de l’exposition soient bien souvent référencés à la fin du catalogue, ce sont les démarches parallèles qui restent invisibles. Le cheminement intellectuel notamment, les modifications, réorientations, en somme la lente construction du scénario n’est pas perceptible. Les échanges, la correspondance entre les commissaires ou les spécialistes rattachés à l’élaboration du contenu de l’exposition sont de même rarement présents. Parmi les expositions passées, antérieures à l’arrivée d’un archiviste et à la mise en place d’une démarche de traitement des archives, seule la documentation de l’exposition « La Grèce des origines » (2014) a pu être, avec la collaboration active de son commissaire, récupérée. C’est un autre enjeu de sensibiliser l’ensemble du personnel d’un musée à l’intérêt de conserver, au sein de l’institution, ce type de document de travail.

Pour les expositions les plus récentes, se pose la question de la dématérialisation des archives. Comme noté plus haut, aujourd’hui bon nombre de documents destinés à la diffusion – précieux pour celui qui s’intéresse aux expositions passées – tels les dossiers, communiqués de presse, les documents pédagogiques mis à disposition du grand public ou des professionnels de l’éducation, sont (un temps) téléchargeable sur le site internet du musée.

La couverture photographique des expositions du MAN

Les photographies ou vues d’expositions constituent, en tant qu’archives visuelles, un moyen privilégié d’analyse des expositions passées127. Il faut tout de même commencer par

différencier les prises de vue d’objets – qui ne nous intéresse pas ici mais qui constituent aussi une part des activités de l’iconothèque du MAN –, des photographies de l’espace d’exposition, de la muséographie. Les collections de l’iconothèque recèlent plusieurs de ces clichés128,

127 Sur le rapport de l’exposition à la photographie voir le projet de recherche « La photographie de vue

d’exposition Source de l’histoire de l’art contemporain », [consulté le 06/07/16]

http://histoiredesexpos.hypotheses.org/2833.

58 classées par expositions. Le service a utilisé jusqu’en 2013 le support argentique. Avant les années 1990, il n’existe pas de reportages réalisés sur le musée et l’événementiel, expositions ou tout autre manifestation. Pour les expositions principales, les plus importantes, coréalisées par la Réunion des musées nationaux – et pour lesquelles la RMN dépêchait un photographe – il existe plusieurs photos argentiques. Depuis 2007, et avec le développement du numérique, des couvertures plus régulières et complètes ont été réalisées : des instantanés de la muséographie, de l’inauguration et parfois du démontage des expositions (« Henri IV, prince

de la paix, patron des arts », 2010). Rendre compte en les photographiant de ces « étapes » qui

entourent, précèdent ou suivent, la construction de l’exposition est une démarche également pourvue d’intérêts. C’est son cycle de vie qui est rendu perceptible, autrement et en complément

des informations transmises par les archives écrites.

L’implication du service dans l’évènementiel, c’est-à-dire l’initiative de réaliser des photos à l’occasion d’une exposition, n’est pas systématique. Plusieurs expositions n’ont pas bénéficié de reportage de la part du musée. D’autres personnes sont susceptibles de détenir en complément ce type de photos : outre le service photo de la RMN, chaque commissaire en réalise généralement pour lui, ce qui complexifie aussi les recherches, ajoute des intermédiaires129.