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2. Introduction au travail de création 48

2.3 Nano-Cosmos 55

Le Nano-Cosmos est un cycle de pièces acousmatiques qui traite de la vie et du comportement des particules. Il se pose comme un hommage aux micro-organismes et aux petits arthropodes, ou plus généralement, à toute bestiole à la limite de l’échelle visible. À travers diverses références, il explore la notion de parasite en musique dans une esthétique beaucoup plus électronique et inspirée du Glitch Art112. Le résultat sonore est un craquement, une distorsion, assez caractéristique)). Grâce à un dispositif de 8 ou 16 haut-parleurs, le Nano- Cosmos propose une immersion dans un paysage sonore imaginaire (abstrait), où les sons de synthèse illustrent le chant des bestioles. Le cycle pose également le questionnement de la perception de la propre taille de l’auditeur au sein d’un dispositif immersif. Inspiré par les études de Van der Hoort, Guterstam et Ehrsson113 à propos de « l’illusion d’Alice » qui consiste à faire croire au sujet que la taille de son corps a changé (grâce à des stimulus tactiles

112 En musique, le glitch est un tic digital causé par un code binaire perdu ou incorrect, d’après une traduction de : Kelly, Caleb, Cracked Media: The Sound of Malfunction. Cambridge, Mass: MIT Press, 2009, p. 6.

113 Björn van der Hoort, Arvid Guterstam, et Henrik Ehrsson. « Being Barbie: the Size of One's Own Body Determines the Perceived Size of the World », Plos One, 6(5), 2011.

et visuels), j’ai cherché à savoir, de manière plus empirique, si la même illusion pouvait être obtenue de manière auditive. Grâce à un dispositif englobant et à un choix particulier de sons et de paramètres sonores, l’idée est de faire croire à l’auditeur que sa taille a été réduite à celle d’une fourmi, et par conséquent, toute la perception de son environnement s’en trouve modifiée.

2.3.1 Akheta’s Blues

Akheta’s Blues a été composée entre 2012 et 2013. Cette pièce se base sur le chant cyclique et lent du grillon domestique (Acheta Domestica), représenté par de longues nappes temporelles sur lesquelles s’est greffé un monde de petites particules (représentant des collemboles). La musique joue sur différents espaces: espace sec, espace très réverbéré (réverbération artificielle), espace localisé ou espace étendu dans la multiphonie. Comme le chant du grillon, la pièce fait preuve de minimalisme dans le matériau et son organisation, et se développe très lentement dans le temps. Le caractère de l’œuvre se veut mélancolique, laissant entendre des mélodies traînantes et lancinantes comme une sorte de Blues chanté par des insectes.

2.3.2 Pixel Springtail Promenade

Pixel Springtail Promenade, est la deuxième composition du cycle, et est une commande du Studio für Electroakustische Music (2014, Weimar, Allemagne).

La pièce rend hommage à une catégorie spéciale de collemboles (Springtails): la famille des Bourletiellidae qui a la particularité de se situer à la limite de la vision humaine. Le mot « pixel » fait ainsi référence à leur taille. La pièce explore le mode de déplacement de ces collemboles et leur répartition dans l’espace à travers des articulations spécifiques et une gestion particulière de la polyphonie. Ainsi, la pièce propose d’illustrer le voyage (la promenade) de ces petits arthropodes à travers différents environnements: un lieu abstrait, une cuisine, un jardin d’enfants, une salle de concert, une jungle. Pour passer d’un lieu à l’autre, les collemboles empruntent des « fenêtres », entendues comme des ruptures franches qui « ouvrent et ferment » les différents environnements. À l’intérieur de ces environnements, les collemboles ont des modes de déplacement en essaims qui sont un prétexte pour explorer des

notions plus formelles touchant à la polyphonie, à l’hétérophonie, et aux notions de gestes et de textures de Smalley114. Enfin, la pièce joue sur des changements d’échelles en tentant de donner l’illusion que certains environnements (la cuisine) sont agrandis. L’objectif est de réaliser, dans la lignée de l’expérience suédoise évoquée précédemment, une illusion d’Alice auditive.

2.3.3 Diaphanous Acarina

Cette pièce est le troisième opus du cycle et est une commande de Distractfold (2015, Manchester, Royaume-Uni).

Des grillons aux collemboles, on passe ici aux acariens, invisibles à l’œil nu. Chaque pièce du cycle progresse ainsi vers des organismes de plus en plus petits. La pièce rend hommage à un acarien semi-transparent (diaphane): le Thyphlodromus Pyri, qui vit sur les feuilles de pommier et de vigne. La musique se dote d’importants contrastes dynamiques qui représentent les mouvements mécaniques brusques du microscope faisant une mise au point. Ainsi, le détail (sonore) de l’objet observé a tendance à surgir à l’écoute.

Comme l’opus précédent, Diaphanous Acarina exploite un travail entre le geste et la texture d’après la formulation de Smalley. La pièce joue en fait sur la notion de « transparence » en musique en utilisant des couches sonores épurées qui se superposent et dont certains motifs émergent au premier plan ou se fondent dans l’ensemble grâce à des procédés de filtrage. La pièce propose également une recherche sur des modes de prolifération de ces acariens avec trois modalités:

• une prolifération « douce »: un mouvement « sous la membrane », telle une bestiole grouillant sous une surface, on devine sa présence par le contour qui se dessine en superficie. • une prolifération aquatique: des déplacements plus fluides avec l’idée de bulles d’eau. Il s’agit d’un envahissement doux qui prend la forme de son contenant.

• une prolifération destructive: des acariens qui rongent la matière sonore. Il s’agit d’un comportement agressif où les bestioles dépècent la matière.

114 Denis Smalley, « La spectromorphologie: une explication des formes du son », dans Esthétique des arts

La pièce propose ainsi une progression de ces trois textures: vallonée, granulaire, et distorsionnée. Elle est soutenue par de grandes nappes « lisses » qui évoquent les surfaces des feuilles de vigne sur lesquelles les acariens se développent.

La pièce se base également sur la transformation d’un unique motif (un son composé- composite) par différents procédés: filtrage, multiplication par synthèse granulaire, dilatation temporelle, création de sons dans un synthétiseur analogique par suivi d’amplitude, fragmentation par montage et micro-montage, création de son « sale » avec des distorsions et un bitcrusher, etc.

Si Akheta’s Blues et Pixel Springtail Promenade sont des pièces basées essentiellement sur le montage ou la synthèse analogique (très peu d’effets ont été utilisés), Diaphanous Acarina contient de nombreux traitements faisant appel à un travail séparé sur différents logiciels, parmi lesquels:

-les modules Image Filter et Spectrum Synth (dans MetaSynth 5) pour les jeux de filtrage -le module StochGrains2 (dans Cecilia 5) pour la synthèse granulaire

-le synthétiseur analogique RSF Kobol: pour la génération de textures par suivi d’amplitude -les plugiciels JS: graphidist-dyn et paranoia_mangler (dans Reaper) pour la distorsion et la réduction de la résolution des fichiers audio

-le logiciel PaulStretch pour la génération de surfaces « lisses » par dilatation temporelle extrême.