• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 – État des connaissances

1.2. La recherche sur les politiques et systèmes de santé (RPSS) dans les pays à faible et moyen revenu

1.2.1. La naissance d’un nouveau champ de recherche en santé mondiale

Il existe plusieurs définitions d’un système de santé. Les deux plus couramment utilisées sont celle de Roemer et, plus récemment, celle de l’OMS. Elles sont les suivantes :

« the combination of organisation, financing and management that culminate in the delivery of health services to the population » (Roemer (1991), cité par Wegman (1992, pp. 242-243))

« All the organisations, institutions and resources that are devoted to producing health actions. A health action is defined as any effort, whether in personal health care, public health services, or through intersectoral initiatives, whose primary purpose is to improve health. » (World Health Organization, 2000, p. xi)

On peut sans doute mettre en corrélation le nombre de ces définitions avec celui des cadres existants pour comprendre et analyser le système de santé. Plusieurs auteurs ont tenté de les classifier; c’est le cas de van Olmen et al. (2010), de Shakarishvili et al. (2011), et de Hoffman et al. (2012). Selon van Olmen et al. (2010), certains cadres sont descriptifs, tandis que d’autres offrent des lignes directrices pour l’action et sont donc plus prescriptifs. Les auteurs les classent en deux catégories : d’une part, les cadres exhaustifs qui permettent une analyse au niveau national et s’attachent généralement aux mécanismes de financement et de régulation, d’autre part, les cadres qui s’intéressent uniquement à un « sous-système » ou à un niveau du système de santé.

Ayant pour ambition d’harmoniser les cadres existants afin de mieux cerner le champ de la recherche sur le renforcement des systèmes de santé, Shakarishvili et al. (2011) posent, quant à eux, trois constats : 1) de manière générale, les cadres proposés s’entendent sur les quatre objectifs du système de santé, à savoir améliorer la santé, protéger des risques financiers liés à la maladie, s’adapter aux besoins et satisfaire les attentes des usagers; 2) il convient de distinguer les activités et investissements qui contribuent à renforcer le système de

santé, et ceux qui contribuent à améliorer les résultats de santé; 3) une distinction doit également être faite entre les composantes opérationnelles (p. ex. le financement) et conceptuelles (p. ex. l’équité) du système de santé. Enfin, Hoffman et al. (2012) recensent, pour leur part, 41 cadres d’analyse du système de santé. Ils distinguent ceux qui sont descriptifs de ceux qui se veulent interactifs, et opèrent une classification selon quatre objectifs : comprendre le système de santé, comparer les différents systèmes, les évaluer, et guider le changement.

Parallèlement à ce champ de recherche relativement techniciste, le domaine de l’étude des politiques publiques de santé se développe. Une politique publique est :

« a purposive course of action followed by an actor or a set of actors in dealing with a problem or a matter of concern » (Anderson (1984, p. 3), cité par Bernier et Clavier (2011))

Cette définition montre l’aspect processuel de l’action publique et le rôle prépondérant des acteurs dans ce processus. Dans le domaine de la santé, Buse, Mays, et Walt (2005) proposent la définition suivante d’une politique de santé :

« courses of action (and inaction) that affect the sets of institutions, organizations, services and funding arrangements of the health system » (Buse et al., 2005, p. 6).

Cette définition fait le lien entre la recherche sur les systèmes de santé et celui sur les politiques publiques de santé, et permet de comprendre l’émergence d’un nouveau champ de recherche englobant ces deux perspectives : la recherche sur les politiques et systèmes de santé (RPSS), en pleine expansion dans les PFMR. En effet, quoique les travaux menés sur ces domaines dans les pays développés soient utiles pour les PFMR, les particularismes qui caractérisent les processus politiques dans les PFMR, tels que la faiblesse des systèmes de régulation et de contrôle, les rapports de clientélisme dans les systèmes politiques, ou encore l’implication des bailleurs, nécessitent la mise en contexte du champ de recherche (Gilson & Raphaely, 2008).

13

Ainsi, depuis 1999 et la création de l’Alliance for Health Policy and Systems Research, la recherche sur les systèmes de santé et celle sur les politiques de santé dans les PFMR sont réunies sous la même bannière. Elles forment un domaine de recherche dont l’objectif est :

« […] to understand and improve how societies organize themselves in achieving collective health goals, and how different actors interact in the policy and implementation processes to contribute to policy outcomes. By nature, it is interdisciplinary, a blend of economics, sociology, anthropology, political science, public health and epidemiology that together draw a comprehensive picture of how health systems respond and adapt to health policies, and how health policies can shape − and be shaped by − health systems and the broader determinants of health. » (Alliance for Health Policy and Systems Research, n.d.)

L’évolution de ce champ d’étude résulte de plusieurs constats posés notamment par G. Walt et L. Gilson depuis les années 1990. Dès 1994, les deux chercheuses notent que l’analyse des politiques de santé dans les PFMR cible essentiellement le contenu technique et la conception des politiques de santé, au détriment de la compréhension des jeux d’acteurs et des processus d’élaboration des politiques et de leur mise en œuvre (Gilson & Mills, 1995; Walt & Gilson, 1994). Ignorer les processus et les jeux d’acteurs, ainsi que les contextes dans lesquels ils interviennent, rend pourtant difficile l’explication des échecs et succès des politiques (Gilson & Raphaely, 2008; Walt et al., 2008).

En 2008, une cartographie de la recherche sur les politiques de santé dans les PFMR par Gilson et Raphaely (2008) montre un champ de relativement faible importance, caractérisé par sa diversité, sa fragmentation et la prédominance des chercheurs d’institutions des pays développés. Les auteures mettent le doigt sur la faiblesse analytique des études, leur limite en terme de pouvoir explicatif, leur manque d’assise théorique, à l’exception de l’utilisation des travaux de Kingdon (1995) et Lipsky (2010), et leur faible intérêt pour les enjeux de pouvoir et l’analyse du discours et de la rhétorique. Elles remarquent enfin la tendance des chercheurs à négliger l’aspect constructif de leurs recherches pour l’action.

Ces lacunes de la recherche sur les politiques de santé dans les PFMR ne semblent pas épargner les pays développés, puisque Bernier et Clavier (2011) notent :

« the bulk of policy analysis in public health research (including health promotion) is largely concerned with measuring and evaluating policy impacts and outcomes and pays little attention to the policymaking process » (Bernier & Clavier, 2011, p. 110).

Outre les limites méthodologiques et théoriques du corpus d’études recensées par Gilson et Raphaely (2008), les auteures relèvent que seuls 11% de ces études optent pour une perspective large, soit en menant des analyses comparatives d’une politique ou d’une intervention dans plusieurs PFMR, soit en s’intéressant à plusieurs politiques dans une région géographique donnée. Considérant ces insuffisances, et dans la perspective d’alimenter la réflexion et l’action pour le renforcement des systèmes de santé des PFMR, Gilson et Raphaely (2008) et Walt et al. (2008) appellent à davantage d’analyses de la mise en œuvre des politiques de santé, d’études multipays, ainsi que de synthèses des études disponibles, fondées sur des approches théoriquement robustes et structurées.

Au-delà de l’organisation des systèmes de santé et de l’influence des politiques de santé, les répercussions de mouvements politiques de l’échelle globale à l’échelle locale sont encore relativement sous-étudiées. Or, Walt et al. (2008) expliquent que :

« […] policy is increasingly shaped and influenced by forces (such as global civil society) outside state boundaries (Keck and Sikkink 1998). […] There is less geographical distance between regions, exchanges have become faster, ideas and perceptions spread rapidly through global communications and culture. This means that the policy environment is increasingly populated by complex cross-border, inter-organizational and network relationships, with policies influenced by global decisions as well as by domestic actions » (Walt et al., 2008, p. 309)

En outre, les différents modèles qui conceptualisent les liens entre mondialisation et santé intègrent les politiques et les systèmes de santé (Florey, Galea, & Wilson, 2007; Huynen, Martens, & Hilderink, 2005; Labonte & Schrecker, 2007; Woodward, Drager, Beaglehole, & Lipson, 2001). Pourtant, deux revues de littérature récentes montrent que les études menées dans les PFMR et portant sur la mise à l’agenda d’une part (Walt & Gilson, 2014) , et la formulation et l’adoption des politiques de santé d’autre part (Berlan, Buse, Shiffman, &

15

science politique traitent de plus en plus de ces enjeux (Grundy, Hoban, Allender, & Annear, 2014; Kapilashrami & McPake, 2013; Magrath & Nichter, 2012), sans être encore tout à fait intégrés à la RPSS. C’est pourquoi leurs auteurs tâchent d’en montrer toute la pertinence pour la RPSS (Pfeiffer & Nichter, 2008; Storeng & Mishra, 2014).

Aujourd’hui, le champ a pris un nouvel essor. Le premier Symposium international pour la recherche sur les systèmes de santé tenu à Montreux (Suisse) en 2010 a conduit à la création en 2012 de Health Systems Global, un réseau de chercheurs, de décideurs et d’intervenants dans le domaine de la recherche sur les politiques et systèmes de santé des PFMR. La tenue de ce symposium tous les deux ans renforce le maillage de ces acteurs et contribue au développement d’une communauté épistémique de plus en plus présente à l’échelle internationale.